Slipknot
.5: The Gray Chapter
Produit par Greg Fidelman
1- XIX / 2- Sarcastrophe / 3- AOV / 4- The Devil in I / 5- Killpop / 6- Skeptic / 7- Lech / 8- Goodbye / 9- Nomadic / 10- The One That Kills the Least / 11- Custer / 12- Be Prepared for Hell / 13- The Negative One / 14- If Rain Is What You Want
Slipknot est un groupe intrigant de par les réactions qu’il peut susciter : metalheads survoltés et complètement férus d’un metal agressif et abrasif d’un côté, puristes décriant une clique de clowns masqués au nombre de neuf pour produire un metal débilitant nécessitant tout au plus cinq membres de l’autre. C’est un fait : l’opinion autour de Slipknot est totalement polarisée, et c’est une tendance qui s’affirme de plus en plus au fil des années. Malgré tout, force est de reconnaître que la hype autour de ce cinquième album grandissait elle aussi de manière exponentielle à mesure que la date de sortie approchait. Comme avec All Hope Is Gone il y a six ans, en fait. Sauf que cette fois-ci, les attentes étaient loin d’être les mêmes.
Inutile de revenir en détail sur le drame interne que fut le décès de Paul Gray en 2010. Retenons simplement que le bassiste, à défaut d’être un musicien d’exception, était d’après ses collègues celui qui assurait le cohésion de l’effectif dans les coulisses. De là à dire qu’il était la force motrice nécessaire pour faire avancer le groupe, il n’y a qu’un pas… que vous serez libres de franchir ou non, là n’est pas la question. Le fait est que la disparition de Gray souleva effectivement de nombreux doutes quant à l’avenir de Slipknot : fallait-il continuer à tourner et/ou enregistrer, ou bien fallait-il euthanasier le groupe par respect pour lui ? Là où Corey Taylor hésitait à poursuivre l’aventure, Joey Jordison assurait qu’un nouvel album arriverait coûte que coûte, avec ou sans son chanteur. Ces simples déclarations contradictoires étaient la preuve évidente que la cohésion du groupe était mise à mal : humainement, le vide laissé par Gray dans l’effectif était énorme.
À la manière de Metallica, Slipknot choisit finalement d’aller de l’avant pour honorer sa mémoire. De par la volonté qu’il aurait eue de voir le groupe avancer, ses collègues mirent finalement en chantier un nouvel album qui allait cependant se confronter à de nouveaux conflits internes : Jim Root évincé de Stone Sour d’abord, puis Joey Jordison renvoyé de Slipknot ensuite, une double sentence qui aurait dû signer l’arrêt de mort du groupe, désormais privé de son bassiste et de son batteur d’exception. L’ombre de Gray continuait néanmoins de planer sur le groupe, et après ce qui sembla être un véritable enfer de développement, le cinquième chapitre de l’épopée de Slipknot, intitulé .5: The Gray Chapter en son honneur, finit enfin par arriver.
Que cet album ait fini par voir le jour est déjà un miracle en soi compte tenu du contexte humain chaotique dans lequel celui-ci a germé. Mais plus médusant encore : Slipknot sans Joey Jordison ? Vraiment, c’est possible ? En réalité, la hype autour de The Gray Chapter ne s’expliquait pas tant par l’impatience et l’enthousiasme des fans : .5 était clairement attendu au tournant, d’autant que le groupe n’a communiqué aucune information quant à l’identité des remplaçants de Gray et Jordison, même si des petits malins ont reconnu Alessandro Venturella de par ses tatouages dans la vidéo de “The Devil in I”. Néanmoins, on ne connaît à ce jour toujours pas l’identité du nouveau batteur. Qu’importe, il suffit d’appuyer sur play pour voir si le pauvre bizut réussira à faire oublier Jordison. À partir de maintenant, c’est quitte ou double.
The Gray Chapter s’ouvre sur “XIX”, pièce lugubre et étrange où la voix de Corey Taylor est supportée par un accompagnement minimaliste qui construit peu à peu une paranoia ambiante et fait monter la tension avant de se conclure sur… rien du tout. Habile. Suit l’arpège lourd et oppressant de “Sarcastrophe”, bientôt rejoint par les guitares distordues et sous-accordées si caractéristiques du son de Slipknot. Et c'est après un drumfill enragé que les hostilités démarrent avec un riff vrombissant au son bien gras. Brutal au possible, “Sarcastrophe” reprend tous les éléments caractéristiques d’un bon morceau de Slipknot, qu’il s’agisse des cris meurtriers de Corey Taylor, des guitares incisives de Jim Root et Mick Thomson, du scratching ponctuel mais toujours pertinent de Sid Wilson ou de la batterie furieuse et foudroyante. Oui, le nouveau batteur se démerde foutrement bien, et c’est sans nul doute la surprise la plus gratifiante de ce Gray Chapter : même s’il singe parfois de manière trop appuyée le jeu de son prédécesseur, force est de reconnaître qu’il a su se glisser dans ses bottes avec aisance et que sa performance sur l’album ravira indéniablement les fans de Jordison.
“Sarcastrophe” n’est pas sans rappeler l’ère Iowa, et c’est une tendance générale de ce cinquième album qui suinte la rage des débuts : de “The Devil in I” à “Custer” en passant par “Lech”, les guitares crachent les décibels à plein régime pendant près d’une heure, soutenues par une batterie totalement épileptique et le chant toujours aussi implacable de Corey Taylor. La production quant à elle, impeccable, donne cependant à l’ensemble un son plus fin, moins lo-fi que sur Slipknot ou Iowa (on retiendra particulièrement la batterie flangée sur le pont assassin de “The Devil in I” qui, malgré sa brièveté, reste dévastatrice). Encore une fois, les interventions de Sid Wilson et Craig Jones ponctuent subtilement l’album avec des sonorités plus claires, qu’il s’agisse du scratching final sur “Sarcastrophe”, des nappes glaçantes sur “The Negative One” ou du drone ambient qu’est “Be Prepared for Hell” et qui réitère avec “The Negative One” le même gimmick qu’avec “XIX” et “Sarcastrophe”.
.5 ne se limite cependant pas à un retour aux sources pur et dur ; au contraire, certains morceaux restent réminiscents des évolutions stylistiques auxquelles le groupe s'est essayé sur The Subliminal Verses et All Hope Is Gone, à l'image de “If Rain Is What You Want” qui n'est pas sans rappeler “Snuff”, ou de “Killpop” et “The One That Kills the Least” qui s'inscrivent dans une lignée plus pop/mainstream à l'image de “Duality”. C'est néanmoins sur le très cérémonieux “Goodbye” que l'empreinte de “Snuff” reste la plus présente, avec une première partie confidentielle et tout en retenue qui débouche sur une seconde bien plus violente, épaulée par des sons de cloche olympiens auxquels suit un “Nomadic” bien plus fun et décomplexé : indéniablement le point d'orgue de ce cinquième chapitre.
Alors, verdict ? Incontestablement, The Gray Chapter maîtrise son sujet de bout en bout et marque le retour en force de Slipknot : réalisant la synthèse parfaite entre Iowa et The Subliminal Verses, on y retrouve la colère des débuts couplée à la sensibilité d’un groupe qui, bien qu’ayant réussi à avancer, reste encore marqué par le deuil (en témoigne l'hommage quelque peu décalé que le groupe fait à son bassiste sur “Skeptic”). Assurément l’un des albums metal de l’année, .5: The Gray Chapter reste à ce jour l’album de Slipknot le plus dur, le plus furieux depuis l’éponyme de 1999, mais aussi le plus noble et le plus solennel. L’hommage le plus réussi que le groupe pouvait adresser à feu Paul Gray, en somme.