The Black Angels
Death Song
Produit par Phil Ek
1- Currency / 2- I'd Kill For Her / 3- Half Believing / 4- Comanche Moon / 5- Hunt Me Down / 6- Grab as Much (as you can) / 7- Estimate / 8- I Dreamt / 9- Medicine / 10- Death March / 11- Life Song
Parfois, on a beau retourner tous les éléments en notre possession, on ne pige pas forcément pourquoi un disque ne nous accroche pas à l’oreille. Preuve ce cinquième opus des Anges Noirs d’Austin, un groupe fort apprécié de votre serviteur (qu’il a d’ailleurs eu la chance d’interviewer sur leur tournée Phosphene Dream) mais qui n’a pas réussi à s’imposer dans son cortex aussi inamoviblement que leurs précédents efforts studio - Indigo Meadow mis à part.
Inexplicable ? Sans doute. Les Black Angels n’ont certes jamais joui de critiques dithyrambiques (un petit tour par ici vous suffira à vous en rendre compte), mais ce Death Song, sonnant comme un retour aux sources mêmes de leur patronyme (rappelons que les texans se sont nommés ainsi en hommage à la chanson du Velvet Underground “The Black Angel’s Death Song”) semble confirmer une progression dans l’image qu’ils renvoient auprès des professionnels de la critique rock. Plus le temps passe, mieux ils sont reçus, preuve en sont encore les excellents papiers des Inrocks et surtout de Rock N’ Rolk qui catapulte illico cette Chanson de la Mort comme album du mois d’avril. Inexplicable ? Pour l’auteur de ces lignes, oui. Mais alors quoi ? Ont-ils mis de l’eau dans leur psychédélisme heavy ? Leur son, si caractéristique et quintessentiel de leur succès, s’est-il dénaturé ? La fibre créative s’en est-elle allée ? Les questions s’enchaînent mais ne débouchent sur aucune conclusion évidente. Fondamentalement, les Black Angels restent égaux à eux-mêmes, tels les héritiers modernes d’un 13th Floor Elevator qui se voient dopés aux amplis Marshall et à la drone machine. Certes, depuis Phosphene Dream, on sent qu’ils tentent de simplifier leurs gros délires planants, de lorgner davantage vers la pop sous LSD, de viser une qualité d’écriture plutôt que de privilégier l’ambiance. On sent aussi, du moins à Albumrock, que depuis Indigo Meadow, et plus encore depuis l’EP Clear Lake Forrest, la sauce ne prend plus, sans forcément que l’on arrive à mettre le doigt sur l’écharde qui nous titille. Même après une dizaine d’écoutes successives.
On invoque alors un procès en gâtisme précoce : les années passent, et le trip barré des Black Angels ne nous hanterait plus autant qu’auparavant. On se fait vieux, on est bon pour l’hospice ou pour s’ébahir de félicité devant les pitres qui se succèdent chez The Voice. En dernier recours, on se repasse les émoluments dont on avait conservé un souvenir grisant dans nos limbes encéphaliques, espérant confirmer que les remèdes texans n’ont plus aucun effet sur nous. Las, ça fonctionne toujours aussi bien. Passover séduit plus que jamais par son côté juvénile gonflé et belliqueux, Directions To See A Ghost par la transe décibellique sans équivalent qu’il invoque, Phosphene Dream par l’acidité inquiétante de ses pop songs californiennes revisitées à la sauce bad trip. Et c’est surtout ce dernier qui crée le déclic ineffable par lequel survient enfin la révélation tant espérée. L’acidité. Il manque à ce cinquième LP le petit détail qui fait que l’on va basculer de l’autre côté du miroir. Il lui manque un soubresaut, un frémissement par lequel on vit une chanson, on pénètre en son sein plutôt que de la contempler à distance plus ou moins respectable. Or malgré toutes ses qualités extrinsèques déjà égrenées à longueur de critiques par mes prédécesseurs, chant de chaman lointain et vénéneux, guitares gorgées de fuzz se gargarisant de motifs heavy-psych, déréalisation apportée par les effets d’écho et de saturation de la drone machine, on reste sur le seuil de ce Death Song, cordialement invités à entrer mais hésitant à se laisser embarquer. Les Black Angels savaient auparavant nous happer sans nous laisser le loisir de nous évader, ils en sont désormais réduits à essayer de rivaliser d’artifices de séduction pour parvenir à leurs fins. Et ce qui pourrait passer avec certains ne passera sans doute pas avec d’autres.
Car Death Song se montre moins dense sur le plan sonore que ses illustres aînés, moins prégnant, mais aussi moins pointu que le déjà plus léger Phosphene Dream. Fondamentalement, on n’aurait rien à reprocher à l’introductif “Currency”, à ses crissements inquiétants, sa basse obèse, ses riffs tranchants dans le lard par intermittence et ses décroissances vocales désespérées… sauf peut-être un peu de mojo. Un tempo un rien plus élevé aurait sans doute pu faire l’affaire. “Half Believing” charrie une sorte de mélancolie appréciable mais pèche par sa chair trop intermittente - fallait-il laisser les couplets d’Alex Maas quasiment a capella ? Le robuste “Comanche Moon” soigne son enrobage de cordes gorgées d’orgue Hammond et gavées d’opiacés mais délaisse trop son aspect mélodique. “Estimate” invoque fort convenablement les fantômes d'Ennio Morricone au son d’une mélodie très lonesome cowboy mais irrite un poil par son bourdon aigu dissonant et ses motifs de guitare sèche redondants, et ses atours d’orgues n’y changent rien. Dès lors, on ne s’étonnera presque pas que le single “I’d Kill For Her” ait la fâcheuse manie de nous rappeler un Garbage d’antan qui peinerait à se réveiller de l’hibernation dans laquelle il serait resté des décennies durant. On pourrait encore citer quelques exemples, mais on se contentera simplement d’ajouter à ce palmarès un morceau vraiment indigent, “Death March”, capharnaüm psyché sonore même pas séduisant, juste hagard, bordélique et laid. Même le conclusif “Life Death”, passablement léthargique, ennuie aux entournures. Avouez que si l’on s’arrête là, le constat n’est guère brillant.
Mais parfois la sauce parvient encore à prendre, arrachant temporairement ses doutes à l’auditeur aux détours d’un “Hunt Me Down” balancé, entraînant sans se montrer putassier, joliment arrangé et jouant d’une basse fort bien mise en avant. Idem pour “Grab As Much (As We Can)”, et là encore c’est la quatre cordes qui tire à elle les éloges : la majesté de sa ligne, même sans génie outrancier, suffit à fédérer et à créer l’attrait. Sans doute touche-t-on là à l’un des facteurs qui contribuent à la moins value des Black Angels au cours de ces cinq dernières années : le départ de Nate Ryan et sa supplétion par le guitariste-claviériste Kyle Hunt, certes un élément moteur du groupe en terme d’écriture mais ne maîtrisant sans doute pas aussi bien cet instrument clé du psychédélisme aussi bien que son prédécesseur. Cette basse retorse qui est encore à la manœuvre sur l’arabisant “I Dreamt”, servi par un air saturé de résine canabinoïde au point qu’on en serait presque pris de vertige. Quant elle se contente de jouer les figurantes, la magie s’éloigne, à moins que toute l’armada sonore des Angels ne puisse encore venir à la rescousse (“Medicine”, captivant), et là, au milieu des guitares, des claviers, les potards tournés à bloc, la réverb’ grande ouverte, le chanteur en transe, alors là oui, il se passe quelque chose. Preuve que les Black Angels en ont encore dans le slibard, mais sans doute leur statut de chantres du rock psyché, la renommée qui leur est apportée par un Austin Psych Fest il est vrai devenu incontournable (et désormais exporté annuellement à Angers, avec Slowdive en guest de luxe pour cette édition 2017), leurs liens devenus meilleurs avec la presse, tous ces éléments ne les poussent peut-être pas suffisamment à se surpasser, à tout donner. Dommage, espérons que l’envie reviendra. Décidément, entre des Warlocks au point mort depuis des années, un Brian Jonestown Massacre toujours aussi abscons et de jeunes cadors (Tame Impala, Temples) qui préfèrent s’adonner à la pop, le rock psychédélique, le vrai, celui qui bastonne et qui assomme à grands coups de triques transcendantales, n’est plus vraiment à la fête en ce moment.