The Rolling Stones
December's Children (And Everybody's)
Produit par Andrew Loog Oldham
La discographie début sixties des Rolling Stones est un joyeux bordel. Entre les versions américaines et anglaises ( l’accent est mis sur les hits pour le marché américain avec un tracklisting différent), l’auditeur moderne peut s’y perdre facilement. Il est le reflet de l'appétit dévorant pour le marché américain de Jagger et Richards, qui ont très tôt su adapter leur production en fonction du public visé.
En décembre 1965, sort December’s children, constitué de morceaux déjà présents sur Out of our heads, leur précédent album, de titres lives enregistrés pour Got live if you want it et surtout leur toute première composition, interprété par Marianne Faithfull “As tears go by” en juin 1964. Bien loin de l’image provocatrice et violente que le groupe entend véhiculer, ce cocon de tendresse pop baroque a le mérite de donner confiance aux Glimmer twins en leur capacités d’auteurs-compositeurs. Ce palier franchi leur permettra de s’extraire du marécage Rythm’n’Blues où pataugent un nombre invraisemblables de combos anglais prêts à en découdre avec les sempiternels standards Blues, pour atteindre le firmament rock dévolu à quelques élus. Viendront quelques très bons singles à l’image de "Off the hook", "Last time", "Play with fire" jusqu’au thermonucléaire "(I can’t get no) Satisfaction" - les Stones auraient pu mourir juste après, on les citerait toujours aujourd’hui - sorti quelques mois avant December’s children. Ce disque est aussi l’antichambre du génie des Stones sur album puisque viendrait le fantastique Aftermath en avril 1966, concocté uniquement à base de créations originales. Un album à la croisée des chemins en quelque sorte.
Le tir de barrage Rythm’n’Blues "She said yeah" ouvre les hostilités avec des Stones plus enragés que jamais. La guitare cisaille méchamment et Jagger prend ses aises dans ce costume de petite frappe belliqueuse. Reprise qui égale presque l’original pétaradant de Larry Williams. En revanche, "Talkin’ about you" envoie carrément l’idole absolue de Keith Richards, Chuck Berry dans les cordes. Ce groove sensuel, racé métamorphose du tout au tout la version du père du Rock’n’Roll. "Route 66", en pleine captation live, roule carrément sur le public, atomisé par un solo furibard de Keith, en pleine furie proto-punk. Autre prestation scénique, la gentille pochade hillbilly de Hank Snow "I’m moving on" subit un lifting électrique à coups de giclées de slide titanesques sonnant comme une locomotive sur le point de dérailler. La messe était dite. Sur scène, les Stones des débuts piétinaient la concurrence.
Côté compositions originales, le groupe n’est pas manchot non plus. Nombre de groupes donneraient un rein pour sortir un single du calibre de "Get off of my cloud". Réponse cash de Stones agacés de tous ces presse-citrons qui réclament une suite à "Satisfaction". Portée par la batterie fracassante de Charlie Watts et le phrasé cockney du Jag, la vigueur juvénile du morceau file instantanément la pêche. "The singer not the song" est une émouvante ballade où les jeunes Richards et Jagger harmonisent joliment. Époque bénie où les deux jeunes hommes pouvaient rester dans la même pièce sans s’étriper, s’émancipant petit à petit du joug de Brian Jones. Le chant est un peu vert mais infiniment charmant. Puis vient la très affectée "As tears go by". L’histoire raconte que leur manager, Andrew Loog Oldham, était persuadé que la crédibilité de ses poulains passerait par les compositions originales (une énième preuve de son génie visionnaire). Echaudé de leurs tergiversations, Loog Oldham enferme Jagger et Richards dans une chambre toute une nuit avec pour seule mission de créer une chanson. Il émergera de cette intense séance de brainstorming, "As tears go by". Richards déclara par la suite, qu'à leurs débuts, écrire des morceaux énergiques à la Chuck Berry n'était pas chose aisée. Mais ils se sont bien rattrapés par la suite. Ils n'avaient pas le choix. Le train en route vers le succès ne passe qu'une seule fois et les Stones étaient prêts à s'y accrocher de toutes leurs forces, quitte à renier leur Blues chéri temporairement histoire de rester dans le coup.