10cc
Salle : Ancienne Belgique (Bruxelles - BELGIQUE)
Première partie :
Préambule
Il est piquant de parler de légitimité rock en novembre 2023, alors que le "nouveau" 45 tours des Beatles caracole en tête des charts aux côtés du "nouvel" album des Rolling Stones (1).
Afficher le nom de 10cc alors que le groupe ne compte plus que le seul Graham Gouldman (77 ans aux fraises), bassiste-compositeur-chanteur, comme membre d’origine, pourrait relever de l’abus de confiance.
Il faut croire que les rockers vieillissants n’en ont plus rien à faire de l’authenticité ; ils cherchent avant tout à faire tourner le moulin à souvenirs et alimenter leurs radotages ancestraux, tandis qu’ils crapahutent (qui en claudiquant, qui en traînant des pieds, qui en déambulateur, qui les mains crispées sur son sac-banane) vers la salle de spectacle. Où ils vont râler de concert parce que les sièges en velours rouge sont trop étriqués, parce que la lumière est trop tamisée ou parce qu’il n’y a pas de patère pour pendre son manteau et accrocher son chapeau.
Petits moments magiques au second degré
L’AB est une salle charmante qui ressemble exactement à ce qu’elle est : un bête parallélépipède rectangle. Vu l’âge moyen de la population attendue, la fosse a été réduite à sa plus simple expression pour permettre l’installation de quelques places assises supplémentaires.
La première partie débute à l’heure exacte (ça tombe bien : le troisième âge adore l’heure exacte, comme si ça avait plus d’importance quand on sait que le bon temps est compté). Une demi-heure durant, un ersatz flamand de Jeff Buckley va patiemment casser les oreilles de l’auditoire en proposant un répertoire assez pénible, composé de ballades accompagnées d’arpèges convenus à la guitare électrique. Une partie de l’auditoire se réveille vaguement à la fin du set lorsque le bonhomme bricole une reprise de Bruce Sprinsgteen.
Puis, une fois encore à l’heure exacte, 10cc (c’est-à-dire Graham Gouldman et ses quatre musiciens) débarque sur scène.
Il subsistera toujours un immense malentendu entre 10cc et son public non-anglophone ; c’est que le groupe anglais pratique un second degré conceptuel absolu qui est indéchiffrable pour ceux et celles qui ne maîtrisent pas le langage de la Perfide Albion. Le groupe (2) est déjà né d’un métissage entre deux duos improbables : Gouldman & Stewart pour l’ancrage commercial popisant et Godley & Creme pour la composante intellectuelle et expérimentale. Le mariage a forcément provoqué d’étranges étincelles et engendré une discographie décalée, truffée de pépites historiques. 10cc était aussi compétent musicalement que Queen dans son âge le plus progressif et autant avisé que les Sparks dans le domaine de la cornichonnerie intellectuelle à vocation cinématographique.
Pendant toute la durée d’un set, à la fois nuancé et très énergique, les spectateurs chenus (mais ravis) vont avoir le privilège d’entendre une kyrielle de titres familiers interprétés avec une maestria confondante. C’est qu’il n’y a rien de linéaire chez 10cc ; les morceaux les plus emblématiques sont tous caractérisés par des breaks, des ruptures de ton, des contrastes d’harmonies, des chœurs impossibles et des contrepoints. Les cinq gaillards assurent le boulot avec un professionnalisme bon enfant et un enthousiasme communicatif. Affable comme peut l’être un vieil anglais, Graham Gouldman se fend de commentaires (souvent au vingt-cinquième degré) entre ses compositions les plus emblématiques, poussant l’humour jusqu’à annoncer le plus sérieusement du monde, l’arrivée sur scène de Brian May pour jouer le solo sur "Floating In Heaven".
De "The Wall Street Shuffle" à "Life Is A Minestrone", de "Good Morning Judge" à "The Things We Do For Love", en passant par "Dreadlock Holiday", "I’m not In Love", "Life is A Minestrone" ou une géniale version a capella de "Donna"), 10cc retrace une discographie truffée de gemmes (3) pour le plus grand bonheur d’un public souriant et gentiment conquis.
Lorsque les lumières se rallument, chacun et chacune rallie la sortie à petits pas en méditant sur ce texte prophétique et évident : La vie est un minestrone / Servi avec du parmesan / La mort est une lasagne froide / Égarée dans le congélateur…
That’s All, Folks !
(1) Le point commun entre les deux opus est évidemment qu’au moment de la sortie de ces disques, les deux groupes ne comptent plus que deux membres originaux, actifs et vivants, dans leurs rangs respectifs.
(2) Le nom retenu par le quatuor – 10cc – vaut déjà son pesant d’humour british puisque les dix centimètres cubes dont il est question représentent un volume de sperme.
(3) Mon seul regret restera de n’avoir pas entendu "One Night in Paris" qui est mon préféré du répertoire de 10cc.