
5 sur 5 - Episode 1 (Daniel)
1955, 1965, 1975, 1985, 1995, 2005, 2015, 2025 : Rétrospective des albums qui ont marqué les membres de la rédaction.
Il est curieux de constater que la cinquième année d’une décennie rock marque souvent une césure. Il y a alors une première moitié de décennie, puis une année en cinq et, ensuite (ou enfin) une seconde moitié de décennie qui est différente de la première.
1955 – Frank Sinatra – In The Wee Small Hours

Le rock vient de naître. On va l’appeler ‘n’Roll. Une année charnière. La musique binaire n’a pas encore accouché d’un seul album. Mais le jazz orchestral, au sommet de son art, nous livre une curiosité. Frank Sinatra, flanqué de l’arrangeur et chef d’orchestre Nelson Riddle (l’inventeur du futur thème de The Batman), imagine le premier album concept de l’histoire (si l’on exclut la musique classique).
In The Wee Small Hours décrit par le menu la douleur d’un homme qui vient de voir la femme de sa vie claquer la porte. Pour toujours. En 1955, voir partir Ava Gardner, sublime femme fatale parmi les sublimes femmes fatales, était forcément une tragédie sans nom. Le genre de tragédie qui ne peut conduire qu’au désespoir. Ou devenir une œuvre conceptuelle… Bref, il y aura un "avant 55" et un "après 55".
Film à voir en 1955 : La fureur de vivre de Nicholas Ray avec James Dean.
Évènement de 1955 : arrestation de Rosa Parks.
1965 – The Beatles – Rubber Soul

Le rock a dix ans. Et il va déjà quitter l’enfance. Rubber Soul. Six fois platine aux Etats-Unis. Six fois. 1965 est une année charnière d’une richesse incroyable. Né aux USA, le rock est soudainement naturalisé britannique. Et il gagne un peu en maturité (entre adolescence et jeunesse débridée), en pilosité et en psychédélisme. Les premières minijupes fleurissent dans la vitrine du Bazaar de Mary Quant. Londres bouillonne et certaines vapeurs qui s’échappent du chaudron se font lysergiques. The Beatles, après avoir été le premier "Boys Band" du monde rock, inventent un art nouveau qui va bouleverser l’ordonnancement du monde et lancer une révolution culturelle. Ce que l’on appelait encore "la Pop" devient une "façon de penser" dans laquelle se retrouve une jeunesse en recherche légitime de repères n’appartenant qu’à elle.
Film à voir en 1965 : Et pour quelques dollars de plus de Sergio Leone avec Clint Eastwood.
Évènement de 1965 : assassinat de Malcolm X.
1975 – Pink Floyd – Wish You Were Here

Le rock a vingt ans. Et, déjà, il souffre d’une absence. Celle de l’ami. Celle du frère. Celle de l’être aimé. Ou, simplement, celle de l’autre. Ca sent la fin de règne d’une utopie. C’est le temps des premières immenses désillusions. Et le follow up de The Dark Side Of The Moon prend les allures d’un constat flippant sur le monde d’alors : Nous ne sommes que deux âmes perdues qui, année après année, tournent en rond dans le bocal d’un poisson rouge (plage titulaire). Tout est dit. Déjà. Si tôt. Mais ça reste pertinent cinquante années plus tard...
Film à voir en 1975 : Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman avec Jack Nicholson.
Évènement de 1975 : fin de la guerre du Vietnam.
1985 – Marillion – Misplaced Childhood

Le rock a trente ans. Alors il commence à s’interroger sur ses primes années. Un sublime album conceptuel qui évoque à la fois la perte des innocences enfantines, les ruptures amoureuses et une certaine foi en ce qu’il pourrait encore advenir. En ces temps ancestraux, Fish est le maître-artisan d’un groupe qui est quasiment le seul à encore incarner un style promis à disparaître avec la fin des seventies. L’homme est génial. L’artiste aussi. Le showman l’est tout autant. Et les musiciens fidèles à sa cause élèvent le niveau de ses compositions vers des sommets absolus qui ne seront plus égalés.
Film à voir en 1985 : Brazil de Terry Gillam avec Jonathan Pryce.
Évènement de 1985 : affaire du Rainbow Warrior.
1995 – Bruce Springsteen – The Ghost Of Tom Joad

Le rock a quarante ans. A ce moment de la vie, lorsque les desseins de l’enfance et de la jeunesse se muent définitivement en souvenirs naïfs, l’on peut éprouver le sentiment que le monde est forcément plus "riche" ailleurs. Et l’on rêve de partir vers sa Californie. Même si, la plupart du temps, le rêve se fait cauchemar. C’est ce que le Boss (guitare et harmonica) conte dans cet album intimiste, probablement trop "littéral" (dans ses références explicites et "dévotes" à John Steinbeck) et désespérément dépourvu de toute légèreté. Mais la patine du temps lui donne tout son lustre. C’est bien là le paradoxe des œuvres magistrales.
Film à voir en 1995 : Apollo 13 de Ron Howard avec Tom Hanks.
Évènement de 1995 : Rosa Parks participe à la Million Man March.
2005 – Paul McCartney – Chaos And Creation In The Backyard

Le rock a cinquante ans. Et, 36 ans après le canular imbécile de Russ Gibb qui l’avait déclaré mort (et remplacé par un sosie depuis 1966), Paul McCartney signe probablement sa meilleure œuvre en solo (avec Ram en 1971 mais c’était en duo avec Linda Eastman). Évidemment que c’est un disque de vieux. Mais c’est aussi un opus "moderne" parce qu’il n’y a pas d’âge pour aimer le thé et parce que Nigel Godrich a eu carte blanche pour la production. Et ça s’entend. Un petit bonheur perché au cœur d’une décennie où l’on croyait encore que le monde allait "aller mieux".
Film à voir en 2005 : Walk The Line de James Mangold avec Joaquin Phoenix.
Évènement de 2005 : création de YouTube.
2015 – Muse – Drones

Le rock à soixante ans. Musicalement, 2015 est une année indigente. Alors, choisir un album qualifié de "moyen" reflète bien la relative indigence du cru. Mais, finalement, Drones aura bien mieux vieilli que les critiques qui l’ont cueilli à froid à sa sortie. Comme il est difficile d’être (aimé) et d’avoir été (aimé), Muse va en effet expérimenter la "haine critique de principe". A partir de Drones, les albums du groupe seront systématiquement accueillis par des commentaires assassins empruntant tous le même moule. Ce qui n’empêchera pas le public de plébisciter le groupe ! J’aime ce public.
Film à voir en 2015 : Seul sur Mars de Ridley Scott avec Matt Damon.
Évènement de 2015 : attentat au siège de Charlie Hebdo.
2025 – Sparks – Mad!

Le rock a soixante-dix ans. Est-ce que l’art que l’on aime s’adapte à nos états d’âme ou est-ce que nos états d’âme s’accordent instinctivement à l’art que l’on aime ? Peu importe. L’humour marxiste (tendance Groucho) de Sparks se fait grinçant pour décrire un monde tel que je le vis en 2025. Un monde qui renie mes valeurs (probablement utopiques). Un monde où un agent orange demeuré, un tsar obtus, un marchand de voitures facho et quelques dictateurs du dimanche font notre quotidien en vomissant leur bile sur le droit supranational. Un monde qui me fait craindre pour l’avenir. Pas le mien. Ma vie à moi est bouclée. Mais l’avenir des petits rockers qui grandissent à ma suite. Qu’ils soient ou non de mon sang. Vous chantez doucement et ça résonne comme si le monde touchait à sa fin… ("Lord Have Mercy"). Courage, les gars !
Film à voir en 2025 : L’accident de piano de Quentin Dupieux avec Adèle Exarchopoulos.
Évènement de 2025 : Rihanna débarque en Schtroumpfette à Bruxelles.