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Interview d'Henri Vaugrand - Frog Prog - Musiques progressives en français


François, le 24/11/2023

Commençons par une question basique : comment t’est venue l’idée de ce livre ? Il me semble que c’est un projet longuement mûri,,non ?

Au départ, il y avait l’idée de faire un livre sur le rock progressif français, mais quelqu’un d’autre en a écrit un entre-temps (rire). J’ai par la suite décidé de me concentrer sur le rock progressif francophone en particulier, afin de rendre hommage à ses qualités et ses spécificités, et d’ouvrir sur le rock progressif québécois (ou plus largement sur le rock progressif canadien francophone). Je voulais montrer en quoi ce courant s’est battu pour exprimer des choses dans sa langue tout en s’inscrivant dans un style musical anglo-saxon.

 

Si tu devais le résumer brièvement, quel est ton grand objectif avec cet ouvrage ? Ce n’est pas une histoire, ni une esthétique. Un tableau ? Une cartographie ? La lettre d’amour d’un mélomane ?

Il y a un peu de tout ça. Je ne voulais pas faire un ouvrage historique, ni une démonstration d’érudition.  Plus modestement, j’espère "ouvrir les chakras" de ceux qui aiment le rock progressif (et au-delà) pour les amener à découvrir ou redécouvrir des albums et des artistes parfois oubliés et qui pourraient trouver là un motif pour les écouter. Cela me permet aussi de mettre en avant les filiations entre cette niche esthétique et l’ensemble du courant rock en français.

 

Pour autant, il y a bien trois grandes parties chronologiques. Peux-tu expliquer le choix de ces scansions ? Sont-elles valables dans l’ensemble des espaces ?

Ce sont les trois périodes qui font consensus au sein de la littérature progressive, même si j’aurais pu  diviser la dernière en plusieurs sous-parties. Il y a l’âge d’or (les 70’s), le creux de la vague puis le renouveau à partir des années 1990. Il est notable que les grands groupes français et canadiens, Ange et Harmonium, subissent cette bascule dans les années 1970 - Harmonium disparaît et Ange se transforme avec le départ de ses musiciens historiques et c’est  justement à ce moment-là qu’il y a une transition. Cela me permet donc de replacer les groupes dans un contexte musical dont ils ne sont pas les "moteurs" comme dirait Ange, et les lecteurs peuvent ainsi intégrer ce courant dans les grandes scansions historiques. Pour autant, les meilleurs albums ne sortent pas forcément durant l’âge d’or et quelques opus – je tairai les noms – considérés comme des chefs-d’œuvre n’en sont pas, même s’ils ont leur importance dans la dynamique générale. C’est pourquoi j’ai voulu équilibrer les périodes.

 

Il y a cent chroniques dans ton livre. Comment as-tu opéré tes choix au sein de la discographie ?

Je vais prendre deux exemples parlants. J’ai beaucoup hésité pour Ange, entre Au-delà du délire et Guet-Apens. Le premier est canonique, il définit l’esthétique du groupe et c’est le plus abouti de leur discographie. Le second est un album charnière qui est selon moi aussi bon que le premier, même si à l’époque, j’avais eu du mal lors de la tournée Guet-Apens et je ne l’ai apprécié que plus tard. Or, si j’avais eu à faire un choix personnel, j’aurais pris Par les fils de Mandrin parce qu’il est associé à mon premier concert d’Ange.

C’est un peu différent pour Atoll. On considère souvent L’Araignée Mal, voire Tertio qui a eu plus de succès, comme étant leur meilleur album mais j’ai choisi Rock Puzzle pour faire un pied de nez. J’aime les albums réalisés par des artistes dans la difficulté qui arrivent pourtant à faire quelque chose d’intéressant : Rock Puzzle est la synthèse quasi impossible entre pop et prog’. Ils ont senti ce qu’il se passait dans le monde musical et ils essayent de s’y adapter, au point de travailler juste après avec Wetton (Atoll bis aurait pu devenir Asia). C’est aussi pour ça qu’avec Grandval, on a sorti une reprise issue de cet album ("La Maison de Men-Tää"). Il en va de même pour mes choix concernant Harmonium et Gens de la Lune. En résumé, j’ai louvoyé entre les albums importants, ceux que je considère comme essentiels et ceux qui me permettent d’ouvrir des perspectives.

 

Tu parles de « chroniques transatlantiques » parce que ton livre concerne à la fois le Québec et la France. Le Canada francophone a en effet connu une scène importante, très différente de celle du Canada anglophone qui est plus proche de l’esthétique des États-Unis en la matière. Y a-t-il des différences entre ces deux scènes francophones ?

Durant l’âge d’or, les artistes québécois ont une approche politique que n’ont pas les Français, ils sont tous peu ou prou impliqués ou intéressés au mouvement nationaliste qui porte non seulement la question de l’autonomie mais qui concerne aussi la politique culturelle, l’écologie... Ils participent à des rassemblements avec des chanteurs reconnus de la scène québécoise qui sont plus proches de la variété. En outre, ce lien entre prog et variété fut plus important au Québec qu’en France, à l’exception d’épisodes comme celui entre Ange et Johnny et bien que les musiciens progressifs français furent ensuite exploités par le monde de la chanson. En outre, le Québec est une région peu peuplée par rapport à la France, et pourtant, il a produit une scène dense et reconnue internationalement.

 

Il y a par contre peu de choses sur la Suisse ou la Belgique francophones ? Est-ce dû à une méconnaissance ou à la faiblesse de la production locale ?

Leur scène est plus faible d’une part à cause de la taille des pays et de leurs régions francophones, et d’autre part parce que la langue française n’est pas une évidence dans un contexte plurilingue (les Belges choisissent beaucoup l’Anglais, comme Now par exemple).

L’idée n’était pas non plus de faire une collection exhaustive, j’en profite pour m’excuser auprès des groupes et artistes absents et pour rappeler qu’il y a une discographie complémentaire associée à chaque chronique et une liste de cent albums supplémentaires en fin de livre.

 

Question un peu plus personnelle : quel est ton rapport au rock progressif en français ? En écoutes-tu depuis longtemps ? As-tu toujours été convaincu de la pertinence du français, plutôt que de l’anglais, pour faire du rock quand bien même est-il progressif ?

J’ai beaucoup varié à ce sujet. Je suis tombé dans la marmite assez jeune même si j’étais aussi intéressé par la scène internationale (Yes, King Crimson). J’ai ensuite connu une période où j’ai arrêté d’écouter du rock progressif avant d’y revenir petit à petit au point de vouloir en composer. Quand j’ai lancé Grandval, le projet devait être en anglais, puis après réflexion, j’ai compris que le français était le meilleur moyen d’exprimer ce que je voulais (même si cela pourrait changer à l’avenir). Selon moi, dire qu’on a baigné dans la musique chantée en anglais ou en français n’est pas un argument suffisant pour faire le choix d’une langue ou d’une autre, il faut avoir des raisons profondes, chercher une intention, une esthétique particulière, et le choix du français s’explique par cela. Mais c’est une question complexe… Je suis en l’état perplexe par rapport à la conclusion exprimée dans le livre à ce sujet : je me suis dit qu’il y avait une lueur pour un renouveau du rock progressif chanté en français mais je m’aperçois que la réalité du marché rend les choses soit très compliquées soit carrément  impossibles.

 

S’intéresser au rock progressif en français implique d’être attentif aux paroles et donc… d’avoir de grands paroliers…

Bien sûr, il y a Christian Décamps et Serge Fiori, parce que ce sont des gens qui ont puisé dans la littérature et chez les grands chanteurs (Brel, Félix Leclerc…), ainsi que Pierre-Yves Theurillat de Galaad.

 

Mais n’est-ce pas une qualité intrinsèque à la scène prog ? Je pense à Sinfield pour King Crimson, à Peter Hammill, ou PFM avec Fabrizio de André.

C’est vrai, les Anglais ont aussi adopté cette écriture poétique. La différence est que le public anglophone a bien perçu cette volonté de la part de ses artistes alors que le public français me semble être passé à côté de cette dimension. Je m’interroge : pourquoi cela n’a pas aussi bien fonctionné ?

 

Tu as choisi d’intégrer de nombreux exemples tirés de la chanson française et de la variété, de façon assez convaincante d’ailleurs. Tu peux revenir sur ces choix et peut-être en évoquer un ou deux ?

Il y a une différence entre le Québec et la France à ce sujet. Robert Charlebois peut être considéré comme prog’ au Québec mais pas en France, où c’est un artiste de variété et de chansons. C’est un peu la même chose pour Thiéfaine, pourtant très prog’ dans l’esprit sur ses premiers albums, mais considéré comme un chanteur comique dans un premier temps avant qu’il ne décide ne cesser d’être l’amuseur au nez rouge. C’est pour cela que j’ai choisi un album charnière de sa discographie, qui marque le passage d’un style à l’autre. Pour Manset ou Sheller, j’ai choisi des albums sur lesquels ils prennent des risques, et pour Noir Désir, même si le sujet est glissant, j’ai chroniqué leur dernier opus qui, pour moi, est le plus abouti. Le dernier titre avec Brigitte Fontaine, le plus long de leur répertoire par ailleurs, est le moins aimé des fans, mais textuellement et musicalement c’est très fort. Noir Désir a baigné dans le prog’ et ça se sent (je les ai vus reprendre King Crimson sur scène). Mais c’est passé inaperçu du côté du public, qui ne connaît peut-être pas le rock progressif ou qui n’a pas creusé ses influences.

 

Et il y a des ponts entre variété et rock prog’ : Eddy Mitchell et Magma ou Goldman dans Taï Phong. Il y a aussi Bahamas et Christophe.

C’est l’exemple le plus parlant, d’autant plus que le groupe fait le pont entre les deux dimensions en poussant la dynamique progressive déjà présente chez Christophe tout en étant dans le pré-AOR progressif.

 

Tu as choisi de te limiter à un album par groupe, mais Ange revient souvent dans les chroniques. C’est un modèle pour l’ensemble de la scène ?

Il y a toujours, surtout dans les scènes underground, quelqu’un qui arrive à capter l’attention des maisons de disque prêtes à prendre des risques et à faire des paris commerciaux. Il fallait une tête de pont, ce fut Ange en France et Harmonium au Québec, à partir desquels tous les artistes se sont peu ou prou situés. Les scènes underground sont comme l’extrême gauche, avec des scissions et des dualités – à l’époque, on opposait Ange pseudo-Genesis et Atoll pseudo-Yes.

Néanmoins, quoi qu’en dise Décamps à propos d’Ange comme étant le "groupe le plus célèbre à être passé inaperçu", le groupe a bénéficié du soutien de RTL, de Best, de Drouot, de Philips (même sur Les Larmes du Dalaï-Lama) : à l’échelle d’une scène réduite, c’était la tête d’affiche et le public a tendance à comparer les autres avec ce groupe leader. De plus, Ange a assumé ce rôle en produisant d’autres groupes, pris des premières parties…

 

Tu parles beaucoup de RIO ou assimilé, de rock expérimental ou bizarre. C’est une scène vivante mais marginale. Tu peux en parler ?

Si je m’accordais à ce qu’en pensent un certain public et certains artistes, ces albums n’auraient pas dû figurer dans ce livre car ils ne se considèrent pas comme progressifs. Mais dans le sens originel du terme « progressiste », ces musiques et les artistes qui les portent, je pense à Jack Dupon ou à Poil par exemple, sont ceux qui défendent le mieux cette tradition alors que les artistes étiquetés prog’ sont parfois dans la seule célébration d’une époque révolue. L’organisation de ce courant en tant que scène underground explique son succès et sa résistance.

 

Est-ce que tu as des regrets de groupes absents, à cause de paroles en anglais ou en  kobaïen, d‘une musique excellente mais de paroles peu intéressantes ?

L’Affaire Louis’ Trio et l’album Mobilis in mobile, un des meilleurs albums en français de la période, qui n’a jamais été considéré comme prog’ et que j’ai laissé à l’écart car j’en aurais dit trop de bien par rapport au reste. Il y a aussi peu de groupes « metal » car ils chantent souvent en anglais. J’avais pensé intégrer le dernier Manigance mais ils ont sorti une version en anglais, ce qui m’a fait douter de leur intention artistique quant au choix du français, même si l’album est très bon. Je n’ai pas parlé de certains groupes qui sont passés du français à l’anglais pour développer leur esthétique complète, comme Monnaie de Singe par exemple.

 

Parlons technique. Certaines chroniques sont remaniées à partir d’anciens textes écrits pour Big Bang, c’est l’occasion de préciser que tu es également chroniqueur dans ce magazine. Y a-t-il une difficulté à reprendre des textes destinés à un autre format ?

On pourrait penser qu’il suffit de faire un copier-coller mais c’est un travail complexe pour faire correspondre un texte au nouveau format. Parfois, j’ai choisi de chroniquer un autre album au sein de la discographie d’un groupe alors que j’avais chroniqué certains de leurs disques, j’ai même réécrit complètement certaines chroniques. 

 

Tu as également le chapeau d’acteur de la scène sous le nom de Grandval. Est-ce difficile de jouer sous ces deux profils, d’être à la fois chroniqueur-auditeur et musicien ? Ce que tu recherches en tant qu’artiste est-il similaire à ce que tu cherches en tant que chroniqueur ? Essayes-tu de séparer les magistères ?

Je navigue entre les deux, avec plus ou moins d’aisance. C’est difficile par moments et c’est pour cela que certains choix ont été opérés via des critères "objectifs", si tant est qu’on puisse être objectif en matière de musique, et d’autres sur des critères plus personnels, même si j’ai parfois enlevé des albums que j’adore. Alors évidemment, j’aime mes albums (Grandval) donc j’aurais pu les chroniquer, mais cela aurait pu choquer et je ne voulais pas faire d’autopromotion. Je voulais parler de la musique des autres mais il est difficile d’être péremptoire quand on est soi-même l’objet de critiques. J’ai essayé d’être magnanime dans mes jugements et élégant dans mes remarques.

 

En passant, quelles nouvelles pour Grandval ?

Pas grand-chose pour l’instant. Il y a une vraie la difficulté à se produire sur scène, qui concerne l’ensemble du rock progressif en français. On a vu un concert de JPL annulé récemment, faute de public. Il faut prendre le temps de la réflexion. La passion ne fait pas tout et épuise. Certains s’en sortent – Lazuli – ou chantent en anglais (Carducci). Il y a en plus des situations différentes entre les amateurs et professionnels : nous avons un batteur intermittent qui a besoin de jouer, mais nous voulons composer d’autant qu’on n’est pas forcément invités pour les concerts ou festivals, qui disparaissent un à un. La période est plutôt à la réflexion qu’à l’action mais il peut y avoir des surprises…

 

Et en tant qu’Henri Vaugrand, je crois savoir que tu ne comptes pas t’arrêter là ?

Tu es bien placé pour savoir qu’une fois le premier livre écrit sur le sujet, on veut tout de suite en faire un autre. J’avais deux projets, il y en a un en cours d’écriture, qui est assez bien avancé. Ce sera sous la même forme mais sur une autre scène, en tant que chroniqueur je me suis penché sur des courants qui méritent qu’on en parle plus profondément. Je n’en dirai pas plus pour l’instant (rire).

 

Pour finir, six albums, trois français et trois québécois !

Parmi ceux chroniqués et pour attiser les curiosités :

Pour la France : Sebkha-Chott – De l’existence de la mythologie chottienne en 7 cycles, Rosa Luxemburg – Chapitre III – Seuls / Chapitre IV - Ensemble, Jack Dupon - Démon hardi.

Pour le Québec : Ère G – Au-delà des ombres, Jelly Fiche – Tout ce que j’ai rêvé, Vecteur K – Incident au café.

 

Lire la chronique du livre

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