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The Beach Boys - The Smile Sessions


Nicolas, le 04/04/2012

Pet Sounds ou la quête de l'album ultime

Il est inutile de chercher à appréhender les Smile Sessions publiées le 1er novembre 2011, soit près de 44 ans après leur enregistrement, sans avoir auparavant assimilé le contexte de leur création. Ce contexte c'est celui d'une guerre bien plus importante que celles auxquelles se livrèrent Oasis et Blur, les Sex Pistols et les Clash ou les Beatles et les Stones. Il s'agit de l'affrontement opposant les Beach Boys et les Beatles dans la quête de la création de l'album pop insurpassable en puisant l'inspiration dans l’œuvre de l'adversaire. Par Pierre D


Les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Parfois elles ne se valent même pas. Dire cela à propos des années 60 est un cliché éculé mais toujours valable. Cependant il y a deux manières de comprendre cette assertion : la bonne et la mauvaise. La mauvaise consiste à penser que les époques ne se valent pas et que les sixties ont été une période inégalée dans l'histoire de la pop car on y aurait écrit des chansons géniales au regard desquelles toute la suite n'aurait été que plagiat et décadence. C'est évidemment faux, de grandes chansons ont été écrites à toutes les décennies et pour peu qu'on considère que les Beatles n'étaient qu'une bande de tarlouzes rosbifs et que Pink Floyd c'est de la musique paresseuse pour fumeurs de ganja, on peut légitimement penser que les années 90 avec leurs baggys, leurs grosses guitares et leurs rythmiques funky ont davantage à offrir. La bonne manière d'appréhender le cliché des sixties est de considérer qu'en termes d'innovation la pop n'a jamais connu telle émulation depuis. Les années 60 (avec la période 1976-1982) sont le dernier moment où la pop avance à pas de géant sans aide extérieure. À partir des années 80 les innovations seront liées aux avancées technologiques (synthétiseurs, Musique Assistée par Ordinateur) mais la pop se nourrira d'influences diverses et la nouveauté sera plutôt à trouver du côté du hip hop (pour reprendre l'exemple des années 90). La fin de la 7e décennie du 20ème siècle est donc peut-être le dernier instant d'autosuffisance de la pop.


En 1965 au jeu de l'innovation visant à amener la pop aussi loin que possible, les deux challengers sont assurément les Beach Boys et les Beatles. Bien sûr The Who et The Kinks existent mais ils apparaissent plus comme des savants travaillant dans une "niche" anglaise (leur conquête des États-Unis devra attendre le début des années 70). Les Rolling Stones sont à part car ils ont dès leurs débuts quitté le champ restrictif de l'innovation pop pour inclure dans leur carrière la dimension de provocation (totalement absente chez les Beach Boys) comme frontière à repousser sans cesse et plutôt que de chercher à innover ils commencent dès 1968 à labourer le même sillon encore et encore.
Les parties en présence sont donc les Beatles et les Beach Boys. L'idée de bataille/émulation réciproque entre eux est assumée par les protagonistes. En 1965 les Beatles publient Rubber Soul et Brian Wilson déclare à sa femme après l'avoir écouté "Marilyn, I'm gonna make the greatest album ! The greatest rock album ever made !" Il règne donc un climat où se mêlent concurrence et saine émulation. Chaque nouvel album des Beatles engendre chez les Beach Boys (surtout Brian Wilson) satisfaction tout autant que frustration. Satisfaction de voir un nouveau palier franchi car Rubber Soul constitue pour Wilson le premier moment dans l'histoire de la musique pop où le défi n'est plus focalisé sur la composition de singles à succès mais sur la conception d'un album dégageant un sentiment d'unité. Frustration car chaque nouveau coup de l'adversaire appelle une réponse.


La réponse de Brian Wilson à Rubber Soul sera Pet Sounds : les chansons se font plus sophistiquées, les thèmes plus intimistes. Pet Sounds est un pur produit de studio. Il établit de nouveaux standards pour la musique pop, un nouvel Everest auquel se mesurer, fait d'harmonies vocales complexes et d'arrangements mêlant theremin et sonnette de vélo. Mais le monde est-il prêt pour cela ? La bataille se joue entre deux entités musicales mais qu'en est-il de la réception du produit de cet affrontement par la population mondiale qui achète les disques ? Les membres des Beach Boys eux-mêmes sont décontenancés par ce changement de forme et de fond qu'a subi leur musique. La maison de disques Capitol ne sait pas comment vendre cette cathédrale sonore intime dépourvue de single permettant au public de l'appréhender en faisant la transition entre l'ancien et le nouveau style du groupe. En résulte une relative déception quant aux ventes de l'album. Mais peut-être ce disque ne s'adressait-il qu'à une entité : les Beatles. Dans ce cas la réception par les destinataires est à la hauteur. Paul McCartney en particulier reconnaît dans Pet Sounds un jalon essentiel de la musique : "I figure no one educated musically 'til they've heard that album". Voilà pour la satisfaction. Côté frustration, la balle est désormais dans le camp des Beatles.


Pet Sounds constitue une nouvelle base de travail pour McCartney : "I've often played Pet Sounds and cried. I played it to John (Lennon) so much that it would be difficult for him to escape the influence. It was the record of the time". Aux Beatles donc de digérer et se réapproprier le travail des Beach Boys dans un jeu de ping-pong créatif. Ce jeu dépasse d'ailleurs les groupes pour atteindre la musique populaire dans son ensemble. Les Beatles et les Rolling Stones ont d'abord publié des disques essentiellement constitués de reprises de morceaux de blues ou de rythm n' blues composés par des musiciens américains. C'est par le biais de sa réappropriation par les Britanniques que les Américains découvrent leur propre patrimoine musical. Cette version des chansons venues des États-Unis déformée par le prisme de l'identité musicale britannique est ensuite réinjectée dans la musique américaine via les groupes du cru. Quand les Beach Boys reprennent la chanson folk américaine "Sloop John B." sur Pet Sounds ils explicitent leur volonté de s'inscrire dans leur filiation nationale mais leur version du titre n'a pu voir le jour que parce que Brian Wilson avait auparavant entendu les Beatles et leur nouvelle approche de la chanson pop, lui imposant des frontières ouvrant sur un horizon toujours plus vaste. L'émission spéciale Beach Boys diffusée à la TV en 1985 portera ainsi le titre The Beach Boys : An American Band. Il s'agit pour les Beach Boys comme pour les Beatles de s'inscrire dans un passé pour dessiner les lignes d'un futur musical.


En 1966-1967 les Beatles doivent répondre à la missive que les Beach Boys leur ont personnellement adressée depuis l'autre côté de l'Atlantique. Cette réponse est formulée par Paul McCartney comme "Le Sergent Poivre et son orchestre des cœurs esseulés". Les Beatles sont à ce moment détachés des enjeux de la scène puisqu'ils ont décidé d'arrêter les tournées, le matériel d'amplification de l'époque ne leur permettant pas de restituer correctement leurs chansons (paraît-il qu'il n'arrivait pas non plus à couvrir les cris du public). Pet Sounds était un produit de studio qui avait néanmoins vocation à être reproduit sur scène tandis que Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band ne vaut que pour lui-même et en lui-même (lire, sur ce sujet, l'article de Pacôme Thiellement Beyond the Valley of a Day in the Life : Les Beatles, les Beach Boys et la sortie de l'Histoire). Les Beatles inventent le studio comme instrument de musique. Ils prennent les éléments apportés par les Beach Boys et les mènent à leur paroxysme de sorte qu'après eux, le déluge. Les Beach Boys avaient réussi à extraire le single "God Only Knows" de l'unité Pet Sounds mais les Beatles refusent de tirer un single de Sergent Pepper. L'album du Sergent Poivre est créé en studio et son existence ne pourra se diffuser que via les disques et l'imagination des auditeurs, les Beatles ayant cessé de se produire sur scène (chez les Beach Boys seul Brian Wilson ne part plus en tournée). Pet Sounds expose une nouvelle manière pour les Beach Boys de construire leur musique où les riffs de guitare surf ont disparu, Sergent Pepper repose quant à lui presque entièrement sur le couple basse-batterie pendant que la guitare assume un rôle uniquement rythmique.


Mais là où Sergent Pepper dépasse de manière objective Pet Sounds c'est qu'il est couronné d'un succès public à sa sortie. Pet Sounds est encensé par la critique lors de sa parution mais il ne rencontre pas l'adhésion des foules. A contrario Sergent Pepper est loué partout et se vend énormément aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Europe, en Afrique, au Japon et en Australie. Le critique du Times Kenneth Tynan le qualifie de "decisive moment in the history of Western civilization" (affirmation qui semble s'être vérifiée par la suite). Il faut dire que Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band s'inscrit dans son époque autant qu'il l'anticipe (puisque sa création précède sa parution). Il arrive en 1967 : Summer of Love, optimisme béat hippie, explosion créative... Le disque des Beatles synthétise tout cela et peut donc entrer en résonance avec les aspirations du public autant qu'il peut faire naître les aspirations en question.
Au moment de la parution de Sergent Pepper Brian Wilson est déjà en train de travailler sur ce qui doit être "a teenage symphony to God", ou comment vouloir amener la pop, cet art à destination du grand public adolescent, à un niveau transcendant. Le corpus Penny Lane/Strawberry Fields Forever+Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band est le coup de grâce pour le compositeur/producteur des Beach Boys. Dans un état mental déjà passablement délabré, Brian Wilson reçoit le choc fatal en écoutant la nouvelle partie de l’œuvre des Beatles. Dans cette bataille pour la suprématie pop il capitule et les Anglais gagnent la guerre. Avec le temps le rapport de forces s'est rétabli. Pet Sounds a été réhabilité et il est de bon ton de pointer les défauts du disque des Beatles (extrême candeur, morceaux dispensables) pour lui préférer Revolver. Les Beach Boys ont tout de même perdu la guerre puisque personne aujourd'hui ne se souvient même des titres des albums qui ont suivi l'abandon du projet Smile. Les Wild Honey, Friends ou Sunflower (à l'exception peut-être de Surf's Up) sont éclipsés par l'ombre que laisse le chantier inachevé Smile. Il ne sera jamais publié, le Smile de Brian Wilson est un ersatz réchauffé sans saveur. Quant aux Smile Sessions qui ne sont présentées que comme des sessions, des instants captés, et non pas comme un travail fini, elles existent avant tout pour leur valeur encyclopédique (et pécuniaire).

Lire la critique de Pet Sounds
En savoir plus sur The Beach Boys, The Beatles,
Commentaires
Arbitre, le 27/09/2020 à 05:34
Les Beatles n'ont pas attendu "Sgt Pepper" pour découvrir le LSD. C'est au tournant 1965/66 que d'abord Lennon et Harrison ont fait leurs premières expériences. Lennon en parle dans "Dr Robert" sur "Revolver". Mac Cartney s'y est mis plus tard, peut-être à l'automne 66, sous la pression des deux autres. Il a par contre été le premier à l'avouer publiquement pendant une interview mi-1967, entre la sortie de "Sgt Pepper" et le tournage de "Magical mystery tour". Pour Wilson (comme pour Lennon du reste), il y avait déjà un contexte malsain dans son esprit. Wilson-père n'était déjà pas très net, il faisait subir des supplices psychologiques à ses enfants quand ceux-ci faisaient des choses qu'il n'appréciait pas. Agissant en qualité de producteur pour le groupe pendant les premières années, le père était souvent en conflit artistique avec Brian, et ce dernier a du le virer officiellement pour prendre sa place. C'est peut-être quelque chose qui a pesé sur sa conscience, et qui pourrait expliquer en partie sa mauvaise réaction au LSD. C'était sans doute d'autant plus déchirant que Brian avait toujours admiré son père pour des questions liées à la musique (le père avait réalisé un disque de Jazz, lui avait fait découvrir ses premières amours musicales, l'avait soutenu dans ses projets de groupe, ...). Mais Brian n'a pas épargné sa jeune épouse, Marylin, en sous-entendant nettement dans sa chanson "Caroline, no" qu'elle n'était plus celle qu'il aimait, et en remplaçant son prénom par celui d'une ancienne girlfriend. Heureusement qu'elle n'était pas très friande de LSD, je vous dis pas le couple que ça aurait fait !
Arbitre, le 27/09/2020 à 04:38
Ce qui me frustre dans "Pet sounds", c'est le fait que les morceaux vraiment réussis (à mon jugement personnel), principalement sur la face B, sont courts. Ils sont riches sous bien des aspects, mais j'ai l'impression que Wilson les a faits comme des échantillons issus d'une expérience scientifique. Genre "Oui, on peut innover dans les sonorités, d'ailleurs voici quelques exemples de ce qu'on peut faire". Je pense en particulier à des morceaux comme "Here today" et "Caroline, no", une fois la partie centrale finie, on arrête tout, alors qu'à l'époque on est habitué à une structure plus longue : 2 couplets-refrain, 1 couplet-refrain, pont, couplet-refrain final (multiplié).
Xavier, le 25/02/2016 à 22:25
J 'ai toujours adoré les beatles, je les écoute depuis que je suis petit (mon frère avait les 33 tours bleus et rouges, mainteant j'ai tous leurs albums originaux et toujours considéré que St Pepper est le plus grand album de pop existant. Et puis il y a Les Beach Boys, longtemps je n'ai écouté que quelques morceaux que je trouvais beaux et toujours associés au surf, une musique gaie et sympathique, fraiche et enjouée. un jour j'ai lu une critique sur Brian Wilson et son obsession des beatles et j'ai eu envie d'ecouter l'album Smile (je ne connais pas encore Pet Sounds). Je l'ai acheté et là après plusieurs écoute, la grande claque !!! un album extraordinaire, une musique incroyable, les formats ne sont pas commerciaux, peu importe, la musique est hypnotique, ensorcelante, elle résonne constamment dans ma tête...je n'ai jamais rien écouté d'aussi beau, d'aussi grandiose. pour moi maintenant cet album se positionne avant St Pepper. A n'en pas douter l'album Smile 1967 est le chef d'oeuvre absolu de la pop. Smile sessions un album d'instants captés ? pas seulement, cet album est bien plus que ce que vous en dites dans vos dernières lignes. Pour moi ce sont 79 minutes de pures bonheurs quand les beatles ne produisent que 35 à 40 minutes pour St Pepper et tous les morceaux de leur album ne sont pas de valeurs égales ...