
Kryptograf
Kryptonomicon
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La chaleur caniculaire brûle notre peau, anesthésie nos esprits et ne fait que renforcer notre tropisme scandinave, mais cette considération contextuelle est assez secondaire : il faut rendre aux pays nordiques leur rôle moteur dans la multiplication de chroniques à leur sujet. Cette année en effet, chacune des scènes nationales semble s’être décidée à engendrer des albums à la chaîne. La Suède demeure la contrée la plus productive, mais la Norvège n’est pas en reste ; et si le pays se fait avant tout remarquer dans le champ progressif (où il y a de quoi assouvir la soif de nouveautés, entre le live de Tusmorke, le dernier album de Motorpsycho et le second opus de Lars Fredrik Frøislie), il répond aussi présent dans les espaces plus saturés où se meuvent les jeunes pousses comme Kryptograf.
Depuis Bergen, le combo manie à merveille l’art du stoner-doom qu’il rend énergique, empreint de nombreuses références aux 60s et aux 70s (dont Black Sabbath, mais pas seulement) et très légèrement progressif (sur certains ponts et lignes de guitares – parfois jumelles). Tant et si bien que la graphie du logo du groupe rappelle (volontairement ou non) celui de Titanic, formation historique du heavy-prog’ norvégien !
Cependant, la référence principale de leur troisième opus, Kryptonomikon, est bien Lovecraft : le titre renvoie au Necronomicon et les tentacules à Cthulhu, même si le calmar pourrait tout aussi bien évoquer Jules Verne, devenu récemment une figure majeure de la pop-culture (voir Ahab). Sur le plan musical, les amateurs reconnaîtront à plusieurs reprises le style de Kadavar d’avant la perdition, sur "Beyond The Horizon" notamment, qui est anobli d’un pont planant aquatique et d’une transition finale haletante. Il en va de même pour "Lost at Sea" qui brille aussi par ses variations et par son très bon chorus. Kryptograf joue sur les codes du genre en alternant la vitesse et la lenteur, la brutalité et la souplesse, comme en témoigne "Kryptonomicon" dont les deux chorus varient entre un premier élan bluesy à la ZZ Top et un second plus psychédélique.
Ainsi, loin d’être aussi monolithique que ne l’est le martèlement de "The Blade", l’album passe du punk et de l’action-rock sur le tubesque "You and I", au doom Sabbath-ien de "From Below", proche du meilleur Kadavar avec de légers effets fantomatiques qui évoquent les mondes cauchemardesques imprégnant l’opus. Enfin, la longue piste "The Gales" navigue entre les dissonances presque sludge, les arpèges harmonieux, un développement heavy-prog’ et un final atmosphérique.
Il est fort possible qu’en ce qui concerne le stoner, l’on tienne là le meilleur album du premier semestre de l’année 2025 – sans pour autant dire qu’il se situe à 20 000 lieues du reste de la scène.
À écouter : "Beyond The Horizon", "Kryptonomicon", "You and I", "From Below"