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Critique d'album

Path of Ilya


La Dégustation


(01/08/2025 - - - Genre : Rock)
Produit par André Marques

1- Jean-Michel, le Péruvien / 2- Socrus Fungus / 3- Discret comme un cabri de 100kg / 4- La Fameuse (se fait attendre) / 5- Grésillement du Terroir Altéré / 6- Le Canard / 7- Fin du Voyage
Note de /5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Question fondamentale : quelle est la différence entre un canard ?"
Daniel, le 01/09/2025
( mots)

Embarquement pour Ailleurs (en passant par Autre Part)

Et si nous quittions les rives surpeuplées du rock basique pour affronter les vagues, les vents debout et les embruns d’une musique savante et ambitieuse ? Et rigolote. Et goûteuse.

Pour beaucoup, l’adjectif "savant" ne fait pas bon ménage avec le terme "rock". Et c’est dommage. Parce que si quelques riffs saturés, débobinés en power chords sur un "poum-tchack" binaire, font certainement beaucoup de bien aux tympans qu’ils transpercent, un peu d’élévation d’esprit ne nuit pas. 

C’est qu’il y a probablement une vie au-delà de la fumée des barbecues du Hellfest. 

Et, contrairement aux plus stupides des idées reçues, la sophistication artistique n’est pas forcément "sérieuse", ni "emmerdante", ni "sinistre". Revisitez votre Zappa ou votre Sparks en musique, votre Warhol ou votre Dali en peinture, votre Fredric Brown ou votre John Fante en littérature, votre Russ Meyer ou votre Ed Wood au cinéma (1). 

Alors oui, Marques, Chabert et Bondier – tous musiciens aussi émérites qu’extravagants – doivent aimer le second degré. 

Sans quoi, ils ne déambuleraient pas sur le site d’un festival en Haute-Savoie, vêtus de salopettes baggy oranges pour le moins "interpellantes". 

Sans quoi, ils ne porteraient pas des lunettes de soleil dont les montures sont assorties à leurs salopettes baggy oranges (2)... 

Sans quoi, ils n’auraient pas choisi un canard en guise de mascotte. 

A croire par ailleurs que le palmipède pourrait être le principal cerveau du projet... 

Décollage

En résumé donc, musicalement, le groupe ne navigue pas sur les mêmes portées que la Compagnie Créole.

Ce constat était déjà sensible à l’écoute du second album Heterostasis. Mais le trio se radicalise encore pour La Dégustation. C’en est fini des ballades exploratoires et narratives en divers confins. Tout va tourner cette fois autour d’une seule table imaginaire, dressée pour une étrange dégustation en sept services.

Et le pari est risqué parce que si l’art savant est déjà bien mal aimé, l’art conceptuel l’est plus encore.

La genèse du festin est simple : les trois musiciens se sont réunis autour d’un fourneau imaginaire et ont débuté une jam. La Dégustation est une œuvre issue d’une conception collective. 

Il est difficile pour un tâcheron comme je le suis de comprendre le fonctionnement d’un trio pareil tant la structure musicale est maîtrisée et complexe. Il y a des fusions qui ne s’expliquent pas. Comme celle qui s’opère entre un batteur polyrythmique (3), un bassiste qui, en parfait acrobate, passe du rock extrême à l’académisme géométrique et un guitariste versatile qui pourrait renvoyer Steve Howe et Stevie Vaï sur les bancs de l’académie.

Revendiquant des influences excentriques allant de Chick Corea Electrik Band à Jojo Mayer, en passant par Steven Wilson et The Aristocrats (4), Path Of Ilya aurait tout aussi bien pu emprunter les chemins tout tracés d’un rock progressif "orthodoxe" (5) en recopiant les poncifs du genre et en nappant le tout d'épaisses couches de mellotron. 

C’est qu’il y a un public pour la nostalgie. Comme il subsiste un florissant commerce, peu enclin à la créativité, qui reste friand de sempiternelles histoires de dieux grecs, de guerriers troyens, de septième fils du septième fils, de topographies océanes, de rois cramoisis, de magiciens oubliés ou de mystères insondables de l’espace intersidéral. 

Le trio préfère s’aventurer dans une autre dimension en intégrant à sa maestria une puissante dose de jazz, de groove et de funk, une foultitude de sonorités électroniques (6), du rock psychédélique confit à la fumée de champignons hallucinés, des dérapages métalliques à faire rougir la laide Gardienne des Ténèbres, d’expérimentations inspirées et des changements de rythme à inoculer la maladie de Ménière à un pro du circle pit...

Et tout ça reste parfaitement appétissant et digeste.

A l’heure où l’industrie musicale nous sert des portions congrues de musique prédigérée sur des plateformes où il est impossible de distinguer la création humaine du fac-simile artificiel, il faut un sacré appétit de sons pour s’asseoir à la grande table de Path Of Ilya. Surtout lorsque l’on sait que le menu compte sept plats gargantuesques (7) avec, en point d’orgue, une (inévitable) poêlée de canard.

Il y a du salé, du sucré, du tempéré (aux bémols et aux dièses), de l’amertume, de rares aigreurs bien choisies et de l’umami à foison. 

Et, comme il se doit dans les meilleures établissements, les portions sont généreuses et les recettes pleines de surprises.

"Jean-Michel le Péruvien" est, d’entrée de menu, une baffe délirante. En mémoire des Tontons Flingueurs, on peut franchement parler d’un "apéritif d’homme". Il y a clairement dans cette mise en bouche une forte rasade de ces riffs métalliques dont on a arrêté la distillation parce qu’ils pouvaient rendre aveugles les plus fragiles. 

Selon la tradition d’Escoffier, il est idéal d’enchaîner sur ce léger velouté aux truffes (à mi-chemin entre le potage et le hors-d’œuvre) dont on découvre ici la déclinaison dans le très perché "Socrus Fungus". 

Le premier plat de viande joyeusement lourdingue et funky, "Discret comme un cabri de 100kg" (ce titre…) est suivi de "La Fameuse (se fait attendre)" qui débute sur une note un peu consistante pour les estomacs fragiles avant de révéler un cœur chaloupé truffé de surprises puis un emballant final binaire orné de soli virtuoses délicatement épicés à la wah-wah.  

"Grésillement du Terroir Altéré" joue sur de nouveaux contrastes en mariant une rythmique vibrante et des guitares aériennes, inspirées par le meilleur terroir du blues harmonieux. 

La pièce de résistance, "Le Canard", signature emblématique de la maison, voit le palmipède préféré du trio hanter le son de basse pour une succession de bouchées séduisantes.

"Fin du Voyage" nous conduit paisiblement au petit salon pour un café mignardises et un retour au calme  progressif (le jeu de mots hermétique est ici en lien avec les harmonies de guitare).

Tous les morceaux sont enchaînés ce qui donne l’illusion d’une unité de lieu (la table où s’assemblent les convives) et de temps (la durée du repas) dans la logique du théâtre classique. 

Les meilleurs festins suivent un fil rouge qui permet d’articuler les souvenirs et faciliter la digestion. Au-delà de la virtuosité instrumentale, ce fil rouge chez Path Of Ilya pourrait être l’humour (ou une certaine forme de dérision). L’humour condimente tout l’album. Ce n’est pas forcément la marque de fabrique du rock progressif. Et je soupçonne fortement le canard et ses trois barbus en salopette orange de multiplier les private jokes. Ca se devine. Ca s’entend. Ca se sent. Mais, par définition, ce genre de condiment doit rester secret. Sinon la joke n’est plus private, si vous me suivez. 

Il faut admettre que, même si on loupe quelques-unes des plaisanteries, il est plus agréable de voir des convives souriants attablés autour d’une belle table que des visages fermés, pressés de mâchouiller salement des hamburgers industriels conçus selon le pire modèle capitalistique d’exploitation des ressources humaines (8).

Une petite tisane et au lit...

Servi par un artwork magnifique et – une fois encore – teinté d’ironie, ce troisième album est une étape cruciale.


On sait maintenant d’où vient le groupe. 

On sait également où il en est aujourd’hui. 

Reste à deviner où il va aller… 

Mais ça, ça dépendra clairement du seul bon vouloir du canard. Et, pour avoir tenté d’élever une fratrie de coureurs indiens (9), je sais que l’animal, s’il n’est pas immédiatement futé, est pour le moins rapide et imprévisible. 

Ce qui nous ramène à la question existentielle posée sous le chapeau de la chronique... 


(1) Je me demande parfois si mes références cinématographiques sont vraiment pertinentes...

(2) Ma chère Cristina Cordula (référence absolue dans le domaine) parlerait de "fashion faux-pas". Et, en qualité de défenseur de l’orthodoxie Ray-Ban, je plussoie pour l’occasion.

(3) Sans faire mon savant infus, je me dois de préciser que cette technique (qui exige un niveau extravagant de compétence) consiste à jouer simultanément des patterns rythmiques totalement différents.

(4) Dont le dernier opus s’appelle Duck… Synchronicité quand tu nous tiens ! 

(5) Il y a bien entendu paradoxe dans les termes puisqu’on ne peut pas progresser quand on passe l’essentiel de son temps à "figer" une expression artistique. Il serait peut-être temps de mettre un frein à l’immobilisme...

(6) Les sonorités les plus délirantes nous viennent des nineties. On dirait parfois qu’une console Sega – avec option Megadrive – s’est égarée dans la table de mixage.

(7) Sans compter les dix-huit merveilleuses mignardises qui illustrent joliment le CD physique.

(8) Pour ceux qui l’ignorent, le hamburger a été étudié pour être bâfré rapidement et "à une main" tout en faisant autre chose (travailler, écrire, conduire, "produire", ...)

(9) C’est exactement le cadeau idéal à offrir à son pire ennemi.


Cette chronique – labellisée IA free – a été conçue par quelques neurones qui ont survécu au rock des seventies puis tapée sur un clavier chinois en plastique à deux balles par de vraies vieilles mains humaines. 

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