The Last Dinner Party
Prelude to Ecstasy
Produit par James Ford
1- Prelude to Ecstasy / 2- Burn Alive / 3- Caesar on a TV Screen / 4- The Feminine Urge / 5- On your Side / 6- Beautiful Boy / 7- Gjuha / 8- Sinner / 9- My Lady of Mercy / 10- Portrait of a Dead Girl / 11- Nothing Matters / 12- Mirror
Si la qualité générale des réalisations mises en avant sur Albumrock en dit long sur la santé de la scène rock (et de ses dérivés), l’émergence régulière de formations dites "mainstream" constitue assurément un signe supplémentaire de ce regain de vitalité. Après tout, le rock n’est-il pas censé être populaire ? Une musique dont les valeurs et la diversité sont en partie incarnées par ses représentants les plus fédérateurs ? Si pour certains le succès semble un peu prématuré (Wet Leg, 2022), voire légèrement disproportionné (Måneskin, 2023), d’autres parviennent à trouver un certain équilibre entre accessibilité et audace créative. C’est le cas du quintette féminin The Last Dinner Party !
Il y avait pourtant de quoi rester perplexe face à l’ascension fulgurante du combo britannique, ce dernier semblant suivre à lettre le "Guide Marketing pour apprentis Rockeurs" :
1. Choisissez bien votre attaché presse : un cabinet de gestion de campagne, de dimension internationale si possible, qui vous accompagnera au quotidien dans votre communication (Q Prime Artist Managment).
2. Gagnez rapidement en visibilité en vous affichant en première partie des Rolling Stones (London Hyde Park, 2022) : 99% de chance d’être repéré par Philman et consorts !
3. Profitez de cette belle dynamique pour signer avec un gros label (Island Records, Universal Music).
4. Concrétisez votre projet en balançant un premier single dans les trois mois qui suivent ("Nothing Matters") : un titre aux influences diverses et à l’accroche immédiate. N’hésitez pas à y insuffler un petit côté ABBAesque (+53% de chance d’adhésion). Maximiser votre impact à l’aide d’un refrain aussi poétique qu’irrévérencieux ("And you can hold me like he held her ; And I will fuck you like nothing matters") ; le public aime les groupes un peu rebelles.
5. Élargissez votre sphère d’influence en intégrant la B.O. du nouveau FC "FIFA" 24 (après tout, Kasabian et Metric sont bien passés par là…).
6. Les portes du succès vous sont désormais ouvertes, il ne vous reste plus qu’à sortir un album ! Une formalité.
Facile à dire, encore faut-il à le faire ! Autant dire qu’un certain nombre de mélomanes se seront fait un avis avant même d’avoir goûté à la marchandise… Encore une fois, il serait bien dommage de passer à côté de ce Prelude to Ecstasy, bien loin du menu insipide et ultra calibré que l’on pourrait imaginer de prime abord.
Les Anglaises se révèlent au contraire dans un style plutôt ambitieux et éclectique à l’image d’une introduction qui prend des allures cinématiques, évoquant par moment les pérégrinations symphoniques de The Dear Hunter. Les morceaux défilent et nous découvrons une pop intelligente et raffinée - dans la lignée de ce qu’a pu proposer Susanne Sundfør par le passé -, exploitant à bon escient quelques sonorités 80’s ("Burn Alive") tout en s’ouvrant à un large panel de nuances et de signatures rythmiques. A ce titre, mentionnons le très réussi "Caesar on a TV Screen", un morceau à la fois sobre et pétillant qui adopte sans crier gare une structure plus théâtrale et imprévisible. Le groupe évoque ainsi Queen pour son association de glam et de baroque, mais aussi Kate Bush pour cette envie de proposer une musique pop libérée de toute convention. On sent également le groupe capable d’aller vers des sonorités plus rock et virulentes à l’image de l’étonnant contraste proposé sur un morceau comme "My Lady Mercy".
Aussi entêtant soit-il, le fameux single "Nothing Matters" s’avère finalement peu représentatif du potentiel technique et créatif du quintette. On préférera alors revenir sur des compositions un peu moins évidentes et racoleuses : le très classe "The Feminine Urge" au refrain aussi brillant qu’imparable, ou encore le plus progressif "Beautiful Boy" dont la montée en intensité laisse le temps à la section instrumentale de s'étoffer (l’occasion d’intégrer une élégante partition de flûte).
Un tel groupe ne serait rien sans un chant à la hauteur. Capable d’élever les compositions vers des sommets insoupçonnés, Abigail Morris se révèle être une vocaliste de choix, impressionnante de justesse et particulièrement radieuse quand elle migre vers les aigus ("On Your Side"). Les différents chœurs générés par les autres membres du groupe apportent une plus-value mélodique évidente à l’ensemble (évoquant les harmonies vocales de Grandma’Ashes). Le champ des possibles est énorme. Difficile donc de reprocher certains excès de jeunesse : l'effet chant liturgique - quelque peu agaçant - sur certains chœurs, ou encore une théâtralité un brin poussive et artificielle ("Portrait of a Dead Girl").
Bien que prédestiné au succès, The Last Dinner Party ne déçoit pas avec son premier album, confirmant ainsi les attentes placées en lui. Avec Prelude to Ecstasy, le quintette féminin livre un opus inspiré, entraînant et nuancé, plein de surprises malgré une certaine facilité d'écoute. En point d’amélioration pour l’avenir, les Britanniques pourraient tendre vers une plus grande indépendance vis-à-vis de certaines influences et exploiter à meilleur escient les facettes les plus grandiloquentes de leur musique. De belles perspectives pour la suite, en éspérant avoir l'occasion d'être convié à nouveau à un banquet de cette qualité !
A écouter : "Caesar on a TV Screen", "The Feminine Urge", "Sinner"