Muse
Showbiz
Produit par John Leckie, Paul Reeve
1- Sunburn / 2- Muscle Museum / 3- Fillip / 4- Falling Down / 5- Cave / 6- Showbiz / 7- Unintended / 8- Uno / 9- Sober / 10- Escape / 11- Overdue / 12- Hate This and I'll Love You
Qui aurait pu dire, à l’aube du troisième millénaire, qu’un trio originaire du comté du Devon, fraichement débarqué sur une planète rock en mal d’icônes et épuisée par la britpop, allait devenir l’un des groupes les plus majeurs du XXIème siècle ? Car, en cette fin d’année 1999, lorsque Muse sort son premier album Showbiz sur un label indépendant, seule une poignée de connaisseurs et d’avant-gardistes affamés peuvent se targuer d’avoir déjà entendu causé de Matthew Bellamy et de ses sbires Chris et Dominic. Un EP, quelques festivals d’été et concerts anglais garnissent à l’époque le CV d’un groupe déjà comparé à Radiohead ou à Jeff Buckley, comparaisons certes plutôt flatteuses mais qui agacent un tantinet les trois lascars tant leur musique se réclame d’influences diverses et variées. L’album se vendra bien, aura un joli succès hors de ses contrées natales, notamment en France, et Muse partira écumer les scènes et éclaboussera la foule de la folie et de la grandiloquence des douze titres composant Showbiz.
A l’écoute de ce disque et en regardant sa future discographie, un constat s’impose d’entrée : Muse ne fait pas et ne fera jamais dans la dentelle. Cette grandiloquence constitue l’ADN même du groupe. Matthew Bellamy ne chante pas : il susurre, il tempère, puis il hurle à s’en écorcher la voix, tout ça en quelques minutes, sur un piano mélancolique puis sur une guitare énervée ou l’inverse, tandis que Chris construit de longues et hypnotiques lignes de basse et que Dom martèle ses futs avec violence. Les chansons de Muse explosent souvent en plein vol après avoir connu un départ lent et doux ; elles se retrouvent emportées dans un tourbillon de riffs puissants et d’envolées lyriques qui font apparaître les comparaisons précédemment évoquées comme une évidence. Oui, il y a quelque chose de Jeff Buckley dans les notes hautes perchées de Bellamy et on entend du Radiohead sur ces ambiances parfois oppressantes. Mais nul doute que l’on ferait offense au groupe en s’arrêtant là.
Car Showbiz ne se contente pas de singer ses prédécesseurs : il pousse bien plus loin là où beaucoup se sont cassé les dents. Muse parvient à créer des mélodies qui illuminent les titres en les rendant totalement addictifs. Que cela soit sur un brûlot rock obsédant ("Showbiz", où Bellamy se surpasse vocalement) ou sur un doux interlude à la guitare sèche ("Unintended", l’un des rares moment de répit de l’album), la mélodie tressée nous emporte et nous emmène dans des territoires où s’entrechoquent pianos affutés et guitares acérées ("Sunburn", "Filip"), où la voix se confond en un riff plaintif et désespéré ("Muscle Museum") et se retire parfois pour laisser place à une déflagration instrumentale ("Cave", "Hate This and I’ll Love You"). Toute la section rythmique semble cadrée pour laisser place à la grandiloquence de Bellamy ("Uno") qui montre ici d’impressionnantes qualités de musicien et de chanteur, maitrisant aussi bien les riffs d’Hendrix que les notes classiques de Rachmaninov, tout en s’affirmant comme un mélodiste hors pair. Si quelques titres semblent pêcher quelque peu ("Overdue", "Falling Down"), l’univers proposé ici ne manque pas de titiller les mélomanes d’un rock lyrique qui s’assume totalement.
Alors certes, tout cela est loin d'être parfait. Muse réussira à fédérer autant de fans que de détracteurs, ne laissant aucune alternative possible : soit on aime, soit on déteste. Sa grandiloquence sera prise pour de la mégalomanie, son originalité pour du plagiat et le public américain boudera le groupe pendant plusieurs années. Pourtant, alors qu’un siècle révolutionnaire en terme musical s’achève, quelque chose vient de remuer avec ce disque. Quelque chose d’encore insoupçonné mais qui, quinze ans plus tard, s’est affirmé comme incontournable et indispensable. Une sorte d’origine de la symétrie, en quelque sorte…