
Obiymy Doschu
Vidrada
Produit par Obiymy Doschu
1- Children / 2- At Distance / 3- Hurricane / 4- Refuge / 5- After the War / 6- Time / 7- Truths / 8- Don't Give Up


Certaines sorties semblent tomber à point nommé, offrant un contrepoint bienveillant à la morosité ambiante et à une actualité géopolitique des plus pesantes. Si le simple fait de voir une formation ukrainienne comme Obiymy Doschu perdurer procure un certain réconfort, l’écoute de l’album dont il est question aujourd’hui se révèle quant à elle profondément salutaire. Empreint d’espoir et de résilience, le troisième opus du combo de Kiev s’impose en effet comme un appel sincère à l’apaisement (le nom de l’album, Vidrada, signifie "joie, refuge, réconfort"). Un état d’esprit retranscrit à travers une pochette en rupture avec les standards esthétiques du rock, invitant à retrouver le temps d’un instant l’innocence de nos jeunes années.
Puisant son inspiration dans des genres aussi vastes que le néo-classique, le jazz ou le post-rock, Obiymy Doschu façonne depuis plus de quinze ans une musique sensible et raffinée, marquée par une dimension progressive et parfois symphonique. Jamais envahissants, ces atours ne sont en réalité qu’un prétexte pour atteindre la juste émotion. Ici, la mélancolie se fait à la fois prégnante et lumineuse, portée par la voix assurée et chaleureuse de Volodymyr Agafonkin, vecteur d’une émotion palpable et pleinement incarnée.
Le morceau introductif ("Children") illustre parfaitement cette finesse dans le songwritting, en déployant différents paliers d’intensité qui s’enchainent dans une harmonie confondante. Si l’abondance instrumentale est parfois de mise (un background sonore constitué entre autres de piano, violons et violoncelle), celle-ci ne sombre jamais dans la démesure et se marie avec justesse à des sections mélodiques plus épurées. On pourra toutefois regretter - de façon purement subjective -, une présence vocale parfois trop marquée, conférant par moment un accent "variétoche" doublé d’un parfum légèrement mièvre (le refrain de "Hurricane", somme toute appréciable, semble chercher à tout prix l’étincelle).
Vidrada n’en reste pas moins un album solide et ambitieux, fruit de la réunion de treize musiciens et de sept années de travail (on imagine aisément que l’invasion russe a dû bousculer le calendrier initial…). Autant dire que la musique d’Obiymy Doschu s’apprécie au calme et dans de bonnes conditions, afin de profiter pleinement la richesse des arrangements et d’une profondeur sonore qui constitue la véritable plus-value du projet. Parmi les joyaux de composition, difficile de passer à côté de l’excellent "After the War". Derrière une structure à l’apparente simplicité, le morceau déploie progressivement toute sa force, irradiant l’auditeur de son refrain à la beauté désarmante, de sa dynamique euphorisante et, surtout, d’un pont instrumental à la puissance mélodique prodigieuse. Frissons garantis.
Les différentes strates sonores se révèlent parfaitement lisibles et habilement dosées, rehaussées par quelques touches électroniques qui évitent l’écueil d’une surcharge symphonique aux violons trop larmoyants. À l’écoute, on n’est qu’à moitié surpris de retrouver un technicien comme Bruce Soord (leader de The Pineapple Thief) au mixage, un rôle qu’il avait déjà tenu sur le précédent album des Ukrainiens. L’influence du voleur d’ananas se fait d’ailleurs sentir tout au long du disque, que ce soit dans certaines textures sonores et fausses montées en intensité ("At Distance"), ou dans des solos de guitare que l’on croirait tout droit issus de son propre répertoire ("Hurricane").
L’autre particularité du groupe – et non des moindres - est d’avoir recours à la langue locale sur l’intégralité de ses compositions. Le phrasé ukrainien apporte ici une musicalité singulière et une touche de folklore bienvenue, qui distingue Obiymy Doschu de ses compatriotes (Karfagen, Sinoptik, Jinjer, Stoned Jesus…) ayant presque tous opté pour la langue de Shakespeare. On remerciera d’ailleurs le groupe d’avoir pris soin de traduire les titres des différents morceaux, l’alphabet ukrainien n’étant pas pris en charge par notre interface... Mais au fond, peu importe la langue : la musique du combo de Kiev parle d’elle-même et n’a finalement pas besoin de mot pour rayonner à l’image de l’instrumentation majestueuse et quasi-cinématique du titre "Refuge".
Si la première partie de l’album se montre relativement homogène, le groupe semble s’autoriser davantage de libertés dans son dernier acte. Du long de ses neuf minutes, "Truths" joue ainsi la carte de l’imprévisibilité avec une dynamique plus théâtrale : d’abord mystérieux, puis solaire (au point de se doter d’une fibre "Disney"), le morceau se révèle finalement nettement plus virulent avec ses riffs heavy et son passage de growl pour le moins inattendu. Une manière idéale de préparer le terrain au très touchant "Don’t Give Up", qui referme magnifiquement l’album avec sa montée en intensité itérative et enivrante.
Conçu pendant l’invasion russe, Vidrada déploie une force évocatrice d’autant plus saisissante qu’elle dépasse le simple cadre musical. Sincère et personnel, porté par une mélancolie douce-amère, le troisième album des Ukrainiens se présente comme un refuge pour quiconque choisira de s’y aventurer. S’il risque de passer relativement inaperçu dans la sphère rock mainstream, nul doute qu’il trouvera un écho chez les amateurs de progressif ou, tout simplement, chez les mélomanes curieux en quête de belles mélodies. En somme, un album à savourer sans modération et à partager autant que possible.
A écouter : "After the War", "Children", "Don't Give Up"