
Nick Mulvey
Dark Harvest Pt. 1
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La musique constitue depuis toujours un espace privilégié pour exprimer ses sentiments et extérioriser les différentes étapes d’un cheminement spirituel intérieur. De nombreuses œuvres ont ainsi déjà par le passé pu témoigner d’un processus de conversion mystique, l’étincelle de la religion allumant parfois la braise de la créativité. Et si depuis que les premiers bluesmen ont vendu leur âme au diable en échange de l’inspiration, la spiritualité chrétienne (critiquée ou célébrée) constitue pour le rock et ses dérivés un sujet de prédilection (voire même de prédication), la folk-music n’est pas en reste.
Aux nombreux récits des born again qui racontent leur expérience de la transcendance, il faudra désormais ajouter celui du Britannique Nick Mulvey qui parcourt depuis plus de 10 ans les continents à la recherche de sonorités inhabituelles pour composer une musique mouvante et sans frontières. Son folk solaire enrichi aux musiques du monde explorait déjà sur First Mind les thématiques de l’introspection, de la connexion à la nature et de la spiritualité. Une décennie plus tard le natif de Cambridge semble avoir été marqué par une période de deuil et de bouleversement personnel remettant en cause l’ensemble de ses repères. Ce quatrième album (première partie d’un dytique dont le second volet paraîtra en octobre prochain) s’apparente dès lors à une profession de foi perçue comme une bouée de sauvetage dans un océan d’incertitudes. L’idée de "moisson sombre" renvoie dans ce cadre à l’idée que toute cette confusion et douleur ne sont pas éprouvées en vain et qu’elles doivent renvoyer à une signification plus profonde et nécessairement révéler quelque chose d’important.
C’est donc une odyssée conviant l'intime en même temps qu’une ode à la vulnérabilité que nous propose le Britannique, voyage débutant par les arpèges délicats et entraînants de "Solastalgia" (nom donné à une détresse psychique ou existentielle causée par la conscience des changements environnementaux en cours) où la voix feutrée de Mulvey se fait l'écho d'une fragilité touchante.
La question du rapport au sacré est au centre de l'album avec un titre éponyme à la progression lancinante qui s'apparente à une forme de méditation où des images bibliques se marient à la mythologie grecque pour mieux tirer des enseignements face aux épreuves de la vie. Évoquant toujours la musique de Piers Faccini ou José Gonzalez, le Britannique convie l'esprit des grands espaces et offre de belles respirations organiques à l'instar de la gaîté bucolique de "Holy Days" qui célèbre le sacré du quotidien et donne envie de sautiller dans les champs. La relation au divin est abordée sans détour sur "My Maker" qui atteint par son dépouillement une forme de beauté suspendue tandis que "River to the Real" et ses métaphores existentielles retrace le parcours de Mulvey vers la foi. Que l'on soit sensible ou non au message, il faut reconnaître que le titre est particulièrement touchant et nous emporte dans le tourbillon des émotions de son auteur (ce pont virevoltant!). Et si "Hey, How Was Your Day" met en scène des propos un peu trop ésotériques (une réflexion sur le rejet de Dieu et le don de soi), Mulvey n'oublie pas avant tout de faire vivre sa musique. La pétillante "Radical Tenderness" nous éclabousse de classe avec la densité de ses arrangements entre swing percussif, cuivres frondeurs et ce très beau grain de guitare électrique à la Santana.
Passé les courts "Death Doula" et "Glowed" qui offrent des transitions épurées et après une touchante reprise d'Annie Lennox avec "No More I Love You’s", l'album se clôture une fois n'est pas coutume au piano avec la mélodie à la fois paisible et émouvante de "Nothing Last Forever". Pour peu qu'on ne soit pas allergique à l'imagerie religieuse, cet album saura convaincre les amateurs d'indie-folk habitée et mélancolique. On ne sait pas ce que la seconde partie de ce diptyque nous réserve, mais pour ce premier volet, la messe est dite, et bien dite.