JPL

Que reste-t-il à dire pour un musicien qui vient d’achever son grand-œuvre ? En l’occurrence, comment JPL pouvait poursuivre son travail après avoir accompli la trilogie Sapiens, publiée de 2020 à 2022 au rythme très soutenu d’un album par an, dont la qualité avait été unanimement saluée par la chronique progressive ? En proposant un Post Scriptum éventuellement, quand bien même ce douzième album ne soit pas une suite au triptyque – ni une quatrième partie, ni même une coda. Quelques compositions de plus au sein d’une discographie courageusement menée par le guitariste virtuose auvergnat.

Il n’est pourtant pas question de rupture avec les albums précédents, et quelques constantes sont à noter : JPL est toujours accompagné de Stan W. Decker à l’illustration (sur un thème qui évoque le dernier Haken) et il continue de dénoncer l’intolérance et la montée de l’extrême-droite sur "Jekyll", un titre pop-rock dans la lignée d’une "Étrange Idée" ou "La peste et le choléra", qui gagne en saturation et en complexité quand Hyde dévoile son vrai visage. Néanmoins, Post Scriptum innove en invitant le chant féminin (Elise Bourg) à s’exprimer sur plusieurs titres, parfois sous la forme de chœurs, comme sur "(à l’évidence) Je me rends", une chanson où le jeu de guitare louvoie entre Prince et Jimi Hendrix.

Les trois grandes directions esthétiques chères au répertoire de JPL sont bien présentes sur ce nouvel opus qui satisfera pleinement aux attentes des amateurs du guitariste - soit la chanson, pour les titres suscités, le rock progressif et le Metal. Ce dernier genre est mis en valeur de façon agressive sur "L’homme est un animal sauvage", bien que les refrains (réhaussés de chœurs) et les parties solistes soient plus planants, ainsi que sur l’excellent "Les fantômes", qui emprunte à Dream Theater sa puissance et ses effets symphoniques, non sans une certaine lourdeur sabbathienne.

Quant aux pièces progressives d’une longueur plus conséquente, elles accueillent l’auditeur dans un registre heavy-prog’ avec "Solitaire", un titre contrasté légèrement rushien (cf. "Xanadu") par ses rythmes alambiqués et ses sonorités (à noter que le titre semble faire le lien avec Sapiens par son style et ses paroles), et l’abandonnent sur le final "Post Scriptum" de près de onze minutes, où la sublime introduction dialoguée entre les claviers et la guitare laisse place aux arpèges puis à un déroulé jazz-funky propice aux divagations guitaristiques. Entre les deux, "Puzzle" s’éparpille après une introduction chaloupée à la Dire Straits, entre un registre assez pop lors des parties chantées et une deuxième partie instrumentale progressive construite sur une montée en puissance à l’approche moderne digne d’Anathema.

Sans illusion quant à la nature profonde de l’humanité – fidèle à la maxime, JPL sait que l’homme est un loup pour l’homme –, l’artiste doit pourtant parier sur le fait que Sapiens soit également un animal mélomane, qui pourra apprécier les explorations saturées et progressives du musicien, alors qu'il détruit minutieusement le seul écosystème qui lui permet d’entendre le chant des oiseaux. Un paradoxe dont l'écologiste Jean-Pierre Louveton est conscient, au point de tenter de faire du rock progressif une musique adaptée au temps présent - une entreprise ambitieuse qui reçoit tout notre soutien. 

À écouter : "Les fantômes", "Post Scriptum", "Solitaire"