
Tangerine Dream
Alpha Centauri
Produit par
1- Sunrise In The Third System / 2- Fly And Collision Of Comas Sola / 3- Alpha Centauri


Si proche et pourtant si lointain. Alpha du Centaure – ou Alpha Centauri, système stellaire dont les trois étoiles sont les plus voisines de notre propre système solaire, est tout de même à plus de 4,3 années lumières de la Terre – soit plusieurs millénaires de voyage spatial, si jamais cette hypothèse fait partie du champ des possibles.
Encore pouvons-nous rêver d’un voyage esthétique, et passer de la musique des sphères de Kepler à la Kosmische Musik d’Edgar Froese qui, en 1971, fait passer Tangerine Dream du bricolage psychédélique et bruitiste (Electronic Meditation) au Krautrock électronique. Certes, Alpha Centauri reste une œuvre de laboratoire, expérimentale – et pas vraiment électronique au sens propre du terme, mais l’album marque l’entrée du groupe dans l’univers musicale qu’on lui connaît.
Derrière le nom Tangerine Dream, il y a en réalité une nouvelle formation qui garde en commun son leader Edgar Froese. Le trio est désormais composé de Christopher Franke, venu d’Agitation Free, et de Steve Schroyder, qui remplace peu après Conrad Schnitzler, auxquels il faut ajouter deux invités à la flute (Udo Dennebourg) et aux synthétiseurs (Roland Paulyck). La scène berlinoise s’entremêle, puisque le compositeur Thomas Kessler, qui avait participé à la formation musicale de Froese, chaperonnait et inspirait également Agitation Free dans son propre studio (Beat Studio) où Tangerine Dream venait d’ailleurs approfondir ses explorations. Autre individu clef, Dieter Dierks, l’ho(mme) de Cologne, dont les studios modernes permettent au combo d’avoir accès à des technologies innovantes, au moment même où Tangerine Dream s’apprête à donner plus de places claviers analogiques et aux synthétiseurs modulaires (le VCS3, à la pointe du progrès à l’époque), plus ou moins bien maîtrisés par les musiciens.
Ces évolutions techniques ont des conséquences esthétiques : Tangerine Dream laisse de côté une grande partie de son bagage psychédélique pour embrasser la musique cosmique. En ouverture, "Sunrise in the Third System" dresse un pont entre Electronic Meditation par ses notes de guitare éparses et ses orgues ronflantes, et Alpha Centauri par son arrière-fond légèrement spatial. Il faut attendre "Fly and Collision of Comas Sola" pour que la mise en orbite ne commence réellement, dans une aventure musicalement balbutiante (l’usage approximatif du VCS3 peut être désagréable). Et sans gommer les spécificités de Tangerine Dream, il ne faudrait pas oublier de l’intégrer dans le contexte plus large du space-rock et du rock progressif, aussi bien par ses thèmes spatiaux que par certains traits esthétiques (Pink Floyd, Hawkwind pour la flûte). La véritable épopée se déploie tout au long des vingt-deux minutes d’"Alpha Centauri", dont les développements sonores évoquent une expédition spatiale et une exploration en apesanteur dans un univers sombre et angoissant, caractéristique du premier âge de Tangerine Dream. Plus méditatif que n’importe qu’elle "méditation électronique", le titre pave la voie aux albums suivants par ses usages de la nouvelle lutherie, mais même la guitare et la flûte se prêtent magnifiquement au jeu. Plus encore, dans un final captivant, les voix permettent d’accroître encore l’immersion sur Alpha du Centaure : la narration semble venue d’une base lunaire et les chœurs possédés forment un écho à un culte sidéral toujours inconnu.
Entre l’URSS et les États-Unis, l’Allemagne (Berlin-ouest et RFA) n’avait guère de place pour s’illustrer dans la conquête de l’espace. C’était sans compter l’inventivité de ses musiciens qui surent imaginer le voyage musical comme un viatique vers la transe cosmique.
À écouter : "Alpha Centauri"