Gorillaz
Humanz
Produit par Gorillaz / The Twilite Tone / Remi Kabaka (Jr.) / Fraser T Smith
1- Intro: I Switched My Robot Off / 2- Ascension (featuring Vince Staples) / 3- Strobelite (featuring Peven Everett) / 4- Saturnz Barz (featuring Popcaan) / 5- Momentz (featuring De La Soul) / 6- Interlude: The Non-Conformist Oath / 7- Submission (featuring Danny Brown and Kelela) / 8- Charger (featuring Grace Jones) / 9- Interlude: Elevator Going Up / 10- Andromeda (featuring D.R.A.M.) / 11- Busted and Blue / 12- Interlude: Talk Radio / 13- Carnival (featuring Anthony Hamilton) / 14- Let Me Out (featuring Mavis Staples and Pusha T) / 15- Interlude: Penthouse / 16- Sex Murder Party (featuring Jamie Principle and Zebra Katz) / 17- She's My Collar (featuring Kali Uchis) / 18- Interlude: The Elephant / 19- Hallelujah Money (featuring Benjamin Clementine) / 20- We Got the Power (featuring Jehnny Beth) / 21- Interlude: New World (Bonus Track) / 22- The Apprentice (featuring Rag'n'Bone Man, Zebra Katz and Ray BLK) (Bonus Tr / 23- Halfway to the Halfway House (featuring Peven Everett) (Bonus Track) / 24- Out of Body (featuring Kilo Kish, Zebra Katz and Imani Vonshà) (Bonus Track / 25- Ticker Tape (featuring Carly Simon and Kali Uchis) (Bonus Track) / 26- Circle of Friendz (featuring Brandon Markell Holmes) (Bonus Track)
Le Brexit aura finalement atteint jusqu’aux strates du monde musical. Preuve en est le tout nouvel album de Gorillaz, Humanz, qui, soucieux de rivaliser avec les extraordinaires productions de R’n’B et de hip hop américain, abandonne sa singularité made in England. Et si c’était la fin du Gorillaz qu’on avait connu ?
Projet musical, visuel et virtuel créé par Damon Albarn et Jamie Hewlett en 1998, Gorillaz se compose de quatre membres fictifs : 2D, Noodle, Murdoc et Russel. Le groupe sortira en tout quatre albums dont l’incroyable, hypnotique, majestueux Demon Days en 2005 qui n’est plus à présenter. Depuis l’anecdotique The Fall sorti en 2010, nous étions sans nouvelles du groupe, Damon Albarn étant plus préoccupé par l’écriture de son album solo ou plus récemment de The Magic Whip avec Blur. Mais depuis l’année dernière ça s’agite sur la toile : Gorillaz serait de retour en studio avec du beau-monde, mais chut, c’est top secret, et de toute façon personne ne semble avoir beaucoup plus d’informations sur le sujet.
On les aurait presque oubliés si le 19 janvier dernier, suite à l’investiture de Donald Trump aux Etats-Unis (détail non-négligeable) ne sortait pas "Hallelujah Money" mené par la voix si remarquable de Benjamin Clementine. Le morceau apportait dans un souffle politique un peu de douceur dans un monde devenu soudain brutal et annonçait officiellement le retour du groupe. Le cauchemar que s’était créé Albarn en 2016 en s’imaginant un monde où Trump serait élu était devenu réalité et Humanz, plus que jamais, a alors pris forme. S’en suivirent dans le désordre l’annonce du Demon Dayz Festival, quatre autres titres ("Saturnz Barnz", "Ascension", "Andromeda" et "We Got The Power" grâce auxquels un thème spatial prenait forme) et même une série télévisée. Le doute n’était alors plus permis : Gorillaz était bien de retour.
Leur nouvel album, Humanz, est finalement sorti le 28 avril et c’est un sacré mastodonte puisqu’il comporte pas moins de vingt-et-un morceaux (vingt-six dans la version Deluxe) dont une intro et cinq interludes avec sur la quasi-totalité d’entre eux un invité de marque, qu’il s’agisse de Vince Staples, Popcaan, Grace Jones, Mavis Staples ou encore le rappeur Pusha T. Le Saint-Graal en ma possession, c’est fébrile que j’enclenche le bouton play de mon lecteur et, tremblante, je me mets à religieusement écouter ce nouveau Gorillaz avec le fol espoir qu’il sera à la hauteur de mes espérances. Autant vous le dire maintenant pour ne pas m’épancher par la suite : c’est complètement raté.
Mais parlons un peu de l’album en lui-même, de ce qu’il apporte, ce qu’il contient. Il commence par le message “I switched my robot off…” projetant tout de suite Humanz dans la continuité de l’album solo d’Albarn qui s’appelait... Everyday Robot. Narrée par Ben Mendelsohn, qui reviendra user de sa voix graveleuse un peu plus tard sur certains interludes, l’intro annonce la couleur avant d’entrer au coeur de l’oeuvre. LES couleurs même, car aux premières notes Humanz est pop, acidulé, aux voix joyeuses et aux synthés fous. Ne vous fiez pas à ces petits mots sympathiques : la première écoute d’"Ascension" me fut particulièrement détestable. C’était donc ça ce qu’avait à m’offrir Gorillaz ? Des petits gars West Coast qu’on entendait sur toutes les radios possibles et imaginables ? Et pourtant ça sentait le tube en puissance, celui qu’on se farcira tout l’été. Totalement décontenancée j’ai continué sur ma lancée, priant pour que le reste de l’album ne ressemble en rien à ce premier morceau et heureusement "Strobelite" a rapidement apaisé mon envie de foutre le feu à mes rideaux. Toujours aucune trace du Gorillaz d’antan, mais une chanson pétillante, fraîche et à la ligne de basse efficace. Elle a également ceci de fascinant qu’elle rend tout de suite accro : son gimmick fonctionne du feu de Dieu et on se retrouvera à la réécouter encore et encore simplement pour ce refrain enjoué porté par la bonne humeur de Peven Everett.
"Saturnz Barnz" apporte un peu plus de sérieux dans ce débacle de gaieté. Popcaan et Albarn usent d’une valse vocale hypnagogique dans un titre lourd, pesant, puissant. Au même titre que "Submission", dont la voix de Kelela rappelle un peu celle de Romy Madley Croft des xx, c’est la mélancolie qui l’emporte. Mélancolie persistante qui ne bouleversera pas pour autant l’auditeur (ici moi), la rythmique un peu trop mécanique y étant sans doute pour quelque chose. Les sonorités, toujours légères et étincelantes, provoquent un contraste intéressant teinté de véritable tristesse. Normal lorsqu’on repense à la contrainte artistique qu’avait demandé Albarn aux différents contributeurs de son disque : “imaginez que tout ce en quoi vous croyez soit mis sans dessus dessous le temps d’une nuit.” Bien joué Damon, ça fonctionne du tonnerre.
C’est alors que démarre "Momentz" qui déglingue à peu près tout sur son passage. Notons que la prod jusqu’ici est un sans faute mais vous deviez vous en douter, après tout c’est Gorillaz, pas le groupe de votre frère dans le garage. Commençant comme un dessin animé pour enfants, le hip hop un peu crado de "Momentz" aidé par la patte folle et électro de Jean-Michel Jarre est plus que bienvenu et si les boîtes de nuit passaient des musiques de la sorte je m’y risquerai plus souvent. Dans le même genre on retrouve "Charger", où Grace Jones ne fait qu’une légère apparition - elle le dit d’ailleurs elle-même “I am the ghost”- dont on ne se prive pas. Mantra inlassablement répété, c’est un titre qui agira comme un petit syndrome de Stockholm sur ma personne. Me mettant d’abord extrêmement mal à l’aise, il me faudra le réécouter plusieurs fois pour réellement l’apprécier. S’en suit "Busted and Blue" qui est LA ballade de l’album, la seule, la vraie, celle qui met tout le monde d’accord avec la voix si accablée d’Albarn toujours un peu cachée par ce fameux filtre dont on ne se lassait déjà pas dans "Feel Good Inc." La montée des claviers synthétisés en fond sans aucune percussion et très vite rejoint par des choeurs de gospel en font un morceau profondément aérien.
Amateurs de mathématiques et autres calculs, vous ne serez pas déroutés si je vous parle d’équation cubique. Pour les autres qui ont oublié leurs cours de Terminale, le graphe d’une équation cubique se présente comme suit : la courbe monte légèrement, puis effectue une descente avant de remonter indéfiniment. Et Humanz, comme une équation cubique, rencontre un passage à vide avec le triptyque "Carnival", "Let Me Out" et "Sex Murder Party". Répétitifs, lassants, pas vraiment marquants, pur héritage du billboard américain des années 2010, ce ne sont pas les morceaux dont on se souviendra après écoute. Mais il suffit alors d’un "She’s My Collar" et la concentration afflue de nouveau vers Humanz. Dans la veine d’"Andromeda" ou "Submission", c’est une douceur comme seul Gorillaz a le secret qui emplit la pièce et les oreilles, un morceau dans la continuité des oeuvres du groupe dont on avait l’habitude depuis le début des années 2000 et ça n’est pas sans nous déplaire.
“And out of the elephant trunk… Confetti” annonce absurdement l’interlude "The Elephant" avant d’enchaîner sur "Hallelujah Money", la chanson politique, la prière contre l’intolérance et le règne de l’argent. L’inégalable voix de Benjamin Clementine qui aurait pu être encore mieux exploitée s’accorde admirablement à ce fruit de l’électronica et prépare le terrain à la conclusion utopique qu’est "We Got The Power". “On a le pouvoir de s’aimer, OK ?” tonne Jenny Beth (Savages) aidée par la guitare de Noel Gallagher et les synthés de Jean-Michel Jarre. On pourrait s’en moquer si facilement, mais... elle fait vraiment du bien cette chanson, en fait. Elle est d’une allégresse et d’une consolation contre laquelle on a envie de se lover sans jamais la lâcher. L’album de Gorillaz se termine ainsi, sur une note ultra positive, catégoriquement naïve, adorablement bienveillante.
Alors oui, je l’ai dit et le répète : Humanz n’est pas à la hauteur de mes espérances. Car coincée dix ans en arrière, imbécile que je suis, j’attendais du "DARE", du "Kids With Guns", du "Clint Eastwood"… Si bien que j’en avais sous-estimé une chose élémentaire et essentielle que l'on a tendance à trop facilement oublier : la capacité de renouvellement d’un artiste. Gorillaz a décidé de construire son oeuvre avec du sang frais, avec les nouvelles voix qui font et feront la musique électro et hip-hop des prochaines décennies et pour beaucoup il méritera plusieurs écoutes. Incroyablement riche, profondément humain donc pas totalement parfait, n’aspirant qu’à fuir cette planète ou à la rendre meilleure, Humanz est un nouveau Gorillaz et que vous le vouliez ou non, ils ont réussi à prendre ce virage inattendu avec brio.