Après suffisamment de singles et de tournées pour entretenir un buzz légitime,
Interpol ouvre pleinement sa discographie en 2002 avec
Turn On The Bright Lights. Les critiques du monde entier s'emballent et l'album trône fièrement en haut de tous les tops ou classements de l'année voire de la décennie. C'est qu'il faut dire que cet album n'a rien de vain, ni d'anodin. Plus qu'un album,
Turn On The Bright Lights est le starting block d'un courant qui aura inondé, avec tout ce que cela comporte, les noughties. La bande de New-York s'est confiée une mission ardue, celle de rendosser le costume tragiquement rangé à coup de corde dans la penderie par Ian Curtis et d'introniser aux yeux du monde le revival post-punk. Beaucoup d'aventuriers fans de
Joy Division et de
The Cure suivront le sillon creusé récoltant un succès très relatif voire une anonymat convenu. Et après réflexion, il semblerait qu'exhumer Ian Curtis en décibel est tout autant risqué qu'ardu.
Dès 2002, la machine médiatique new-yorkaise s'enraye et catapulte furieusement
Interpol à des hauteurs d'estime artificielles, sans véritablement savoir si c'est mérité ou non. Cette frénésie qui accompagne la sortie du premier EP plus tôt dans l'année, puis le premier single "PDA" est de celle à vous dégoûter d'un groupe avant même son éclosion. Estampillé de superlatifs indésirables,
Interpol voit au-delà de cette gloire pré-natale, car plus que de faire naître une tendance, voire renaître un style musical,
Interpol écrivait une nouvelle ligne de l'histoire de la musique.
Voix plaintive, mélodies élégiaques,
Turn On The Bright Lights est l'écrin d'une musique noire et tragique. L'intro "Untitled" s'installe dans la plus pure tradition post-punk ; guitares redondantes et tranchantes et voix éthérée qui se répète jusqu'à épuisement. Mais
Interpol mise tout autant sur les dogmes d'un genre qui a fait ses preuves que sur le talent de son chanteur et songwriter : Paul Banks. Les lentes suppliques que sont "NYC" ou "Hands Away" se concentrent entièrement sur l'intimité que Banks dévoile, épurée par la simple beauté de sa voix et de ses mots. Des morceaux capables de hanter vos heures creuses et de vous réveiller la nuit, à l'image du sinueux "Stella Was A Diver And She Was Always Down",
Interpol joue sur toutes les cordes du chagrin et de l'isolation, évoquant aussi bien le sexe que la mort pour arriver à leurs fins. À l'opposée, "Obstacle 2" ou "PDA"s'enivrent de l'urgence de leurs guitares ciselées, brûlantes de rage et qui explosent allégrement en plein vol ; tandis que le brûlot" Roland" est quant à lui exalté par une ligne de basse omniprésente et un rythme effréné. Véritable missile en fin d'album, il crée une cassure qui sublime les deux derniers morceaux de
Turn On The Bright Lights, "The New" et "Leif Erikson", mid-tempos mélancoliques et véritables crève-cœurs qui achèvent l'entreprise de démolition.
Plus qu'une réussite,
Turn On The Bright Lights est l'album que le post-punk n'attendait plus. Résolument tourné vers le passé, mais animé de malaises définitivement modernes,
Interpol a redoré le blason d'une scène new-yorkaise moribonde et surtout donné du grain à moudre à ses apologistes. Le revival post-punk n'a depuis de cesse de chercher meilleur ambassadeur qu'Interpol, en vain. Car rarement, peut-être même jamais depuis Ian Curtis, un chanteur n'aura su aussi parfaitement utiliser l'ensemble du prisme des sentiments humains. Marionnettiste vocal de génie, Paul Banks emprisonne les âmes perdues dans des ambiances tortueuses et subtiles.