Isobel Campbell & Mark Lanegan
Ballad Of The Broken Seas
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1- Deus Ibi Est / 2- Black Mountain / 3- The False Husband / 4- Ballad Of The Broken Seas / 5- Revolver / 6- Ramblin' Man / 7- (Do You Wanna) Come Walk With Me? / 8- Saturday's Gone / 9- It's Hard To Kill A Bad Thing / 10- Honey Child What Can I Do? / 11- Dusty Wreath / 12- The Circus Is Leaving Town
La belle et la bête. Depuis que la libido humaine existe, on ne compte plus les duos confrontant les forces antagonistes des deux sexes, mettant en péril la fragilité de l’innocence par l’appétit féroce du mâle tout puissant (ça c'est pour mes copines féministes). Combat joué et rejoué maintes fois. Ike et Tina, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, Emma Daumas et Johnny Hallyday... on peut décliner les citations à l’infini. Notre duo du jour est formé par Isobel Campbell, ancien membre des Belle And Sebastian, et Mark Lanegan, ex-leader des regrettés grungeux de Screaming Trees, collaborateur récurrent des Queens of the Stone Age et responsable d’une tripotée d’excellents albums solos. Isobel est inondée d’une candeur lumineuse, avec ses doigts potelés et ses traits innocents. Mark a le visage buriné et de petits yeux durs soigneusement enfouis sous sa tignasse. La rencontre de ces deux desperados du rock indé ne pouvait que prendre l’aspect d’un western sauvage.
Ballad of the Broken Seas, c’est donc un recueil de 12 chansons où se mêlent accents country vaporeux, pop vaguement rétro et menus apartés folk. Tels les différents paragraphes d’un livret d’opéra, les morceaux content la relation de ces deux parias. Le décor est donc planté par le "Deus Ibi Est" liminaire : paysage désertique et poussiéreux, cow-boy sur le retour en bout de course, cherchant un endroit où reposer sa carcasse. Véritable fils spirituel d’un Tom Waits ou d’un Leonard Cohen (auquel on songe beaucoup à l’écoute de ce disque), Lanegan charme immédiatement avec sa voix chaude et rauque à peine soutenue par une guitare et quelques chœurs qui paraissent presque superflus. Puis c’est au tour de la belle de faire son apparition, lors de ce "Black Mountain" diaphane où en véritable sirène des canyons, Isobel semble appeler le voyageur égaré. L’histoire se met alors en branle avec "The False Husband", ses guitares sourdes tirées d’une B.O. d’Ennio Morricone se disputant avec les nappes cristallines tressées par les cordes. Dès lors, les deux protagonistes ne cesseront de se chercher, se rapprocher, se rejeter, s’étreindre tout au long de morceaux délicats soutenus par des arrangements soignés. Ici, c’est un piano qui accompagne le chant élégiaque de sieur Lanegan ("Ballad of the Broken Seas"), là c‘est le blues que l’on convoque avec une reprise de Hank Williams ("Ramblin’ Man"), ou encore les ritournelles enfantines qui s’imposent lorsque vient le temps d’une virée à cheval ("Come Walk With Me"). Tout est maîtrisé et aucune faute de goût ne se détache de l’ensemble.
Malgré tout, force est de reconnaître qu’on est à aucun moment réellement transporté par les complaintes de ces deux tourtereaux. C’est propre, bien fait, mais ça manque un peu trop de stupre, de whisky renversé et d’amours illicites. On a constamment l’impression que Mark Lanegan ne fait que traverser les chansons au lieu de les hanter. Et pour cause, Isobel Campbell a écrit, produit, mixé cet album, notre homme se contentant de trousser quelques textes et de collaborer aux arrangements. Du coup, son univers sombre et enchanteur n’apparaît qu’à intermittence, sans retrouver le charme vénéneux des compos de Bubblegum, dernier et excellent album du Mark Lanegan Band. Pour autant, ce disque est loin d’être un ratage, bien au contraire. La rencontre est envoûtante, mutine mais jamais obscène. Dommage.