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Critique d'album

Joni Mitchell


Blue


(22/06/1971 - Reprise Records - Folk, Poésie - Genre : Chanson / Folk)
Produit par Joni Mitchell

1- All I Want / 2- My Old Man / 3- Little Green / 4- Carey / 5- Blue / 6- California / 7- This Flight Tonight / 8- River / 9- A Case Of You / 10- The Last Time I Saw Richard
Note de 5/5
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Note de 5.0/5 pour cet album
"L'ouverture d'une boîte de Pandore"
Diego, le 01/05/2021
( mots)

Quelques accords d’un instrument à cordes peu familier. Quelques mots mystérieux: “I am on a lonely road and I am traveling traveling traveling”/”Je suis sur une route solitaire et je voyage voyage voyage”.
C’est l’accueil que nous réserve Joni Mitchell sur Blue et son premier titre “All I Want”. Cette route, c’est celle de l’Europe. L’artiste peintre, poète, et musicienne donc, part pendant des mois entre 1970 et 1971 à la recherche d'elle-même. Le succès rencontré avec son second opus Ladies of the Canyon, en particulier au travers de l’hymne écologique avant-gardiste "Big Yellow Taxi" et du récit poétique de l’aventure "Woodstock", l’a propulsée au firmament de la reconnaissance publique.

Seulement voilà, la reconnaissance et l’hystérie des fanatiques, Joni Mitchell s’en fiche comme de ses premiers pinceaux. Ce qu’elle veut, c’est partager son art. Et le succès rencontré, qui avait démarré déjà à la fin des années 1960, n’est pas gérable pour Joni. Elle prend donc la route. Ce voyage constitue une gigantesque source d’inspiration pour l’auteure : le titre “California”, emprunt de nostalgie pour ce qui est à l’époque son état de résidence, est une carte postale musicale de l’expérience du voyage par Mitchell. Entre les parcs parisiens, les plages crétoises et les fiestas espagnoles, toujours le même constat d’un monde violent qui semble pourchasser l’artiste. Il y est même question des lectures de Vogue et Rolling Stone par les jeunes gens européens.


Pour l’anecdote, Rolling Stone référera honteusement à Joni Mitchell comme "El Lay", jeu de mots plus que douteux entre L.A. (Los Angeles) et laying, s’allonger, en référence aux relations que l’artiste entretient avec ses pairs masculins. Le mépris de cette expression n’a d’égal que sa misogynie. On est bien loin des dossiers consacrés aux femmes faisant la fierté du rock

L’enjoué "Carey" relate de son côté son expérience parmi les Hellènes, où Mitchell a vécu dans une cave parmi une communauté de hippies durant des semaines. S'ils partagent un sentiment de mélancolie, ces trois titres se retrouvent dans une certaine gaieté musicale.

Les curieuses sonorités qui introduisent le disque proviennent d’un dulcimer, petit instrument médiéval à cordes, proche du sitar et du lapsteel. Il a accompagné Mitchell dans son parcours européen, agrémenté de la guitare de James Taylor sur "All I Want" et "California", et de celle de Stephen Stills sur "Carey".

Car si Joni Mitchell compose, écrit et joue majoritairement seule, elle n’est pas non plus coupée du microcosme folk-rock de son époque. On retrouve à ses côtés Stills donc, mais aussi David Crosby, qui la découvrit lors d’une performance dans un café floridien, et la ramena en Californie sur son voilier. Légende urbaine ou fait historique, les premières harmonies en Crosby, Stills et Graham Nash auraient eu lieu dans le cottage de Joni Mitchell à Laurel Canyon.

L’idylle entre Joni Mitchell et Graham Nash durera un temps, mais c’est réellement la rupture qui fournira à la poète une inspiration créatrice jamais aperçue jusque-là. Difficile par ailleurs de savoir si les chansons "My Old Man" et "This Flight Tonight" sont dédiées à cette relation, où à celle que Mitchell entretint avec James Taylor, mentionné plus haut. Le premier titre cité voit Mitchell chanter sa foi en l’amour non conventionnel : "We don’t need no piece of paper from the city hall, to keep us tight and true"/"nous n’avons pas besoin d’un bout de papier de la mairie pour rester proches et honnêtes". On retrouve ici Mitchell au piano. Ce côté multi-instrumentaliste provient en partie de la jeunesse de la chanteuse, et en particulier de son expérience malheureuse de la polio, à l’âge de 9 ans. C’est cette période d’hospitalisation qui lui mettra le pied à l’étrier de la musique, particularité qu’elle partage avec un autre illustre canadien, Neil Young.



Sur "This Flight Tonight", Joni partage ses regrets d’avoir fichu le camp, d’avoir déserté après une dispute ou une séparation et exhorte le pilote de faire faire demi-tour à son "drôle d’oiseau". Il s’agit ici probablement d’une sorte d'avant-propos à son voyage européen.
Le refrain de ce morceau est un mélange entre la composition de Mitchell et un chant classique, sur les "starbright, starbright".
Cette recette est par ailleurs appliquée sur "River", une des chansons les plus connues de l’artiste. L’intro et le final sont les accords de "Jingle Bells", autre classique de Noël. Seule au piano à nouveau, Joni se lamente de la vacuité de sa récente notoriété et aspire à retrouver son Canada natal, et ses rivières gelées, véritables autoroutes vers l’apaisement solitaire: "I wish I had a river, I could skate away on"/"J’aimerais avoir une rivière, sur laquelle je m’enfuirais en patinant", "I am going to make a lot of money, I am going to quit this crazy scene"/"Je vais gagner plein d’argent et quitter cette scène infernale". Sur ce morceau d’une beauté et d’une pureté incroyable, Mitchell étale toute sa mélancolie, sentiment d’autant plus présent lorsque les célébrations de Noël sont concomitantes avec un amour mourant. L'incorporation des accords d’un chant classique de Noël dans ce contexte tient ici du génie. Ni plus, ni moins.

Les compositions de Mitchell sont largement autobiographiques. Elles revêtent aussi sur ce disque un aspect prémonitoire : dans les années suivants "River" et Blue, l’artiste achètera une propriété dans la nature reculée de la Colombie-Britannique, quittant effectivement cette "scène infernale" pour se retirer dans une sorte de monastère à sa mesure. La démarche n’est pas sans rappeler celle d’un autre illustre canadien, pas Neil Young cette fois-ci mais Leonard Cohen, un temps proche de Joni Mitchell également. Les prophéties de Mitchell ne s'arrêtent pas à ses paroles :  le registre vocal extraordinaire de la chanteuse, capable de se balader sur une palette de notes à faire frémir le miroir de la salle de bain de Mariah Carey, entraînera forcément des dégâts. Lesquels mèneront Joni Mitchell à réenregistrer Both Sides Now en 2000 dans un octave plus bas, abus d’allers retours tonaux obligent.

Le morceau "Little Green" voit la chanteuse, seule au chant et à la guitare, plonger encore un peu plus dans l’introspection : Mitchell s’adresse à sa fille, qu’elle a abandonnée et faite adopter, étant trop jeune pour s’en occuper ("Child with a child…"/"Une enfant qui a eu une enfant…"). Certes, il y eut bien un épisode où Mitchell pensa construire un foyer pour cette enfant, lors de son mariage avec Chuck Mitchell, qui lui donnera son nom, et auquel elle adresse "The Last Time I Saw Richard" sur l’album ici décortiqué. "Little Green" est une ode à l’espérance, mais aussi un avertissement bienveillant sur lequel Mitchell prodigue des conseils à son enfant de la seule manière qu’elle connaît : au travers de son art. Le sujet dévastateur, et la mélodie mélancolique, sont balancés par des notes d’optimisme. Après tout, le vert est la couleur de l’espoir.

De couleur il est bien entendu question, au travers du nom de l’album, le Blue anglo-saxon de la dépression. Un titre éponyme, superbe ballade piano-voix, et la référence au terme “blue” dans quasi toutes les chansons, complètent le tableau. Le bleu dont il est question ici fait parfois référence à la solitude, l'étendue bleue de la mer faisant figure de référence en termes d’isolation.

Il y a presque une métaphore sous-jacente à celle de la couleur : celle du liquide. Le bleu de la mer représente la solitude donc, et l’ivresse de la joie, de l’amour, est abordée sur "A Case Of You". Mitchell y fait le pari qu’elle pourrait boire une caisse du vin constitué de l'essence de l’être aimé, et qu’elle resterait debout, épanouie. L'introspection est ici poussée à son paroxysme.

S’attaquer à une chronique de Blue n’est pas un exercice facile. Heureusement, l'aspect autobiographique est tellement présent sur ces chansons que l’analyse personnelle de l’artiste découle de la musique. C’est bien de cela dont il s’agit sur Blue : d’une des premières incursions musicales dans l’intimité la plus profonde d’un artiste. En cela, il constitue un tournant radical dans la musique moderne : il est désormais permis non seulement de composer et de chanter des chansons sur tout comme le faisait déjà Dylan (qui a également composé sur pas grand chose), on peut également y laisser ses tripes, ses peurs, ses angoisses et ses regrets. Ce n’est pas un hasard si tant d’artistes se sont référés à cet album (de Jeff Buckley à Weyes Blood, de Led Zeppelin à Sharon Van Etten, de Dylan à Taylor Swift, de Paul Simon à Björk, Lana Del Rey ou Julien Baker).

Même si Blue est sorti à une époque où la folk n’était déjà plus à la mode, on ne peut pas réellement considérer Joni Mitchell comme une artiste à contre-courant. Il s’agit plutôt d’une artiste défiant le concept même de courant. Une artiste qui d’emblée a cherché à se distinguer de ses paires en ne se contentant pas de reprendre les classiques folk : ce qu’elle veut, c’est composer, et elle le fait divinement bien. Joni Mitchell n’est pas simplement la jeune femme au physique californien typique des muses de l’époque, elle est également l’artiste de l’autre côté du miroir. Une artiste avec une vision, des textes soignés et des arrangements originaux.

Pas avare dans l’exercice de l’autocritique, Mitchell est régulièrement revenue sur ses premières productions :  Song to a Seagull, son premier enregistrement, produit par David Crosby, ou encore Clouds, co-produit par Paul Rothchild (par ailleurs producteur des Doors) sont aujourd’hui vus comme des échecs par la poète. Elle s’autoproduira d’ailleurs par la suite. A contrario, Mitchell "ne changerait pas une seule note à Blue".

La suite de sa carrière la verra s’orienter vers le rock puis le jazz. Visionnaire, Artiste, et surtout Libre, dans le chemin de la liberté à l'universalité, Joni Mitchell a ouvert la voie.

Commentaires
DiegoAR, le 02/05/2021 à 20:09
Merci Daniel ! Un vrai bonheur de se plonger dans ce superbe album !
Daniel, le 01/05/2021 à 20:07
Formidable album et - vraiment - excellente rubrique. L'instrument "mystère" du début est un dulcimer. Merci pour le souvenir et pour l'envie de réécouter ces titres portés par une voix merveilleuse !