Melvins

On se fait parfois une idée fausse de certains groupes. Tenez, le cliché qui court le plus souvent sur les Melvins tient à la lourdeur abyssale et au style doomesque qu’ils ont employés dès leurs débuts. Erreur. Si le colossal Gluey Porch Treatments assoit une chape de plomb pachydermique tout bonnement monstrueuse - c’est un fait, les Melvins sonnent NETTEMENT plus heavy que Black Sabbath dès ce disque séminal -, on en oublierait que ce premier album n’est publié qu’en 1987 alors que la bande à Buzz Osbourne se forme à la fin 1983 au lycée de Montesano. Et en quatre ans, il peut couler pas mal d’eau sous les ponts.

En cherchant bien, on parvient à retrouver un témoignage de ces ados complètement déjantés qui jouent gratos tous les vendredi et samedi soirs à partir de 19h dans le parking situé juste derrière le Thriftway de Montesano où ils bossent en journée et dont ils piratent les prises électriques. C’est d’ailleurs dans cette grosse épicerie qu’un certain responsable de rayon appelé Melvin s’amuse à jouer au chefaillon avec eux, tellement ravi de pouvoir donner des ordres et (en gros) faire chier ces pauvres bouseux de lycéens. Quoi de plus approprié, dès lors, que de nommer leur groupe à l’image de ce trou-du-cul ? Le genre d’humour qui fait hurler de rire Buzz Osborne, lui qui est complètement désabusé par l’humanité dans son ensemble.

Bref, le témoignage en question s’appelle Mangled Demos From 1983, un recueil d’enregistrements sauvages à la radio locale, de bootlegs réofficialisés et de démos (comme son nom l’indique) enregistrées à l’arrache dans un studio miteux de Mud Bay, dans la banlieue d’Olympia, le tout publié en 2005 chez Ipecac. Il s’agit des seules pistes audio réunissant l’effectif initial des Melvins, avec donc Mike Dillard à la batterie avant que celui-ci ne se fasse remplacer par Dale Crover. Pour la petite histoire, parmi les collégiens complètement ébahis qui venaient s’en mettre plein les oreilles les soirs de week-end au Thriftway de Montesano, il y avait un certain Kurt Cobain, positivement impressionné par, je cite, “la vitesse inouïe” des olibrius.

Et de fait, on découvre sur cette collection disparate de titres des Melvins méconnaissables ou presque, qui jouent comme des bourrins (et des cochons), souvent à toute allure (mais pas tout le temps), des embryons de chansons. Sur les 23 morceaux proposés, 16 ne dépassent pas les deux minutes. Certains existent en plusieurs versions (par exemple l’ultra-véloce “Forgotten Principles” ou le bien plus lent “Matt-Alec”), certains paraissent même quasiment identiques (ex, “The Real You” et “Keep Away From Me” qui semblent articulés sur le même riff). On trouve de tout dans ce recueil, du heavy metal braillard (“Set Me Straight”), du hardcore colérique (“If You Get Bored”, “I’m Dry”, ou encore “*” - oui parce que certaines pistes n’ont même pas de nom), avec un ensemble non étalonné et à la qualité audio, on va dire “pas si crade que ça” même si franchement ça ne vole pas haut. C'est heavy, mais pas tant que ça. Rien à voir avec l’ampleur folle des basses sursaturées de Gluey Porch Treatments, rien à voir.

Faut-il s’attarder sur les débuts des Melvins ? Pas forcément, c’est un fait. Il n’y a ici aucune histoire, aucun fil conducteur, rien que du son et de la fureur, rien que des ados qui s’éclatent à faire le maximum de boucan. On sent que les Melvins se cherchent encore, que leurs références musicales sont en pleine digestion, qu’ils ne se sont pas encore arrêtés sur ce qui fera leur propre style, celui des futurs pionniers du sludge metal et d’un grunge encore lointain. Mais allez faire un tour par ce recueil de démos, ne serait-ce que par curiosité. On gage que vous aussi, vous vous laisserez surprendre…