«
De toute façon les Melvins pour moi maintenant c’est sur scène, point barre. Ils ont plus rien à apporter sur disque, les derniers sont tellement chiants ». On était aux alentours de Mâcon ce soir là. Un mec organisait une soirée d’enfer chez lui, dans son cellier, avec trois groupes à peu près du même enfer et à parler avec un bon copain déjà éméché de ma réception matinale du Melvins nouveau et du fait que malgré ne pas avoir été emballé aux premières écoutes sur la toile, j’avais trouvé le tout bien meilleur que ce à quoi je m’attendais, sa réponse ci-dessus avait été on ne peut plus équivoque concernant les récentes productions de Buzz Osborne et Dale Crover. Pour ma part, depuis que
Big Business s’est greffé au monstre, mon sentiment est mitigé selon les albums: frais et ravageur pour
(a) Senile Animal, un peu trop sophistiqué pour
Nude With Boots malgré des morceaux qui butent et tristement fadasse pour
The Bride Screamed Murder - même si le duo d’intro défonce tout. Trois longs formats en déclin puis relevés par un super EP,
The Bulls & The Bees, sorti en mars dernier et surtout par des prestations live à te briser en deux - quatre fois en un an, la moitié de l’audition en moins,
yes !
Mais ce
Freak Puke sortait du cadre et donnait envie. Idée enfantée lors d’une tournée en trio avec Trevor Dunn tandis que
Big Business s’évertuait en studio, il était capable de créer la surprise après six ans passés à exploiter la même formule: gros riffs tordus qui tuent et harmonies vocales au large. Pourtant, la place offerte à Trevor Dunn dans la morgue à fréquences basses des Melvins ne m’encourageait pas des masses pour autant. Je n’aime je crois aucun des groupes dans lesquels il a pu jouer, notamment les innombrables projets de Patton - allergie à la chienlit Fantômas, désolé. La dernière chose que je voulais voir, c’est un album typé arty d’un groupe qui ne l’a jamais été. Et connaissant les penchants free jazz du bonhomme en question, l’usage de la contrebasse semblait risqué.
Musique de chambre capitonnée.
Alors les Melvins s’improvisent musiciens de chambre ? "Mr. Rip Off" t'en donnera le ton... grosse intro glauque de l’élément excentrique susnommé, angoisse tendue, prête à te bouffer cru et... non, groove soft et jazzy de Dale Crover en lieu et place d‘explosion massive… le riff est cool, tape dans un psychédélisme vibrant, la voix d’Osborne éthérée, reliquat tiré de la fin des nineties. Légèreté. Outre leur tendance insatiable à mettre leurs lubies toutes fraîches sur les devants, les Melvins avaient clairement annoncé ne plus vouloir s’ennuyer dans un domaine d’expérimentation « où il n’ont clairement plus rien à apporter » et se consacrer simplement à leur vision personnelle du rock ‘n’ roll. Deux semaines live en studio: dix morceaux ponctués de blagues de fond, petits craquages entre copains qui font beaucoup pour l‘ambiance psychotique du disque (allez jusqu’au bout, vraiment…). Second degré avant tout. Le "Let Me Roll It" des Wings, ou comment faire de Macca un pillier de bar. Particulièrement burlesque.
Même si Trevor Dunn occupe dans cet album une place proéminente d‘un point de
vue sonore et une part centrale de la composition ("Inner Ear Rupture", sauvagerie bruitiste qu’on voit venir facile à trois bornes), on retombe vite dans les codes récents du duo voire… du quatuor. Ouais, semblerait que les mécanismes hormonaux de
Big Business se soient frayés un chemin jusqu’à corrompre le sang des deux autres à tel point que même séparés de leur deuxième section rythmique, certains motifs réapparaissent de manière flagrante, parfois dans la guitare, parfois dans la batterie. Souvent dans les deux. M’est d’avis que la bête à huit bras et quatre voix n’est pas prête à être laissée pour compte. "A Growing Disgust" en témoignera…
Au final la contrebasse apporte réellement une atmosphère profonde, pesante, un groove tout particulier aux doigts et une certaine originalité quand elle est jouée à l’archet. Mais malgré des petits sursauts d’inventivité comme "Holy Barbarians", "Tommy Goes Berserk" - leurs intros sont putain de prenantes - et le fait que rien ne soit à jeter ici, ce qui fait défaut à Freak Puke c’est l’envie. Pas celle des Melvins, mais la mienne. Envie de le jouer à tire-larigot, de le chérir de ma passion naissante un bon mois durant, baver sur un riff et m’en ruiner les tympans, j’ai beau voir ce disque trôner près de ma chaîne, je regarde la pochette, pense au nom du groupe, me retourne vers ma distro et me vois lui préférer Bullhead. Et c’est encore ce qu’il vient de se passer… rien ne m’appelle suffisamment. Les signes ne trompent pas. Les vilains petits canards non plus.
C’est l’âme qui pêche ici et pas la leur. La mienne. De même que l’exigence. Mais ce serait encore être un vieux con que de gueuler au scandale dès qu’un groupe au passé magistral décide de faire ce qu’il veut sans se poser de questions et s‘offre au pire un album loin d’être dégueulasse. Faire de la musique sans jamais se soucier des autres, n’est-ce pas ce que les Melvins ont toujours fait ? Sauf qu’on est toujours spontanément plus proche d’un Lysol quand on a vingt piges que quand on approche le demi-siècle. Yep.