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Critique d'album

Pearl Jam


Vitalogy


(01/12/1994 - - Grunge - Genre : Rock)
Produit par

1- Last Exit / 2- Spin The Black Circle / 3- Not For You / 4- Tremor Christ / 5- Nothingman / 6- Whipping / 7- Pry, To / 8- Corduroy / 9- Bugs / 10- Satan's Bed / 11- Better Man / 12- Aye Davanita / 13- Immortality / 14- Hey Foxymophand- lemama, That's Me
Note de 4.5/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"L'album culte de Pearl Jam impose sa rage bigarrée au crépuscule du grunge."
Nicolas, le 03/05/2011
( mots)

Vitalogy, ou l'album de la révolte. En effet, si Pearl Jam a su très tôt se faire connaître et apprécier des amateurs de rock made in Seattle grâce à deux manifestes coup de poing, le groupe ne pouvait plus se permettre de réitérer une simple copie de Ten et de Vs s'il voulait réussir à rompre avec une ère grunge qui touchait à sa fin. Jugez plutôt : quelques mois avant la sortie de l'album, Kurt Cobain se faisait sauter le caisson et pulvérisait Nirvana au faîte de sa gloire ; un an plus tard, Alice In Chains rendait son dernier manifeste morbide alors que Layne Stayley s'enfonçait de plus en plus dans la dépendance à l'héroïne ; et de nouveau un an plus tard, Soundgarden se fendait d'une ultime copie à peine plus que correcte avant d'exploser en plein vol. Les faits ultérieurs ont donc donné raison à la bande à Eddie Vedder : édifié à une période charnière pour le grunge - et pour le rock en général, ce troisième album studio va au delà de la simple remise en cause artistique. Car malgré les apparences, il s'en est fallu de très peu pour que le groupe ne sombre corps et bien avec ses concurrents. Vitalogy, cri de rébellion mais surtout manifeste de survie : en cela, le nom de l'album ne pouvait être mieux choisi.

Début 1994, rien ne semble tourner rond pour Pearl Jam. Le groupe est pourtant au firmament de son succès, Ten puis Vs se vendent comme des petits pains, le groupe enchaîne les concerts avec avidité, mais quelque part la machine commence à carburer à vide. Si la formation a rapidement su trouver son public en pleine explosion grunge, elle ne s'en prend pas moins de sacrées volées de bois vert dans la presse : le NME notamment, jamais avare en compliments, l'étrille et la taxe de "voler le succès des petits groupes alternatifs", sans compter que Kurt Cobain en rajoute en traitant ses membres de "vendus" et d'"opportunistes". La surexposition médiatique permanente des cinq hommes commence à nuire à leurs relations, à tel point qu'il leur faut prendre des mesures draconiennes pour préserver le peu d'intimité qui leur reste : aucun clip n'est tourné pour Vs (ni pour Vitalogy, d'ailleurs), et le groupe prend à cette époque la décision de se faire très rare en interview. Ajoutez à cela des combats idéologiques incessants qui culminent avec l'affaire Ticketmaster lors du Vs Tour : ulcéré par les taxes rajoutées en dernière minute par le tourneur mastodonte sur les billets de concerts du groupe, Pearl Jam décide de saborder sa tournée et refuse de collaborer de nouveau avec l'entreprise. Cette ambiance électrique contribue à accroître le malaise au sein de la formation, entre un Dave Abbruzzese passablement détesté par ses collègues et de plus en plus mis à l'écart, un Mike McCready en plein cauchemar éthylique et toxicologique, et un Stone Gossard dépressif ayant décidé de faire l'autruche face aux problèmes de communication du groupe.

Il faut alors toute la hargne et la détermination d'Eddie Vedder pour relancer le combo et évacuer cette tension trop longtemps intériorisée. Le timide chevelu décide de prendre les rênes du groupe, propose des orientations artistiques radicalement différentes, tranche les décisions qui prêtent à discussion et plaide en faveur d'un enregistrement effectué dans l'urgence. C'est donc en pleine tournée promo Vs (et peu avant le clash avec Ticket Master) que ce troisième album se trouve mis en boîte, lors des moments de pause, dans des endroits souvent exigus et parfois même en backstage. Puisque la communication verbale dans le groupe se trouve rompue, Vedder pousse ses partenaires à se lâcher sur leur instrument et à jammer le plus possible. La plupart des titres de Vitalogy se voit ainsi composée à l'instinct, avec des arrangements et des textes finalisés parfois à peine quelques minutes avant le passage sur bande. Vedder a en tête l'idée de se rapprocher des vieux groupe des 60's qui enregistraient jusqu'à deux ou trois albums par an... d'ailleurs ce troisième opus aurait dû sortir bien plus tôt dans l'année, mais l'affaire Ticket Master a passablement contrarié les gérants d'Epic qui souhaitaient que la pression retombe avant de commercialiser l'album. Par ailleurs le chanteur pousse sa nouvelle ligne de conduite dans ses derniers retranchements en demandant à Brendan O'Brien, le producteur et déjà quasi-sixième membre du groupe, d'effectuer un enregistrement analogique et de chercher à mettre en avant la rugosité du son. C'est également en toute logique que le disque déboule dans le commerce en vinyle deux semaines avant sa sortie officielle sur CD, entérinant une volonté de retrouver certaines racines liées à ce support à l'époque en voie d'extinction (le renouveau relatif du vinyle n'étant apparu qu'au début des années 2000 avec la vague garage). Pas étonnant non plus que l'on retrouve une sorte de déclaration d'amour au vinyle sur le titre "Spin The Black Circle".

Impossible d'aborder cet album sans parler de son artwork et de son packaging. Vitalogy tire son nom d'un manuel médical publié en 1920 et dont un exemplaire est arrivé par hasard entre les mains d'Eddie Vedder. En complet décalage par rapport à notre époque moderne, ce traité est en fait un recueil de conseils médicaux et de savoir vivre, une sorte de feuille de conduite pour rester en bonne santé. Vedder a l'idée d'en reproduire le titre et la couverture (un vieux manuel en cuir), d'en reprendre certains passages (notamment un texte dénonçant les méfaits de l'onanisme masculin, ça ne s'invente pas) et d'y rajouter les paroles des chansons mais aussi des poèmes, des photos glauques ou décalées (comme une photo de Jean-Paul II couplée à une pétition pro-avortement adressée à Bill Clinton) ainsi qu'une reproduction de son propre panoramique dentaire ! Fatras visuel stupéfiant et dérangeant, l'emballage de Vitalogy a largement contribué au statut culte de l'album, tout en se posant par ailleurs comme un exact reflet de ce qui se trouve au creux des sillons du disque.

Vitalogy est en effet un album étrange, sombre, éclaté, et même s'il contient quelques uns des meilleurs morceaux écrits par le groupe, il ne parvient toujours pas à faire l'unanimité aujourd'hui. Paradoxalement, ce troisième opus est aussi le plus grunge dans l'esprit et le traitement sonore... amusant, pour un manifeste censé sonner le glas de ce courant. Alors que Pearl Jam avait jusqu'alors puisé ses racines à la source du hard rock des années 70, on sent ici le groupe en communion avec le punk le plus dévoyé, renouant avec la brutalité verbale et l'urgence instrumentale des ténors du genre, un peu comme si les Ramones s'étaient mis en tête de copuler avec Neil Young et Pete Townshend. Le ton est donné d'entrée de jeu : "Last Exit" cueille l'auditeur par surprise avec ses gros rushs de guitares dissonants, ses coups de boutoirs monotyhmiques et un chanteur remonté comme une pendule détraquée. Vedder devient d'ailleurs carrément enragé sur l'expéditif "Spin The Black Circle", titre le plus violent de Pearl Jam à ce jour, et qui montre un frontman absolument sublime, complètement transporté par une colère extériorisée avec véhémence. Si Nirvana n'était pas passé par là quelques années plus tôt, on aurait vraiment pu crier au génie. Ces deux morceaux entérinent également un aspect très particulier du disque : le fait qu'il n'y ait (quasiment) pas de solo de guitare, un peu comme si Pearl Jam avait entendu les critiques formulées à son égard avec trois ans de retard et que le groupe s'était mis en tête de renier ses deux premiers opus. Gossard et McCready se contentent ici de déverser leur ire à grands renforts de décibels, leurs riffs de bûcheron culminant sur le mastoc "Not For You". On peut d'ailleurs constater rétrospectivement tout le travail et la préparation des parties de guitare de Ten et de Vs, et imaginer en conséquence que le caractère instinctif et urgent de Vitalogy n'a pas permis aux deux tricoteurs de manche de trousser des soli suffisamment convenables ou pertinents pour être mis en boîte.

Le groupe a gardé du très lourd et du très bon en réserve : un "Whipping" ambivalent, transpercé par une rythmique survoltée et ses alternances de contenance et d'explosions libératoires, un "Corderoy" qui fait un nouvel appel du pied (réussi et culotté) au trio d'Aberdeen récemment mort de sa belle mort, mais surtout un "Satan's Bed" terriblement catchy, emporté par ses gros riffs hard et son refrain gueulé comme un défi à l'encontre des divinités sur fond de coups de fouet démoniaques ("Already ! In Love !"). Comme l'album n'est pas à une contradiction près, les balades qui s'y trouvent sont également magnifiques de douceur et d'amertume : "Nothingman", "Better Man" (qui n'est pas une vraie balade, d'ailleurs) et "Immortality" sont parmi les meilleurs titres softs de Pearl Jam, et leur mise en abîme par rapport aux pièces plus rageuses en affermit encore plus la charge émotive. La légende voudrait qu' "Immortality" soit un hommage à Kurt Cobain et que le morceau ait été ré-enregistré avec des textes modifiés après l'annonce du décès de ce dernier, mais cette rumeur a été démentie ultérieurement par le groupe. A signaler également, pour l'anecdote, que "Better Man" est un vieux titre de jeunesse écrit par Eddie Vedder, titre qu'il avait proposé aux autres pour faire partie du listing de Ten mais qui avait été à l'époque rejeté au prétexte qu'il était jugé trop mainstream : le fait de retrouver ce morceau sur Vitalogy en dit décidément bien long sur la nouvelle emprise du chanteur sur ses acolytes.

A lire ce qui précède, on pourrait croire que l'on a affaire au disque ultime de Pearl Jam. Sauf qu'une ombre ternit passablement tout le bien que l'on peut par ailleurs penser de cet album : les fameuses transitions. Vitalogy est en effet constellé de morceaux instrumentaux ou atypiques, amplifiant encore le côté fourre-tout et déglingué de l'album. Ces pièces étranges, si elles contribuent pour beaucoup au charme du disque et à son côté culte, entachent néanmoins la cohérence et la qualité de l'opus dans son ensemble. Certaines sont anecdotiques (le court trompe-l'oeil "Pry, To"), d'autres prêtent à sourire ("Bugs", ritournelle loufoque interprétée par Vedder aux commandes d'un vieil accordéon), d'autres encore semblent passablement en trop ("Hey Foxymophandlemama, That's Me", trip psychédélique instrumental sur fond de samples vocaux enfantins, ou encore "Aye Davanita", empilement de motifs gras et abscons dans des boucles répétitives). Pour autant, en sabordant volontairement son propre style, le groupe parvient à recréer une dynamique musicale intéressante et à rétablir la confiance des instrumentistes en leurs talents respectifs. Si le disque est diversement accueilli par le public à sa sortie dans les bacs (certains le portent aux nues, d'autres accusent leur groupe fétiche de haute trahison), les critiques sont étrangement et unanimement élogieuses, louant justement la capacité de la formation à se renouveler et à explorer de nouveaux territoires, et ce malgré les lacunes évidentes énoncées plus haut. Vitalogy reste malgré tout un grand disque, d'aucuns diront même le dernier grand disque de Pearl Jam (à l'exception, peut-être, de l'éponyme paru en 2006). Car si le combo a réussi à survivre et à retrouver sa cohésion (après avoir au passage dégagé Abbruzzese et avoir collé Jack Irons derrière les fûts), s'il reste encore à ce jour un effectif engagé et d'une efficacité redoutable en live, il n'a jamais plus retrouvé l'éclat qu'il possédait lors de la première moitié des années 90, éclat dont cet album bigarré, brutal, atypique et touchant représente probablement l'ultime rayonnement.

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