Que dire sur
Ummagumma ? Les paroles de
Roger Waters à son sujet ne laissent que peu de place à l’interprétation:
Ummagumma ? Ce fut un désastre)… Quant à celles de Nick Mason, plus nuancées, elles ne sont pas moins réalistes: «
(…) le résultat prouve, à mon avis, qu’un groupe vaut plus que les quatre membres qui le composent ». C’est certain, surtout quand on sait qu’en 1969 les membres de
Pink Floyd sont bien loin des monstres virtuoses qui font la gloire des autres groupes phares du moment. C’est d’ailleurs l’une des forces du Floyd d’avoir su poser de si belles chansons et une pierre massive dans l’histoire de la musique contemporaine avec une limite technique plus que certaine, et cela relève d’une profondeur d’âme indiscutable. Mais devant
Ummagumma, en choisissant de diviser leur talent d’alchimistes pour se livrer à de nouvelles expérimentations plus individualistes, le quatuor prend le risque de dévoiler ses limites et de démontrer une chose maintenant établie: que les grandes œuvres de
Pink Floyd avant
Dark Side Of The Moon sont celles de l’effervescence, de la rencontre et du bien être musical de quatre personnes qui avancent dans un but commun, essayant sans cesse de se dépasser quitte à se ramasser au tournant, faute d’un manque de maîtrise et de direction artistique.
Rick Wright fut le plus enthousiaste face au projet au vu d‘une volonté de composition plus personnelle. Les trois parties de son "Sisyphus", véritable tableau de l’histoire de Sisyphe, fils d’Eole, se révèlent pourtant être les plus difficiles à écouter malgré une bonne introduction lorgnant vers le péplum sur un thème angoissant, une improvisation parfois maladroite mais assez chouette qui reflète bien la personnalité posée de son auteur, légère et charmante. Puis le chaos. Wright se retrouve à fracasser ses basses en triturant ses aigus de manière totalement déconstruite pour illustrer la première mort du roi de Crête. Rien ne nous prépare à ces enchevêtrements de bruits étranges qui se poursuivront jusque dans la troisième partie de son morceau, rendant la chose particulièrement désagréable et loin d’être à la hauteur de ce qu’il aurait pu offrir, presque aussi lourde que le rocher que Sisyphe se retrouve à trainer.
Les passages les plus appréciables sont de loin les titres de
Roger Waters et de
David Gilmour qui tout en gardant une approche relativement conventionnelle et très mélodieuse, s’échappent un peu des sentiers battus au travers de techniques de collage comme avec "Several Species Of Small Furry Animals…" qui illustrera le début de la relation entre Waters et Ron Geesin, leur arrangeur. "Granchester Meadows" deviendra une pièce très utilisée par le groupe en live du fait de son ambiance bucolique ainsi que certaines parties du "Narrow Way" de Gilmour. Elles illustrent toutes deux la future propension du Floyd à inclure des passages plus folk dans leurs concerts, chose que l’on pourra observer dans les bootlegs de l’époque (le superbe
The Man and the Journey).
Concernant la partie de Nick Mason, il n’est pas utile de rappeler qu’il était loin d’être l’instrumentiste le plus doué dans Pink Floyd. Sa sensibilité et ses connaissances techniques sont cependant très présentes dans le groupe et son jeu de batterie malgré tout appréciable dans ses roulements de toms imprécis et particuliers. "The Grand Vizier’s Garden Party" n’est pas désagréable à l’oreille mais sonne relativement creux. Sa femme Lindy Mason, flutiste aguerrie, l’encadre d’un thème laissant présager de bonnes choses, mais le reste ne recèle que frappes de batterie disparates et collages d’éléments sonores qui ne suffisent pas à éveiller un intérêt autre que technologique et original pour l’époque. « Ce fut en tout cas une expérience amusante et un bon exercice ».
Le disque live présente quatre pièces déjà éprouvées en concert et arrivées à maturité, dans leurs élongations les plus abouties. Malheureusement les prises de son ne sont pas à la hauteur des interprétations intenses du groupe et l’ensemble se retrouve noyé dans un manque de puissance qui le dénigre face à certains enregistrements pirates… "Astronomy Domine" sera le seul témoignage de l’ère Barrett que le Floyd continuera à présenter sur scène tout au long de sa carrière, dénué de son léger grain de folie mais excellemment interprété. "Careful With That Axe Eugene" n’était pas encore paru sur disque et les cris de Waters donnent des sueurs froides, tout comme le break oriental de "Set The Controls For The Heart Of The Sun" parsemé de frissons électrifiés sous les nappes de Rick Wright. "Saucerful Of Secrets" manque cruellement d’impact à l’instar des titres précédents malgré un final toujours emprunt de beauté céleste bien que moins intense que la version de Pompéi.
David Gilmour: « Nous pensions faire avancer la Musique, franchir une étape vers quelque chose. En fait, nous avancions dans le noir, à l’aveuglette ». C’est justement là que l‘on entrevoit l‘essence de Ummagumma. Cet album est un grand saut dans un gouffre sombre dont on ne voit pas le fond, le saut d’un groupe qui doit s’émanciper de son passé et se tourner vers un futur inconnu, sans aucun repère pour le guider. Le Roi est mort, vive le Roi. Mais que reste-t-il aux valets ? Une identité propre à définir et à fixer. Or pour Ummagumma ce ne sont qu’idées décousues jetées en pâture à la curiosité de chacun, essayant de poser quelque chose comme il le sent, dans des recherches sonores toutes nouvelles et une faculté de composition qui ne l‘est pas moins. Tout ceci possède un mérite certain: celui de continuer à avancer.
Quand on s’y laisse porter,
Ummagumma n’est pas exactement le désastre auquel on veut nous faire croire. Il est certes blindé de défaut mais assoit la volonté du quatuor de ne pas se laisser bouffer par la médiocrité ou pire, la stagnation.
Pink Floyd n’est pas un porte étendard du « Sex, Drugs & Rock ’n’ Roll » qui peut se satisfaire de peu, et bien qu’il soit catalogué comme un groupe de bourgeois intellos, il reste une formation qui a toujours cherché à aller de l’avant, avec ses moyens à lui sans avoir peur de se planter. Du fait de cette démarche,
Ummagumma est un album important dans la discographie du Floyd, il représente une prise de risque peu commune et s‘il donne l‘impression de diviser ses membres, finit par nous faire réaliser qu‘ils travaillent toujours ensemble. Mais effectivement, si certains morceaux sont vraiment agréables et flirtent par moment avec une grand beauté, l’ensemble de l’album reste tout de même profondément inégal en terme de musicalité.