Rival Sons
Darkfighter
Produit par
1- Mirrors / 2- Nobody Wants to Die / 3- Bird in the Hand / 4- Bright Light / 5- Rapture / 6- Guillotine / 7- Horses Breath / 8- Darkside
What the fu… !? (épisode 1 - où il est question de désespoir)
Darkfighter n’est pas un album complet. Ce n’est que la moitié d’un tout. Il faudra patienter plusieurs mois pour connaître la suite et la fin de l’histoire. Comme quand j’étais enfant et que j’attendais près de la boîte aux lettres que le facteur apporte "mon" Spirou. Pour savoir enfin si Buck Danny allait échapper aux griffes de Lady X.
Rival Sons entend nous conter une descente aux enfers puis une rédemption. Darkfighter (la face sombre de l’opus) détaille la descente. Dramatique. Lightbringer (à paraître fin 2023) apportera la lumière. Il faudra avoir entendu les deux épisodes pour juger de la pertinence de l’œuvre. Les feuilletonistes apprécieront. En revanche, dans un monde vaguement dystopique où l’instantanéité passe pour une vertu cardinale et la patience pour un péché capital, ça va en faire râler plus d’un et plus d’une.
La descente aux enfers dont il est ici question jette une lumière crue sur les addictions fatales. Le malaise s’installe au fur et à mesure des huit titres jusqu’à culminer à la fin de l’album. Ce qui laisse un sentiment extrêmement dérangeant. D’autant plus que le groupe explore la théorie selon laquelle une victime d’addiction meurt bien avant sa disparition matérielle. Dans cette optique, le monde serait hanté par des zombies en cohortes qui ne sont plus vraiment en contact avec les vivants alors qu’ils ne sont pas encore passés par la case cimetière.
"Darkside", le titre qui clôture l’album, figure parmi les plus noirs qu’il m’ait été donné d’entendre. A côté de ça, le Ghosteen de Nick Cave prend les allures d’un sketch de Jerry Lewis.
Mais il peut y avoir du sublime dans la désespérance. Et c’est le cas ici. Sans pathos.
Suis-je proche du Paradis ? Suis-je proche de l’Enfer ? Plus j’avance, plus c’est difficile à dire.
What the fu… !? (épisode 2 - où il est question de meubles en bois)
Les antiquaires sont des bonimenteurs. Les meubles en bois qu’ils présentent en vitrine sont souvent vieillis artificiellement. Il se trouve même des bricoleurs qui imitent les trous de vers en tirant à la carabine de chasse sur des planches neuves (1).
Dans le même esprit, le producteur Dave Cobb fait figure d’antiquaire sans scrupule. Fan de Jimmy Miller (période Sticky Fingers), il fabrique aujourd’hui des meubles en bois garantis seventies. Darkfighter a incontestablement des allures de "classique instantané". Il contient (dans un format magnifique de quarante minutes) de la brutalité, de la tristesse, de la mort, de la poussière du désert, un peu de western, des ciels plombés, de la gnôle, des patterns de batterie régressifs, des guitares qui (ré)inventent le rock, des bruitages pourris, quelques pains, des trucs qui grincent, un grain vocal mal moulu, des histoires qui font chialer et huit titres absolument imparables (2).
Pas d‘autotune, pas de métronome. C’est du pur jus nature garanti sur facture. Avec des trous de vers bricolés au fusil.
La question qui se pose par conséquent est : pourquoi publier aujourd’hui un album à ce point sombre et épique qui aurait pu sortir – histoire de situer le débat – entre In Rock de Deep Purple et Toys In The Attic d’Aerosmith ?
Ce n’est pas une interrogation neuve : les encyclopédistes rock inventent depuis toujours des "écoles", des "revivals", des "new waves" ou des préfixes ("néo", "post", "nu", "pré", …) pour étiqueter des groupes que personne ne sait trop comment classifier. L’être humain aime ranger. Et Rival Sons est à ranger sur l’étagère marquée "Seventies". Même si les musiciens n’ont pas 50 ans.
Ce procédé de "rétro-création" n’est pas spécifique au rock. George Lucas a bien chipé tous les codes éculés du Space Opera (à tendance mystique) des années cinquante pour "inventer" Star Wars. Comme J.K. Rowling a relu une mythologie Sword And Sorcery tombée dans l’oubli pour "enfanter" son petit Monsieur Potter. Personne n’a trouvé à redire sur le fait que les deux œuvres n’étaient pas contemporaines de leur moment de création…
Retour aux affaires
Darkfighter fait de Rival Sons la plus solide tête du pont d’une New Wave Of Old American Heavy Metal. Sachant que toutes les "nouvelles vagues" se sont écrasées sur le littoral depuis 1980, le renoncement à toute modernité (dans la forme comme dans le fond) serait peut-être l’ultime démarche artistique progressiste.
Tout en rappelant qu’il ne s’agit ici que de la face sombre d’un ouvrage encore incomplet, l’album dévoile un groupe mature, en constante progression et totalement décomplexé. Le plaisir est d’autant plus grand que les quatre californiens, déjà habitués à l’excellence, en ont encore clairement sous le coude. En sept albums, les gaillards de Long Beach se sont forgé un son et un style qui renvoient une bonne partie de la concurrence (passée, présente et future) à ses chères études.
Avec ces mélodies imparables, cette rétro-temporalité sonique et cette sincérité dans les textes, il y a une "évidence" chez Rival Sons. C’est cette évidence qui fait les grands groupes et qui enchante les rockers depuis qu’Elvis a poussé le cri primal.
Ceux qui trouvent que le procédé est "facile" (ou "évident") n’avaient qu’à l’inventer avant. Quitte à tirer à la chevrotine sur des meubles neufs…
A suivre…
(1) Si vous avez un doute au sujet d’un meuble en bois, sachez que les vers ne creusent jamais des galeries rectilignes. Je sais que je m’écarte un peu des thématiques d'Albumrock…
(2) Avec un soupçon de réserve toutefois en ce qui concerne "Horse’s Breath" parce que je ne suis pas fan des compositions où tous les temps sont marqués dans le drumming. Ca n’empêche pas le titre d’être d’une efficacité marquante.