Rolling Blackouts Coastal Fever
Hope Downs
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1- An Air Conditioned Man / 2- Talking Straight / 3- Mainland / 4- Time in Common / 5- Sister's Jean / 6- Bellarine / 7- Cappuccino City / 8- Exclusive Grain / 9- How Long ? / 10- The Hammer
Profitons de la récente chronique de Diego sur Endless Rooms pour revenir sur le premier album des Rolling Blackouts Coastal Fever, sorti en 2018. Un premier effort qui parait sans effort, ou en tous cas moins qu'il en faut pour retenir le nom du groupe. Les RBCF sont un quintette originaire de Melbourne. On sent chez eux des influences 90ies, une ambiance entre copains dans la cave des parents (et d'ailleurs deux d'entre eux sont frères) avec beaucoup de marron partout (le bois lambrissé aidant) et d'esprit collectif. Pour preuve, Tom Russo, Fran Keaney et Joe White se partagent le chant en même temps que la guitare. Considérés comme les héritiers directs des tout autant australiens The Go-Betweens, ils nous livrent sur ce premier album du Sub Pop, certes. Mais aussi du Sub Post-Punk. Chouette.
Demande et tu verras: cet album te donnera ce dont tu as besoin. Et si les pochettes d'album avec une photo de piscine étaient de bonne augure quant à la qualité de leur contenu (pas forcément chloré)? En 2010 on avait eu un exemple avec une piscine (remplie), pour l'album de Good Shoes, No Hope, No Future, avec quinze titres clairs et honnêtes, mélodiques et "droit au but" de bout en bout. Alors que dire de cette piscine (vide) de début d'automne? Au contraire de la course de natation, le visuel de l'album annonce par ses feuilles mortes des regrets, des espoirs déchus. Tout comme le titre l'indique aussi: Hope Downs.
La première chanson s'apparente à la guitare claire de Johnny Marr: "An Air Conditioned Man" débarque sans intro, elle dévale la pente à toute allure, grondante et toutes en superpositions de cordes, comme un lointain orage (de fin d'été, on a compris). Et pourtant, c'est aussi un titre nonchalant, qui résiste à l'urgence de la voix juvénilement engagée par dessus. Oui, on est à cheval entre les terres de The Smiths et la côte de Cage The Elephant. Pas mal placés quoi. Rolling Blackouts Coastal Fever a un nom composé, et se compose et se tisse de contradictions élégantes.
Eblouissant, "You're Not Talking Straight" vient vite confirmer la tendance. On est cueillis et frappés de plein fouet. Un titre à mettre dans le top 5 des meilleures chansons post-punk des années 2010 (qui vous est gracieusement et subjectivement proposé en fin de chronique). Directe, la guitare intervient par strate et en un accord en decrescendo, accompagnant la déprime qui colle aux paroles du couplet "And it's tiranny, of questionning, ring the diving bell/ I'm further down, I'm nearly out, I'm deeper down the well". A ce stade on ne peut qu'espérer que le reste de l'album se tienne à ce niveau.
Les fantasmes, quand on veut bien les déconstruire, tombent vite à l'eau. Une ville balnéaire à la fin de l'été perd de son charme en surface, et enverra moins du rêve en automne. Mais l'espoir est vaillant, sa tête est bien gardée en dehors de l'écume. "Mainland" est énergique, monté sur ressort, on pense aux morceaux les plus remuants des Pixies avec cette histoire de deux amoureux qui se demandent comment la mer peut être à la fois si belle et si hostile pour un réfugié.
A sa suite "Time in Common" est à nouveau un incroyable morceau de type post-punk, qui avance droit, puis fait un break au moment le plus propice (1'18). Un décrochage dans les aigus (1'48) plus tard, et il y a de quoi être étourdi de tant de bonnes manières et de bon goût. D'une structure binaire et presque bidon, on arrive à un titre suffisamment déconcertant pour émerveiller. Et on n'est qu'à quatre titres.
La musique de RBCF est équilibrée au grain du sucre glace près, avec un pouvoir saccharotique immédiat. Mais circonvolutions et périphrases il y a. Plus calmes et confidentielles, "Ballarine" raconte la garde alternée de la fille de White, et "Sister's Jeans" est tout aussi folk, en mode Bob Dylan meet the Dandy Warhols meet "The Meaning of Love" de Depeche Mode. Vaste programme. "Cappuccino City" rappelle des ballades du genre débuts charmants de We Are Scientists. Puis on revient avec bonheur aux lames plus glacées avec "Exclusive Grave" qui finit de nous désarmer de ses allitérations syllabiques exquises supportées par sa base métallique argentée. Les cymbales sont aussi claires et étincelantes que la note de piano répétée dans le fond.
L'album se déroule ainsi sans heurts, et se présente par et pour lui même. Les mélodies sont dentelées, avec un côté désabusé et brut surajouté. Une bonne durée de 35 min. Une pop plus que parfaite, simple et sans détours en apparence. Soyons clairs, un groupe tel Rolling Blackouts Coastal Fever, il y en a pas tous les quatre matins. Il ne s'est pas passé tant de choses dans le domaine post-punk des "titres qui te mettent les poils tellement ils sont bien foutus" la décennie dernière. Dans les années 2010 on a croisé la luminescence des Eagulls ("Tough Luck"), l'intelligentsia des Car Seat Headrest ("Something Soon"), l'émotion des collègues (Sub Pop) Wolf Parade ("Modern World"), la grâce de Preoccupations ("Continental Shelf") mais peu nombreux ont été les groupes qui ont pour de bon ébloui et ému par leur talent à cette période. On peut y rajouter le titre "You're Not Talking Straight" maintenant allez. Le deuxième album de RBCF passera son difficile test (de deuxième album), le troisième sera carrément prometteur, tout autant que les EPs. Merci l'Australie, merci les Wallabys.