The Cult
Hidden City
Produit par Bob Rock
1- Dark Energy / 2- No Love Lost / 3- Dance the Night / 4- In Blood / 5- Birds of Paradise / 6- Hinterland / 7- G O A T / 8- Deeply Ordered Chaos / 9- Avalanche of Light / 10- Lilies / 11- Heathens / 12- Sound and Fury
Et dire qu'il aura fallu presque 10 ans à The Cult pour achever une trilogie débutée en 2007 avec Born Into This. Autant dire que l'auditeur, même fan, a bien du mal à appréhender Hidden City comme la conclusion d'une lubie discographique un poil mégalomaniaque. Surtout que les deux premiers volets de cette "trilogie" sont franchement loin d'avoir marqués les esprits, même s'ils signaient avec une certaine maestria le retour du groupe égaré dans les délires psychiques de son chanteur depuis belle lurette. Car Ian Astbury, avant de revenir au premier plan avec sa formation de cœur, a enfilé avec un certain excès le costume de Jim Morrison au sein des Doors Of The 21st Century qui regroupait Ray Manzarek et Robby Krieger, membres originels du groupe californien, et Astbury donc. Indéniablement, Astbury a trop pris au sérieux son rôle de doublure du Lizard King, oubliant complètement The Cult. L'achèvement de cette trilogie est aussi l'accomplissement final d'un renouveau artistique entamé voilà une décennie. Et même si Hidden City ne brille pas des mille feux dont on aurait rêvé, il regorge de nombreuses qualités et d'un aspect mystique toujours aussi intriguant. Fascinant même.
Le superbe artwork d'Hidden City lui confère avant même la moindre écoute une portée artistique notoire. Déjà parce qu'il faudrait être aveugle pour ne pas admettre la beauté de cette pochette d'une pureté florale étincelante légèrement pigmentée d'un sang pourpre captivant. L'arrière-plan vierge et immaculé n'est d'ailleurs pas sans rappeler son prédécesseur Choice Of Weapon et l'éponyme de 1994. The Cult ne change pas foncièrement sa manière de distiller son rock 'n roll sauvage avec Hidden City. Si Astbury n'est plus le vocaliste qu'il était à l'époque des chefs d'oeuvre Electric ou Love, il ne reste pas moins un chanteur exceptionnel qui narre avec une classe insolente sa poésie mélancolique, jouant autant sur les rimes que sur les mots et illustrant toujours son propos de quelques métaphores remarquables de mysticisme et de cette pointe d’inintelligibilité étonnante:
"This dream of life is fading / This generation's fading / The shadows with us failing / The truth with you", extrait d'Hinterland.
("Le rêve de la vie s'évapore / Cette génération s'évapore / Les ombres avec nous s'échouent / La vérité avec toi").
Toujours très engagé, Astbury impose sa stature de magnifique conteur des temps modernes au profit des graves troubles du monde actuel:
"I'm a European / Witnessing the fall / From the perfumed lands / Syria the fall, weep for you", extrait de "Deeply Ordered Chaos"
("Je suis un Européen / Assistant à la chute / Des terres pafumées / Syrie la chute, pleure pour toi")
Plus que jamais, The Cult est un groupe qui s'écoute avec ses deux oreilles, son coeur et sa tête, et Hidden City (comme Choice Of Weapon il y a 4 ans) frappe par la puissance de son propos.
Puissant, The Cult l'est aussi par l'impact sonore de ses titres percutants, aux riffs acérés et à la batterie charpentant un ensemble colossal de force et de distorsion. Cette dernière est dès l'entame mise en avant avec les introductions du très efficace "No Love Lost" et d'un "Dark Energy" épique qui suggére l'espace d'une longue note tenue un solo dantesque de Billy Duffy qui finalement s'évanouit dans les tourments de quelques notes de piano épars et d'une sourde ligne de basse. A peine entamé, Hidden City voit The Cult se jouer de son auditeur en délectant avec parcimonie sa furie ("No Love Lost" et son alternance couplet-refrain riches en décibels vigoureux), complexifiant l'architecture de ses titres ("Dark Energy" et son deuxième refrain qui n'arrive jamais) et brouillant rapidement les pistes toutes tracées d'un album rock pur et dur en proposant des instrumentalisations osées à base de claviers nébuleux et de quelques violons stridents ("In Blood"). Ce dernier titre, particulièrement grave et sinistre, voit Astbury emprunter des chemins mélodiques plus sinieux et apposer un timbre vocal sombre et tremblotant aux résonances inquiétantes. The Cult ne facilite pas la tâche de son auditorat en proposant avec Hidden City moultes réagencements de sa musique binaire certes, mais en rien simpliste.
L'écoute globale de l'album permet aisément de distinguer les différents temps de ce disque alambiqué. Car si l'alternatif "Dance The Night" se révèle bien faiblard avec sa guitare aux faux-airs réverbérés de R.E.M., The Cult a bel et bien mis le pied à l'étrier dès le lancement d'Hidden City lorgnant allègrement vers son penchant le plus hard rock. Pourtant, sous l'influence du producteur attitré du groupe Bob Rock, Astbury et Duffy tentent de sortir de leur zone de confort avec une certaine approximation parfois (l'inintéressant "Avalanche Of Light", d'une pâleur indisgeste) mais aussi avec ce génie musical et poétique passioné. A l'instar de "Birds of Paradise", longue pièce évolutive aux passages très électriques et aux moments plus épurés durant lesquels Astbury retrouve une belle constance vocale, juste et suave, The Cult distille quelques pièces maîtresses prophétiques, spirituelles et entêtantes. Le lyrisme incandescent de "Deeply Ordered Chaos" plonge l'auditeur dans un coma réparateur après deux salves sauvages envoyés toutes guitares dehors par Duffy ("Hinterland" et l'excellent "G.O.A.T.") faisant cohabiter riffs sauvages, solos draconiens et rythmiques viriles au sein d'un tourbillon sonore sur lequel Astbury délecte de quelques refrains d'une rare efficacité.
La clé de voûte d'Hidden City tient donc en 4 titres d'une exceptionnelle qualité, placés à équidistance de "Dark Energy" et "Sound And Fury" respectivement ouverture emphatique et magistrale clôture subtilement paradoxales d'un album habilement et intelligemment modelé. Antagonistes sur la forme mais cohérents sur le propos, ces deux titres sont à l'image d'un groupe complexe, habité par une volonté sans faille de troubler, de tourmenter et de toucher par toute une variété de sons et d'ambiances, du rock décomplexé et énervé à la ballade antinomique, douce et mélancolique d'une vibrante intensité. Il est encore plus remarquable de constater que quelque soit le penchant du titre exécuté, la symbiose est totale, l'assemblage de la voix classieuse d'Astbury et des guitares homériques de Duffy toujours aussi évidente et ce en dépit des expérimentations courageuses dont The Cult fait preuve tout le long d'Hidden City. En atteste, le diptyque non-miscible achevant cette liturgie discographique composé d'un blues rageux ("Heathens") et d'une superbe ballade contemplative ("Sound And Fury"). Troquant la cause amérindienne chère à ses débuts pour une conscience plus globale et moins centrée, The Cult s'impose avec un album fort de sons et lourd de sens. Un grand moment de rock.
On peut toujours trouver ça prétentieux d'appeler son groupe The Cult, comme si tout individu écoutant les anglais ne pouvait échapper à cette forme de prosélytisme musical assené sans retenue. Pourtant, il semblerait bien que les quinquas de Bradford soient en passe d'accéder à ce statut privilégié et tant mérité au vu de la marque profonde qu'ils ont apposé sur le rock dans sa globalité. Même s'il n'a jamais brillé sous les projecteurs comme les autres formations star de l'époque, The Cult boucle un long cycle d'une très belle manière avec Hidden City en revenant à un credo simple tout en conservant cette sourde ambiance révoltée qui court tout le long d'une écoute transpirant le rock 'n roll tel qu'on l'aime: incisif, direct, chaleureux et poétique. The Cult est tout ça. Et c'est pour ça qu'on l'adore. Si le groupe ne devait pas donner de suite à cet album, on tiendrait là la plus belle des sorties imaginables pour The Cult. Si l'aventure devait continuer alors nul doute que ce disque est certainement le meilleur du Cult depuis son temple sonique. Tiens, et si on se le réécoutait ce Hidden City ?
Chansons conseillées: "Deeply Order Chaos", "No Love Lost" et "Heathens"