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Critique d'album

The National


Trouble Will Find Me


(21/05/2013 - 4AD - Indie Pop - Genre : Rock)
Produit par

1- I Should Live in Salt / 2- Demons / 3- Don't Swallow the Cap / 4- Fireproof / 5- Sea of Love / 6- Heavenfaced / 7- This Is the Last Time / 8- Graceless / 9- Slipped / 10- I Need My Girl / 11- Humiliation / 12- Pink Rabbits / 13- Hard to Find
Note de 4/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"The National laisse (trop) entrer la lumière."
Kevin, le 31/05/2013
( mots)

The National, le groupe qu'on ne présente plus. Acclamé par-delà le monde, parfois décrié car considéré comme un groupe de branchouillards élitistes, le groupe de l'Ohio-Brooklyn avance à pas de géant et rafle des succès amplement mérités partout où ils se trouvent. Une discographie en forme d’ascension permanente, deux derniers albums (Boxer et High Violet) parés pour la postérité et un statut de leader de la pop US qui leur colle aux basques, même s'ils s'en défendent. Les garçons n'ont pas chopé un ego démesuré et demeurent toujours aussi timides et polis qu'à l'époque où ils grattouillaient au fond de leur garage de Cincinnati. Ajoutons un film sur leur récente tournée qui pointe le bout de sa pellicule et vous obtenez un aperçu de l'attente qui s'agite autour de la sortie de Trouble Will Find Me. Trois singles lancés par-ci par-là ont su faire gonfler l'excitation d'un album qui cultive les paradoxes d'un groupe superstar super-timide. Trouble Will Find Me montre ses dents de lait, mais avant tout pour qu'on soit en mesure de les identifier à leur candeur. 

Si la candeur demeure, tout comme de nombreux éléments de la musique de The National, dès les premières écoutes un léger sentiment d'inconfort s'installe. S'il n'est pas évident de mettre le doigt dessus instantanément, le doute subsiste jusqu'à l'éclosion d'une vérité étrange. Le groupe semble avoir mis de coté leur capacité à se baigner dans l'ombre quitte à se vautrer dans la poussière. L'album regorge d'arrangements fins et élégants et en nombre conséquent, qui nous enveloppe d'une musique bien plus cérébrale qu'affective. Tout le rapport sentimental que l'on a entretenu avec le groupe vacille et tangue, selon les morceaux, pour parfois se réduire à peau de chagrin. Tout d'abord, Matt Berninger chante dramatiquement trop haut sur la moitié de Trouble Will Find Me, comme s'il tentait d'attirer la lumière et d'engloutir les coins d'ombres de sa voix. À chanter aussi clair, il en dissipe les délicieux remords qui le hantaient, jadis. Tout du moins, il les altère. La douce lumière qui émane d'un "Fireproof" inonde l'espace d'une bienveillante chaleur inédite, mais cette nouvelle lumière surexpose de sérénité les deux derniers morceaux de l'album, qui perdent en impact ce qu'ils gagnent en douceur. En effet, Trouble Will Find Me s'efforce à trouver l'équilibre entre le trouble et l'élégance et bascule par instants dans un raffinement parfois un peu trop précieux. En outre, l'album se veut plus accessible et immédiat, peut-être même définitivement universel, comme armé pour séduire le monde entier, sans pour autant tourner le dos à qui que ce soit. Quitte à laisser sur le chemin un "I Need My Girl", ritournelle où la solitude embrase le sentiment amoureux mais surtout où la lente peine du chanteur ne nous arrache qu'un ennui impudique.

Mais attention, si le groupe a ouvert les volets pour laisser entrer la lumière, il n'en a pas pour autant perdu sa superbe science de la mélodie juste. On retrouve par exemple avec délectation le jeu de baguettes génial de Devendorf, toujours juste et intransigeant, à conduire de son cockpit en bois les treize chansons de l'album. Précis, quantique, violent quand il le faut, quitte parfois à écraser tout le reste, comme dans la première partie de "Graceless", avant que tout le monde n'explose avec lui dans une longue course épique. Car on décèle également une propension à de temps en temps aller trop vite, à privilégier le plus qu'on avait pas vu depuis le très enthousiaste Alligator (2005). Mais plus qu'une envie de donner la pleine mesure de leur talent, cela sonne davantage comme une impatience frustrante, comme s'ils n'avaient plus la volonté (ou l'endurance) de sculpter le doute jusqu'au summum du déshabillement. "Sea Of Love" fonce par exemple tête baissée, laissant Berninger et Devendorf virevolter ensemble, noyant le reste dans des cascades impétueuses. 

Il est cependant malhonnête d'être à charge contre un album d'une telle qualité et il est plus juste de reconnaître que le changement a du bon que de fustiger les efforts consentis. Certes, pour la première fois en trois albums, on note quelques imperfections par-ci par-là et on se trouve un brin désorienté par cette quasi-légèreté dans le ton. Peut-être est-elle due aux très nombreux talents qui sont venus collaborer sur cet album, car outre le traditionnel Sufjan Stevens, on remarque un Rone, un Owen Pallett ou une Sharon Van Etten, entre autres, passés apaiser et polir l'ensemble. Ou simplement à l'évolution somme toute logique d'un groupe qui n'a plus rien à prouver et qui souhaite se renouveler et ne pas s'auto-plagier. Si les tons gagnent en luminosité, le talent demeure et il s'injecte dans des morceaux franchement remarquables, pour la peine inédits dans leurs discographie. Comme tout au long de la progression toute en retenue d'un "Humiliation" qui exalte la lassitude des banlieues endormies, suspendu dans l'air fin de l'été. Ou au détour de titres de haute volée où l'on reconnaît sans mal toute la force dramatique du groupe. "Demons", aux paroles sombres à souhait et embellie par la voix (enfin) caverneuse de Berninger, "Don't Swallow The Cap" énigmatique et porté par un souffle magnétique ou "This Is The Last Time", impeccable mélodie emprunte d'une mélancolie dévastatrice. L'ensemble des treize morceaux de Trouble Will Find Me est bon, impitoyablement bon, quoiqu'il se passe. Même si on cligne des yeux sur quelques flottements et qu'aucun d'entre eux n'atteint la classe furieuse des "Brainy" ou autre "Conversation 16". L'album explore des environnements plus pop, parfaitement sculptés et soyeux à l'oreille, desquels s'extirpe une âme à peine plus frêle qu'à l'accoutumée. 

Ce n'est pas tant la déception qui domine l'écoute de Trouble Will Find Me, davantage une incrédulité curieuse. C'est comme se retrouver avec de très bons copains et se rendre compte qu'on a moins de chose à se dire qu'au zénith de notre relation, ou s'indigner du fait qu'ils ont grandi plus vite que nous. Ne cherchez pas le paradoxe, il est partout dans cet album. Grandiose mais perfectible, parfois sensible à outrance, parfois foudroyant comme l'éclair, maussade et lumineux, triste et nonchalant, par moments trop travaillé, par instant trop simpliste. Peut-être un peu trop long. L'album est plus dense dans ses compositions que ses grands frères, mais moins dans ce qu'il a à raconter, dans les émotions qu'il véhicule. C'est peut-être l'album d'un groupe qui change de dimension, qui entre dans une nouvelle ère de sa carrière (à y réfléchir à deux fois, ne l'ont-il pas déjà fait avec High Violet ?) moins solitaire, moins confidentielle et plus encline à partager sa musique avec le monde entier. Au-delà de ces questions métaphysiques qui trouveront leurs réponses avec le temps, reste à savourer un album de très belle facture, que peu d'autres groupes auraient pu servir de cette si subtile façon.  

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