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Critique d'album

The National


First Two Pages of Frankenstein


(28/04/2023 - 4AD - Indie Pop - Genre : Rock)
Produit par The National

1- Once Upon A Poolside (feat. Sufjan Stevens) / 2- Eucalyptus / 3- New Order T-Shirt / 4- This Isn’t Helping (feat. Phoebe Bridgers) / 5- Tropic Morning News / 6- alIen / 7- The Alcott (With Taylor Swift) / 8- Grease In Your Hair / 9- Ice Machines / 10- Your Mind Is Not Your Friend (feat. Phoebe Bridgers) / 11- Send for Me
Note de 4/5
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Note de 3.5/5 pour cet album
"Un disque à la tendresse taciturne qui prend son temps et demande le votre."
Diego, le 04/05/2023
( mots)

A l’occasion de la sortie de First Two Pages of Frankenstein, Matt Berninger, frontman de The National, n’a pas caché la difficulté dans laquelle les vétérans de l’indie ont accouché de cette nouvelle production. Syndrome de la page blanche, dépression, tant de symptômes qui semblaient, aux dires des premiers concernés, signer la fin de l’histoire pour un des groupes les plus influents du genre.


A y regarder de plus près (ou en prenant du recul, c’est selon), ce constat n’est pas totalement surprenant : quasiment vingt ans d’activité, une discographie pléthorique et sans accroc, et surtout une diaspora géographique et musicale qui a conduit les membres du quintet sur des chemins ne partageant a priori pas la même destination. Les frangins Devendorf de la section rythmique explorent ainsi des sons plus expérimentaux dans le groupe LNZNDRF (c’est d’ailleurs plutôt réussi), Bryce Dessner se concentre sur ses orchestrations contemporaines et notamment la bande originale du dernier Inarritu, Berninger propose un travail solo au bilan mitigé. Fait plus impactant, Aaron Dessner voit sa carrière de producteur prendre un tournant mainstream majeur en se retrouvant aux manettes de deux albums de Taylor Swift (un grammy à la clé), et plus récemment de celui d’Ed Sheeran. De quoi infuser de l’indie morose et poétique sur les habitués des passages radio ? Pas si sûr… Il faut être deux pour danser et il n’est pas improbable que le jeu d’influence ait fonctionné dans les deux sens.


C’est en tout cas ce qui transpire dès la première écoute de ce nouvel opus, teasé à grands coups de single (quatre au total, c’est bien trop). La platitude de la production et l’enrobage sucré à faire passer une pomme d’amour pour un fruit naturel sont difficiles à appréhender sur "The Alcott", duet avec Taylor Swift.  Le titre sonne davantage comme une B-side de folklore ou evermore que comme une composition typique de The National, pourtant pas avare en ballades mélancoliques. De même que "coney island", sur lequel le groupe new-yorkais était venu prêter main forte à Swift sur la deuxième galette issu du studio de Long Pond de Dessner, "The Alcott" en fait trop et ne parvient pas à dégager le charme indéniable des collaborations entre la mégastar et Bon Iver.


Au contraire de I Am Easy To Find, qui avait dissimulé l’identité des différents invités, ce dernier opus assume et affiche les contributions des artistes. C’est le cas pour Swift donc, mais aussi pour le fidèle Sufjan Stevens sur le titre d’ouverture "One Upon A Poolside", minimaliste mais sincère et bouleversant. Stevens se contente de quelques harmonies en arrière-plan du paysage sonore. Phoebe Bridgers, convoquée à deux reprises, ne transfigure pas non plus l’indolente valse "Your Mind Is Not Your Friend" et le plus entraînant "This Isn’t Helping". Ce-dernier tente de raviver le succès de High Violet et ses arrangements baroques. C’est loin d’être totalement raté, mais ce n’est pas tout à fait réussi non plus. La faute au grand mal de ce disque, une production trop lisse et parfois claustrophobe. Le refrain voit ainsi Berninger accompagné de chœurs bien trop présents et qui empêchent un vrai décollage.


Cette frustration se retrouve sur les morceaux "Ice Machines" et "Eucalyptus". Le premier, éprouvé à plusieurs reprises en live, semblait démontrer un potentiel équivalent aux classiques du groupe. Arpèges de guitare doublés progressivement par la guitare jumelle du jumeau guitariste, prose mélancolique du frontman. En temps normal Bryan Devendorf viendrait allumer la mèche pour propulser le titre sur un refrain explosif, mais il n’en est rien.


Le diagnostic diffère sur "Eucalyptus" : l’exercice est plutôt réussi mais il devrait l’être davantage tant la composition présente de fabuleuses possibilités. Elle voit Berninger lister les effets personnels quasi-personnifiés qu’un couple se partage au cours d’une séparation. Les performances live traduisent toute la rage et la détresse du leader, qui se met progressivement à haranguer les paroles avec sa passion caractéristique, accompagnée par l’orchestration montant aussi en puissance pour un climax tout en cuivres. La version studio se retrouve diluée par une compression qui manque de punch. Cela dit, le groupe a déjà fait de sa spécialité la conversion de leurs compositions feutrées en brûlots rocks, "Squalor Victoria", "Terrible Love" ou "England" en tête.


Il existe une expression - un peu désuète - pour qualifier un footballeur particulièrement à l’aise techniquement dans les petits espaces : “il pourrait dribbler ses adversaires dans une cabine téléphonique”. Le constat s’applique au batteur Bryan Devendorf, dont l’espace restreint avait déjà été pointé dans notre analyse du précédent effort du groupe. Si les frères Dessner sont le cerveau du groupe, Bryan Devendorf en est le cœur qui bat. Il est forcément regrettable de voir son environnement d’expression se restreindre encore ici. Sur "Grease in Your Hair", il parvient tout de même à raviver une flamme qui rappelle aux bons souvenirs des rythmiques période Alligator ("Abel" en particulier), l’urgence des jeunes années du groupe laissant place ici à la déclinaison plus feutrée des musiciens matures.


Le premier single "Tropic Morning News" et le morceau "Alien" figurent également parmi les vrais succès du disque. Les deux titres s’inscrivent dans la droite lignée du style indietronica adopté sur l’excellent Sleep Well Beast et voient Devendorf briller sur des finishs de haute volée.
Berninger y évoque son incapacité à se sentir à l’aise en public (ironique pour l’un des frontmen les plus iconique de sa génération) mais parvient à donner du rythme à sa prose. A l’inverse, son phrasé d’orthophoniste sous prozac ou de prof d’anglais (prozac en général fourni par défaut) sur "Your Mind Is Not Your Friend" peinait à convaincre, mais rendait compte de l’état psychologique qui était le sien au moment de la composition.


La plume de Berninger a été plongée dans une encre encore plus sombre qu’à l’accoutumée. Ce n’est pas rien dire pour un groupe qui compte "Sorrow", une chanson qui voit du désespoir absolument partout, dans sa discographie. Toutefois, quelques éclats de lumière jaillissent de la noirceur, comme sur le délicat "New Order T-Shirt", qui décrit la banalité des moments précieux de la vie comme des pilules à conserver avec soi : "I keep what I can of you, Split-second glimpses and snapshots and sounds (...) I carry them with me like drugs in a pocket " / " Je conserve ce que je peux de toi, des aperçus d’une fraction de seconde, des captures et des sons (...) je les portes avec moi comme des médicaments dans une pochette". Du National tout craché. "Send for Me", le morceau final, propose à l’auditeur une échappatoire temporaire au travers de la musique du groupe. On ne promet pas l’impossible ou le salut, simplement un apaisement réaliste et momentané.


Composé dans un contexte particulier, inédit pour les musiciens, First Two Pages of Frankenstein est un disque qui relève de l’intime et ne saurait donc brusquer. Plusieurs écoutes sont nécessaires pour s’en convaincre, mais ce neuvième effort, démontre, si cela était nécessaire, que The National détient toujours le talent pour composer des vignettes musicales à consommer avec attention. Like drugs in a pocket


A écouter : "Tropic Morning News", "Alien", "Eucalyptus"

Avis de première écoute
Note de 2/5
Une déception malheureusement prévisible pour ce neuvième album qui ne dévie pas de la trajectoire chamber pop agressivement triste dessinée par le disque précédent. First Two Pages of Frankenstein est souvent aussi verbeux que son titre et la formule des américains est désormais simplifiée à un point où il ne reste plus que des suites d'accords génériques et des motifs de piano stéréotypés pour tenter de relever la lourdeur de la prose de Matt Berninger ("Eucalyptus", "This Isn't Helping" difficiles à digérer). Mention spéciale aux contributions de Phoebe Bridgers et Sufjan Stevens, d'un intérêt semblable à un caméo de film de super-héros.
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