The Wombats
Is This What It Feels Like To Feel Like This ?
Produit par Tord øverland Knudsen, Mike Crossey, Mark Crew
1- I Think My Mind Has Made His Mind Up / 2- Dressed To Kill / 3- Demon / 4- Is This What It Feels Like To Feel Like This / 5- Same Old Damage / 6- Good Idea At The Time
On ne leur a jamais demandé de changer la face du monde du rock (même indépendant), cependant The Wombats existent depuis 20 ans, voguant entre disco punk et indie pop (très early 2000) sous acide à la fois multicolore et liverpuldien. Une contradiction qu'ils entretiennent avec des airs joyeux chantés avec un fort accent du nord de l'Angleterre et un titre devenu culte (pour les amateurs du genre) "Let's Dance To Joy Division". Le groupe est resté anecdotique auprès du public français mais fait sold out régulièrement dans les petites et grandes salles de Grande Bretagne. Un petit phénomène ces marsupiaux. Murph, le leader du groupe est le bon candidat pour le genre d’émission telle Nevermind the Buzzcocks, il est un millennial type qui a su rester jeune et qui parait toujours adolescent, lui et son inflexion intonative empruntée à la working class dont il ne vient pas vraiment.
Populaires chez certains jeunes sur Tik Tok avec leur drame antique ("Greek Tragedy"), The Wombats embrassent un public plus large au gré de la progression de leurs différents albums, ils fidélisent et fournissent notamment un petit goût de régressif aux trentenaires qui finalement ont le même âge qu’eux. Gentils branleurs pleins de bonnes idées, il sortent de leurs t-shirts de fripe des tubes pas dégueus, mais parfois un peu hasardeux, voire (trop) récessifs. A force de ne pas se prendre au sérieux (on pense aux copains les Kaiser Chiefs, pour qui la roue a tourné dans le mauvais sens, une chute libre proportionnelle au poids perdu par Ricky Wilson), ils ont tendance à patauger dans une zone intermédiaire, à mi chemin entre les Two Doors Cinema Club et Grouplove, avec des titres taillés pour les dancefloors. Sont déjà parus: un premier album éclatant et loufoque (qui en fait un groupe chouchou NME), un deuxième plutôt éparpillé, un troisième plus centré, un quatrième carrément bien foutu. Et depuis les Wombats sonnent un brin plus indé et donc moins foutraque. Moins mecs attardés qui fument en cachette dans les toilettes d’écoles plus ou moins privées (même si elles s’appellent public schools en Angleterre). Davantage concentrés, la longueur de leurs noms d'albums a d'ailleurs aujourd'hui (un peu) diminué.
Ils se justifient moins les lascars. Ils en viennent même à formuler deux-trois conseils aux jeunots qui ont davantage l’âge de trainer dans les couloirs qu’eux. Faut dire que passé 35 ans on peut commencer à se dire qu’on est le vieux con de quelqu’un. En janvier 2022, le trio sort un album conseil au sage adage: Fix Yourself, Not The World, sur lequel Matthew scande, tel un haïku: "People don’t change people time does". Il est numéro un (en Grande Bretagne, on a bien capté que ce genre de format rock est un concept là-bas et pas ici, triste vie) dès sa sortie, et les Wombats enchainent avec un EP en novembre, un genre de "reste" de titres. Cela ne donne pas très envie si c'est que des miettes. Eh bien c'est tout le contraire, les liverpuldiens nous servent là le meilleur mets du repas. C'est à se demander si Interpol, qui a pédalé dans la semoule sur son dernier album, ne leur aurait pas donné le peu de mâche qui leur manquait. D'ailleurs, à propos de texture, le trio du nord annonce que c'est leur production la plus crue. D'où la bonne mastication.
L'appellation déjà de Is it What It Feels Like To Feel Like This a un écho quasi anagramique, un petit effet de figure de style d'entrée de jeu. C'est fini, les Wombats ont cessé de "proudly presents" leur nouvel album avec gêne, ils assument. C'est bien simple dès les premières notes on pense aux meilleurs airs de The Fratellis couplés aux percées claires de early Coldplay. C'est lumineux et très bien mené. "I Think My Mind Has Made Its Mind Up" commence tels les Foo Fighters période "My Hero", lourd et un brin grunge (mais réverbéré voire flangerisé), la mélodie schizophrénique est tantôt pétillante, tantôt new wave avec un bon break Foals-ien. Un sans faute. On n'a pas le temps de s'en remettre, qu'on arrive sur l'imparable "Dressed to Kill" qui reste incrusté très loin dans l'oreille interne. La rythmique soutient les punchlines (une sombre histoire de nunchakus), chaque couche de voix et d'instruments est mise en relief, travaillée, il faut y revenir plusieurs fois pour percevoir leur richesse. Leur complexité (!).
Plus tard, sur "Demons", le chanteur clame "I don't want to live a quite life", en parlant d'un mec qui boit au travail. Comme c'était le cas chez leurs potos The Rakes, la sombre vie citadine est toujours discutée, observée dans son absurdité. Même si un peu en dessous des autres, ce titre est loin d'être mal foutu. Que s'est il donc passé ? Eh bien c'est le bassiste qui a quasi tout produit l'album dans son studio en Norvège. Originaire de ce même pays, il a réussi en distanciel à ramener les Wombats à leur meilleur niveau. Doit-on expéditivement en retenir que le sens de la pop et de la mélodie coule naturellement dans l'ADN scandinave? On va dire que oui au vu de "Same Old Damage" tout en harmonies perchées et chaloupées (un titre de boys band de la fin des années 90 en bien mieux), et "Good Idea A The Time" qui a une petite classe Metronomy-que. C'est un EP pépite ct'histoire. Etonnamment consistant et brillant ce regroupement de titres ! En faisant l'heureux objet d'une parution postérieure à l'album, il en devient la partie la plus intéressante.
Comme quoi il est possible de porter au pinacle (ne lésinons pas sur L'EMPHASE) un EP et son groupe qui se réclament d'un certain amateurisme jemenfoutiste musical. Les bêtes poilues d'Australie, à l'instar des singes de l'Artique, ont encore des parties de cartes à jouer, et remportent celle-ci avec brio. Le design épuré et solide scandinave a du bon, et quand il est couplé à l'insolence anglaise il fait merveille. Sonnez trompettes, battez tambours, cette année le rock indé est de retour (il semble avoir été en berne depuis 2010 environ) et on tient ici une des meilleures productions de 2022.