Van Morrison
Veedon Fleece
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1- Fair Play / 2- Linden Arden Stole the Highlights / 3- Who Was That Masked Man / 4- Streets of Arklow / 5- You Don't Pull No Punches, But You Don't Push The River / 6- Bulbs / 7- Cul de Sac / 8- Comfort You / 9- Come Here My Love / 10- Country Fair
Longtemps coupé de ses racines irlandaises après son installation aux Etats-Unis et son mariage avec Janet Planet, Van Morrison est de nouveau amené à reposer ses valises dans sa contrée natale après son divorce et à l’occasion d’une tournée européenne en 1973. L'Ulster est alors à feu et à sang et le Bloody Sunday dans toutes les mémoires. Doté d’une inspiration renouvelée, Van Morrison parcourt l’île à bord d'une voiture louée et compose très rapidement huit des titres qui composeront ce Veedon Fleece, un titre énigmatique et intraduisible né spontanément dans l'imagination de Morrison et qui confine à l’abstrait.
Ce huitième album, descendu par les critiques de l’époque, reste bien mal-aimé dans la discographie de l’Irlandais, y compris du point de vue de son propre géniteur. Pourtant, sans se hisser au niveau de l’intouchable Astral Weeks, Veedon Fleece comporte son lot de morceaux sublimes qui retranscrivent en musique une image très personnelle et imaginée de l’Irlande. Van Morrison conte ainsi les souvenirs d’une enfance heureuse et bucolique à la campagne sur la sublime ballade pastorale "Country Fair" et peint des images surréalistes de cette terre sur laquelle l’herbe ne pousse pas avec le sublime "Streets of Arklow" où lignes de chant, jeu acoustique bluesy et passages aériens de flûte s’entrecroisent et s’enrichissent mutuellement. Habité par ce sentiment de déracinement propre au fait d’être partagé entre deux continents, Van Morrison dépeint une nation peuplée d'écrivains et de cathédrales sur la longue suite "Fair Play, You Don't Pull No Punches, But You Don't Push The River" où le piano de James Trumbo occupe une place centrale. Porté par un chant passionné où l’Irlandais murmure autant qu’il tempête et s’époumone ainsi que par des éclats de flûte virevoltants et une rythmique de plus en plus libre, ce titre de neuf minutes possède une grande richesse propre à en faire la pierre angulaire de l’album.
Cet hommage rendu à l’Irlande se perçoit dans le choix de l’instrumentation avec de nombreuses références à la musique traditionnelle celtique. L'arrivée du flûtiste Jim Rothermel, le parti-pris acoustique assumé (la contrebasse jazzy de David Hayes remplace ainsi plusieurs fois la basse électrique) et l’importance des partitions de cordes composées par Jeff Labes contribuent à conférer cette coloration très particulière rappelant notamment l’esthétique sensible et léchée d’Astral Weeks. L’orientation jazzy de l’album se ressent particulièrement dès l’ouverture avec la ballade langoureuse "Fair Play" et son swing nonchalant sur lequel se pose la voix délicate de Van Morrison. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à pousser sa voix de tête dans ses retranchements sur "Who Was That Masked Man" et délivre une prestation entière et captivante sur le court "Linden Arden Stole The Highlights" qui narre l'histoire de Linden Arden, un grand buveur de whiskey habitant San Francisco qui décapite une ribambelle de gangsters.
Sur la face B de l’album, deux chansons ont été enregistrées à New York, d’abord "Bulbs", choisi comme single, explore les recoins de la musique traditionnelle américaine avec une atmosphère plus country. La seconde, "Cul de Sac", est portée par un Morrison inspiré par les chanteurs de soul et un jeu de guitare électrique au son cristallin qui oscille entre gammes de jazz et de blues. Enfin, Van Morrison offre une ballade à la beauté souveraine avec "Come Here My Love", dénuée de tout artifice et seulement dotée d’une voix et de quelques arpèges de guitare.
La plupart de ces morceaux ne seront presque jamais repris sur scène, Van Morrison délaissant cet album au succès critique et public mineur. Vécu comme une forme d’échec par son auteur, Veedon Fleece peut pourtant être considéré comme l’un des grands albums du chanteur Irlandais, avec une approche plus personnelle que celle du légendaire Astral Weeks.