Rage Against the Machine
Mais avant l'horaire fatidique, et comme bien souvent dans ces moments là, la patience était de rigueur. Premier amuse-bouche de la soirée, les Anglais de Blood Red Shoes allaient réaliser la seule prestation réellement intéressante de ces quelques heures pré-apocalyptiques. Les duos bisexuels ayant visiblement le vent en poupe, Steven et Laura-Mary ne se ménageront cependant pas pour déverser leur disco-punk sur un auditoire distrait se projetant déjà en fin de soirée. Dommage. Ces deux-la méritent sûrement une deuxième chance. La sentence sera nettement moins clémente pour les six pseudo émo-métalleux ridicules de Lostprophets et pour leur succession de titres pompeux et indolores. Sauf pour nos oreilles. Ni pour Mix Master Mike qui, malgré une maîtrise des platines réussissant à enchaîner du Eminem sur l'insupportable, car trop entendu, "Seven Nation Army" des White Stripes, n'arrive pas à faire oublier ses Beastie Boys. Fin du set, l'heure est à la prise de position.
La foule ondule, se tasse, se sépare pour mieux se reformer. Tout le monde semble savoir ce qu'il a à faire. L'intensité est de plus en plus palpable alors que les minutes s'étirent à n'en plus finir. Et lorsque toutes les lumières s'éteignent pour laisser apparaître quatre hommes vêtus de la tenue orange des prisonniers de Guantanamo, la tête recouverte d'un sac en toile noire, même le sol semble se mettre à gronder. Pour littéralement exploser dès les premières notes de "Bombtrack". A partir de là, plus rien d'autre ne compte. Plus rien n'a d'importance. Inutile de tenter d'apercevoir la scène à moins d'être scotché aux barrières. Véritable machine à broyer de la carcasse fumante, la fosse se met à bouillonner comme jamais, n'épargnant rien ni personne tout en éjectant sans ménagement les plus faibles. Au fond, on sait très bien qu'on ne risque pas grand chose, qu'il suffit de se laisser porter par le mouvement et qu'au pire, même si on se prend les pieds dans les lacets de ses Converse crasseuses, il y aura toujours quelqu'un pour vous relever illico-presto. Mais la violence de l'impact impressionne. Et quand les quatre guérilleros tombent les masques pour laisser éclater cette étoile rouge surplombant la scène, c'est d'un même poing levé que répond la foule.
Malgré les doutes de certains, le groupe n'a rien perdu de sa maîtrise et aligne les escouades sonores les unes après les autres. "Testify", "People Of The Sun", "Bullet In Your Head", le père Morello déstructure les sons sortants de sa guitare comme si la période Audioslave n'avait jamais eu lieu, alors que Tim Commerford plombe l'ambiance des vrombissements caverneux de sa basse. Chaque claquement de corde est renvoyé par le public d'un violent balancement de tête. Chaque break de Brad Wilk déclenche l'hystérie d'une meute assoiffée de décibels. Et Zack De La Rocha possède toujours cette petite flamme révolutionnaire qui éclaire son regard et rayonne au travers des textes contestataires qu'il balance avec toujours autant de hargne et de colère. Si le temps ne leur a pas encore donné raison, il n'a cependant pas encore réussi à émousser leur conviction. "Guerilla Radio", "Bulls On Parade", "Sleep Now In The Fire". Rien ne semble pouvoir enrailler la machine. Pas même ces trois jeunes filles aux bustes ornés du Che et aux yeux apeurés, tentant de s'extirper de cette débauche animale prévisible et calculée.
Alors oui, c'est vrai, le groupe semble un peu en retrait et ne sera sûrement jamais aussi soudé qu'il y a presque dix ans. Impeccable, chacun exécute sa partition dans son coin, même si restant loin du slogan "l'union fait la force". Oui, c'est vrai, Zack peut sembler un peu plus détaché que ce à quoi il nous avait habitués. Mais à l'heure où l'histoire des Rage Against The Machine ne semble pas avoir de lendemain programmé, il serait tellement facile de jouer au vieux réac un peu con, de cracher sur la légende. Et en même temps tellement malhonnête. Rien que pour tout ce qu'a un jour représenté, représente encore et représentera toujours ce groupe, on se devait d'être là. On se devait de se vider les tripes en guise d'ultime remerciement. Et cette étoile rouge qui continue de palpiter au-dessus de la scène alors que le rappel débute par l'"internationale" en guise de fond sonore. Avec un peu de chance, l'hymne révolutionnaire aura été porté jusqu'aux oreilles d'un Neuilly situé à peine à quelques kilomètres... Et finalement oui, c'est vrai, le groupe s'est contenté de dérouler ses classiques, sans surprise, sans prise de risque, en terminant le concert par les éternels "Freedom" et "Kiling In The Name Of". Mais en même temps, on n'en demandait pas beaucoup plus. Ou plutôt, on n'en demandait pas tant.