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A Newermind on Nevermind


Maxime, le 20/04/2012

Le coffret anniversaire passé au crible

Il est de bon ton de fustiger la rapacité avec laquelle la major Universal et les ayants-droit de Nirvana surexploitent le répertoire du groupe culte des années 90, alors que les sempiternelles opérations commémoratives déployées autour des Beatles, Stones, Doors et autres Pink Floyd ne semblent déranger personne. En même temps se réjouit-on des éditions anniversaire consacrées aux plus talentueux contemporains de Nevermind (Ten, Screamadelica, Loveless...). Nirvana est pourtant entré depuis des années dans la catégorie classic rock, avec un patrimoine qu'il s'agit de faire fructifier auprès des fans comme des nostalgiques. On ne nie pas du tout le cynisme de l'affaire, pour autant, près de 20 ans après la disparition de Kurt Cobain, a-t-on frôlé l'overdose ? Le MTV Unplugged et les live From The Muddy Banks Of The Wishkah et At Reading brillent-ils par leur manque de pertinence ? Rappelons que le coffret d'inédits With The Lights Out était attendu par tout le monde depuis des lustres, et on pressait ardemment Courtney Love et la paire Grohl/Novoselic de se mettre d'accord au plus vite afin de pouvoir enfin bénéficier de ces pépites enfouies. D'accord, la compile Sliver, version digest du coffret sorti quelques mois plus tôt, fleurait bon le foutage de gueule, et le best of brillait par son inutilité, si ce n'est s'appuyer sur un inédit de seconde zone et de faire office de produit d'appel pour les fainéants qui ne veulent qu'un alignement de tubes, et ne surtout pas s'épuiser à explorer la prodigieuse chair que les albums proposent. Malgré ces quelques scories, la discographie posthume des porte-étendards du grunge a globalement permis jusqu'ici de prolonger avec un certain bonheur la connaissance intime de leur oeuvre. Reste que, pour un groupe qui n'a été créativement actif que 7 ans, on commence à se demander si l'on ne va pas bientôt sombrer dans le verbiage superflu, à l'image des excroissances posthumes du répertoire d'Hendrix, autre comète de l'histoire du rock que l'on n'a jamais fini de saigner à blanc. Avant d'analyser le phénomène Nevermind sous toutes ses coutures, posons donc ce massif coffret anniversaire sur la table d'autopsie. Panorama ultime ou prétexte marketing ?


D'abord évoquer la remasterisation. A l'heure où tout audiophile qui se respecte ne jure que par le vinyle, dieu sait si le CD a été l'objet de toutes les avanies, jeté dans le même panier que l'odieux mp3. La qualité de mastering de la galette argentée désormais honnie n'a portant cessé de progresser depuis la fin des années 80. Alors que sa production avait été plus apprêtée que son successeur, Nevermind bénéficiait paradoxalement d'un son plus plat, beaucoup moins puissant qu'In Utero sur les CD originaux. On pouvait déjà mesurer à deux ans d'écart à quel point la technologie avait évoluée à l'époque, ce qui pose d'ailleurs la question de la légitimité de la future édition anniversaire d'In Utero sur ce terrain. L'édition anniversaire de Bleach avait prouvé qu'une remise à niveau n'était pas superflue et, en effet, Nevermind bastonne à présent de plus belle dans les enceintes, ce véritable uppercut sonique s'abat sur les oreilles du XXIème siècle avec une rage décuplée et propose une expérience par-delà le mur du son aussi bien musicale que physique. La réédition vinyle disponible depuis quelques années dans l'excellente collection Back To Black avait parfaitement rempli cet office (même si la ghost track "Endless, Nameless" brillait par son absence), et même si elle reste la référence en la matière, voici désormais Nevermind idéalement apprêté pour son eucharistie numérique.

On reste beaucoup plus dubitatifs quant au bien fondé des inédits garnissant les deux premiers CD. Le deuxième disque du coffret With The Lights Out avait impeccablement documenté la période, si bien que l'on n'apprend strictement rien ici. Tout au plus peut-on s'enquiller les faces B à la suite sans avoir à faire défiler les singles originaux sur la platine. Que dire de plus à leur sujet, si ce n'est qu'"Even In His Youth", "Aneurysm" ou "Curmudgeon" sont des morceaux aussi essentiels que le contenu du tracklisting officiel. Pour le reste, WTLO avait déjà renseigné sur la généalogie de "Breed" (initialement "Immodium") et de "Stay Away" (AKA "Pay To Play"), suffisamment retranscrit le versant plus sombre et désespéré du chef d'oeuvre multiplatiné ("Versus Chorus Verse", "Old Age", "Sappy") et permis d'apprécier quelques covers obscures ("Here She Comes Now", reprise du Velvet Underground). Les Smart Sessions et les Boombox Rehersal n'apportent donc rien au débat et se perdent en paraphrases superflues.


Mais là ne réside pas l'intérêt de cette édition. C'est bel et bien le troisième disque qui reste le graal tant attendu depuis des années. Kurt Cobain n'a cessé de dénigrer à longueurs d'interviews le son de ce deuxième album, gonflé aux hormones par le mixage d'Andy Wallace, et a enfoncé le clou dans les différentes biographies consacrées au groupe (Heavier Than Heaven, Come As You Are, The True Story). La complainte de l'idole au sujet du travestissement commercial de son oeuvre est aussi célèbre que les anecdotes sur l'origine du Teen Spirit ou de l'enregistrement de "Something In The Way". On a longtemps fantasmé sur le son brut de Nevermind, sans son supposé glacis FM, laissé tel quel par Butch Vig et vanté par Steve Albini lui-même. Au final, les Devonchire Mixes entérinent ce que l'on pressentait déjà, à savoir que le Nevermind brut de décoffrage ne diffère pas tant que ça de sa version "commerciale" (dans tous les sens du terme). Oui, la batterie de Dave Grohl cogne moins, mais n'avait-il pas justement été recruté pour sa puissance de frappe ? Certes, les guitares gouvernent davantage le premier plan, et l'on peut enfin profiter à plein du déchirant feedback unissant le solo et le dernier couplet de "Smells Like Teen Spirit". Cela rend-il pour autant le mal-être de l'hymne grunge ultime plus palpable ? Pire, l'album perd parfois en cohérence. Ecrasée par les guitares, la voix de Cobain (quasi-systématiquement doublée, et à sa demande, dans le mixage final) a parfois du mal à s'imposer, c'est notamment patent sur "In Bloom", "Lithium" et "Lounge Act". La production originale conférait souvent à son timbre un écho étrange, à la fois écorché et spectral, et dilué dans le mix, c'est une partie de l'âme du disque qui s'évapore. Alors que "Breed" bastonne hargneusement dans le rouge, "Come As You Are" se révèle beaucoup plus terne, manque d'espace, de texture, tout comme "Drain You", alors qu'on déplore l'absence des choeurs sur "On a Plain". Mais la version dépouillée qui saute plus aux oreilles reste "Territorial Pissings", tellement brute qu'on dirait une démo à peine mixée jurant avec le reste du tracklisting. Varié mais homogène dans son rendu final, l'album sonne ici plus décousu.

Le crédo less is more ne semble donc pas s'appliquer au météore Nevermind. Sans doute parce qu'il entre en contradiction avec son ADN fondé sur un perpétuel antagonisme, l'envie de plaire contre la volonté de ne faire aucun compromis, l'amour des riffs plombés de Black Sabbath et l'appétence pour les triturages bancals de Sonic Youth et des Pixies, la minutie et la fulgurance, l'euphorie du parvenu et la culpabilité du marginal, le mouvement fougueux et la prostration mutique, la testostérone du hard, l'urgence du punk, l'oecuménisme de la pop... le disque est tout ça à la fois et en même temps. Blason idéal de son époque parce qu'il parvient à concilier idéalement les machineries du gros son américain avec l'âme damnée des laissés pour compte du continent, Nevermind n'est ni un manifeste bruitiste, ni une débauche noisy (les guitares y féraillent moins que sur les premiers Mudhoney). Qu'espérait-on ? Qu'en faisant marche arrière on fasse tomber le malentendu et qu'on se rende enfin compte que Nirvana était l'égal de ces groupes qu'il brandissait comme modèles ? Que son histoire était celle d'un gigantesque quiproquo ? Aussi bien travaillé par Aerosmith et les Beatles, The Knack et Shocking Blue, Kurt Cobain développait un songwriting beaucoup plus linéaire et efficace (dans ce que le terme peut avoir de plus noble) que ses supposés compagnons de fortune, Daniel Johnston, Young Marble Giant, Beat Happening ou qui on voudra. Nevermind est un album qui a été pensé, conçu, travaillé pour cartonner et s'écouter à fond sur la stéréo, jusqu'à en faire trembler les murs. Son accession à l'universel, il l'a chevillée aux tripes, profondément inscrite dans ses gènes, ses chromosomes. Ça crevait les oreilles dès les premières répétitions captées sur cassette, à tel point qu'on se demande si la commercialisation de la version rough de Vig aurait diminué en quoi que ce soit une énorme succès qui semblait inévitable.


Ce témoignage entérine ainsi une bonne fois pour toutes l'idée que l'auteur d'une oeuvre est rarement la personne privilégiée pour la commenter, et qu'aveuglé par ses lubies, Cobain refusait d'admettre que son amour de l'épure rendait sa musique aisément traduisible dans une langue compréhensible par le plus grand nombre. Ce qui séparait Nirvana du mainstream n'était pas une frontière stylistique, mais une simple question de degré d'exposition. Riches et instructifs, les Devonchire Mixes permettent alors à l'amateur de renouveler sa relation avec Nevermind, sans en bouleverser les fondations. On peut regretter qu'un tel document ne soit disponible que sur le coffret Super Deluxe vendu à un prix prohibitif (100 euros ! On surestime décidément le pouvoir d'achat des anciens ados de la génération X) et qu'il n'ait pas intégré d'office les éditions standard.

Ultime argument de vente, outre son abondante illustration (90 pages), la version Super Deluxe comprend un live en audio et vidéo au Paramount Theatre, un concert livré à Seattle le jour d'Halloween 1991. Si la setlist s'avère moins généreuse que la prestation du Reading, la réalisation audiovisuelle est elle à couper le souffle. Tignasse longue et filandreuse, pull mité et jean troué, Kurt Cobain s'ébroue dans sa panoplie légendaire et admoneste une palanquée d'ogives heavy-punk-pop en passe de devenir des hymnes. Moins perdus que sur l'immense scène du festival britannique, le trio livre une performance digne de sa renommée, parfaitement captée par des caméras plus dynamiques, moins statiques et "télévisuelles" que sur le Reading, retranscrivant parfaitement l'énergie débauchée de leurs shows. Le concert a été filmé sur pellicule (pour la seule fois dans la carrière du groupe) et ça se sent. L'image est impeccable, mettant idéalement en valeur les effets de lumière et les corps en action. Moins culte que son prédécesseur (point d'entrée en scène sur fauteuil roulant ou de camisole de force ici), ce Live At The Paramount est peut-être le meilleur témoignage scénique de Nirvana à ce jour, si l'on considère que l'image compte autant que le son et le contenu. A nouveau, on regrette que le coffret Super Deluxe ne propose que le DVD (enrichi des 4 clips de l'album), même s'il semble que le Blu-Ray ait quelques problèmes de synchronisation.


Au final, cette édition 20ème anniversaire ne se révèle être que la demi-arnaque annoncée. Si pour les bourses modestes, l'achat du coffret ultime reste plutôt superflu, et que les amateurs d'inédits peuvent conserver leur With The Lights Out bien au chaud, la bête conserve quelques arguments. A commencer par sa remasterisation (mais autant se rabattre dans l'idéal sur la version vinyle Back To Black) ainsi que les Devonchire Mixes et le concert du Paramount. Précisons que l'on peut se procurer le premier à la carte sur Itunes et acquérir le second à l'unité sur le support vidéo de son choix (la version audio restant uniquement disponible en coffret ou en téléchargement légal). Il est fort à parier que la prochaine édition anniversaire d'In Utero en appellera à la même attention sélective.

Maxime
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