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Critique d'album

10cc


10cc


(01/07/1973 - - - Genre : Rock)
Produit par

1- Johnny Don't Do It / 2- Sand In My Face / 3- Donna / 4- The Dean And I / 5- Headline Hustler / 6- Speed Kills / 7- Rubber Bullets / 8- The Hospital Song / 9- Ships Don't Disappear (Do They?) / 10- Fresh Air For My Mama
Note de /5
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Note de 3.0/5 pour cet album
"Pourquoi est-ce que les poules traversent les routes ? Enigme anglaise à l'humour décalé"
Daniel, le 18/11/2023
( mots)

Où le rocker comprend que Graham Gouldman est en lui (sans qu’il le sache)

On a toutes et tous en nous quelque chose de Graham Gouldman. Parmi les dizaines de titres écrits par le bonhomme durant les années soixante, il y en a forcément un, deux, trois ou quatre que le cerveau du rocker fredonne inconsciemment. C’est que ces singles ont tous été en tête des charts américains et britanniques.

Il y a, par exemple, "For Your Love" et "Heart Full Of Soul" des Yardbirds. Deux bombes atomiques (à des degrés divers). Tout d’abord parce que ce sont ces deux compositions plus "commerciales" qui ont incité Eric Clapton à quitter le groupe (ouvrant une voie royale à Jeff Beck) ; ensuite parce que c’était la première fois (avant The Beatles) que des mélodies s’ouvraient à la musique indienne.

Il y a aussi les inoxydables et sublimissimes "Bus Stop" (The Hollies) et "No Milk Today" (Herman’s Hermits) qui figurent sur toutes les compilations, sans compter des titres pour Jeff Beck en solo, pour l’adorable Cher (avant qu’elle ne succombe aux avances de Gene The Demon Simmons) ou encore pour les potiches bubble-gum d’Ohio Express (l’imparable "Sausalito").

C’est pour meubler ses loisirs que Graham Gouldman composait des rengaines à la chaîne sur un coin de table. Dans la vraie vie, il était un petit employé modèle qui se rendait chaque matin au bureau (ce qui lui a inspiré "Bus Stop") et aussi le leader peu charismatique d’un groupe de série B (The Mockingbirds).

Ce sont les hasards de la vie qui vont réunir Graham Gouldman et Eric Stewart. Tous deux vont financer la création d’un studio d’enregistrement, The Strawberry Studios (en hommage à devinez qui) où ils vont rencontrer les très étonnants Kevin Godley et Lol Creme.

Le principal point commun entre les quatre hommes est un délicat mélange d’humour sarcastique et de second degré britannique. "Neanderthal Man" est leur premier titre en commun. Au départ, il s’agissait simplement d’un enregistrement technique destiné à tester des percussions. Le titre – sans vraiment queue ni tête – est publié sous le nom de Hot Legs (en hommage au galbe des jambes affolantes de la secrétaire du studio) et devient le plus improbable succès mondial de l’année 1970.

Tout qui pouvait alors tenir debout a dansé sur cette rythmique jurassique (les pas de danse – tout à fait ridicules – étaient expliqués à l’arrière de la pochette du single). La légende, colportée par des chroniqueurs rock visionnaires, a tout d’abord attribué le titre aux Beatles (reformés pour l’occasion) puis au Plastic Ono Band…

Je suis un homme de Néandertal / Tu es une femme de Néandertal / Faisons l’amour néandertalien / Dans le monde de Néandertal.

L’étrange face B du single (que personne n’a écoutée) recèle les ferments du futur répertoire de 10cc. Elle sera reprise sous un autre titre sur le premier album. Patience.

Où, paradoxe temporel, une partie de jambes en l'air néandertalienne conduit à une éjaculation rock contemporaine

De quoi peuvent s’entretenir des musiciens anglais, décalés et prolifiques, qui s’ennuient dans leur studio ? De sperme. Après de longues discussions, Gouldman, Stewart, Godley et Creme en arrivent à considérer qu’une éjaculation représente 2,5 centimètres cubes de spermatozoïdes véloces. Comme ils sont quatre, le total théorique représenterait 10 centimètres cubes.

10cc est né. Et, avec le groupe, naît un rock fait de sarcasme et de sophistication, à savoir un mélange inédit. Un mélange inédit qui va voir se multiplier des procès d’intention (tous plus ridicules les uns que les autres) instruits par des censeurs vont souvent critiquer ce dont se moque précisément le groupe.

Comme l’affirme ironiquement le Docteur Futurity, l’absurdité nait souvent d’un malentendu (1).

Musicalement, les quatre comiques sont tous des pointures exceptionnelles. En parfaits musiciens de studio rompus aux gammes les plus variées (du bubble-gum au rock hermétique), ils sont en mesure de jouer absolument tout et – cerise sur le gâteau – absolument n’importe quoi (2).

Chaque fois que Gouldman et Stewart s’envolent dans un concept trop mélodique ou un pont trop harmonieux, Godley et Creme proposent un break, une dissonance, un chœur contrarié ou une phrase en contrepoint du propos qui précède. Comme le groupe fonctionne selon les règles d’une parfaite démocratie (le droit de veto étant exclu), aucune idée n’est mise de côté. Tout le monde joue de tout et tout le monde chante (dans les registres les plus étonnants, en ce compris les voix féminines).

Au début de l’été 1973, 10cc (le disque) va sortir sous une pochette gentiment obscène mais dans une relative indifférence. C’est que la presse spécialisée a fort à faire avec une production pléthorique qui est en train de faire exploser la notion même de rock en une myriade de futurs sous-genres tous plus "sérieux" les uns que les autres.

Le groupe reste (momentanément) ignoré et incompris.

Pourtant, 10cc contient son lot de futurs standards soniques qui vont progressivement s’imposer sous la forme de singles publiés à la chaîne. "Donna", hilarant pastiche d’un doo-wop romantique mâtiné de Frank Zappa, déjà sorti en single en 1972, se classe n°2 dans les charts. Dans la même veine fifties décalée, "Johnny Don’t Do It" est une petite perle de second degré. Plus caustique, "Rubber Bullet" (que le groupe craignait de voir censuré) est une charge habile contre la violence étatique imbécile (3) ; malgré un texte extrêmement satirique, il gagnera la première place du hit-parade.

Si l’on ajoute à cela "The Dean And I", parodie très cynique des thèmes favoris du cinéma romantique neuneu, et "Ships Don’t Disappear In The Night (Do They ?)", hommage magnifique à (parmi d’autres) Bela Lugosi et Boris Karloff (les deux plus grands monstres connus du cinéma de série Z), la récolte est à la fois abondante et réjouissante.

Avec le recul du temps, il semble évident que 10cc avait choisi de vivre en complet décalage avec le rock mainstream anglais. En comparaison, Pink Floyd préférait afficher de longues figures tristes, Supertramp pratiquait une certaine dérision à l’anglaise mais à des doses plus homéopathiques, Gentle Giant favorisait l’aspect savant de sa musique, Roxy Music jouait la carte efficiente d’un romantisme décalé et Queen celle de l’outrance théâtrale et opératique.  

Le plus surprenant dans cette aventure est qu’il ne faudra attendre que quelques mois pour que 10cc, pourtant soumis à rude concurrence, n’atteigne sa pleine maturité et n’affine son propos avec un deuxième album qui propulsera le groupe dans la stratosphère. Tout là-haut, il enquillera huit disques d’or et trois de platine. Sans oublier la plus improbable chanson de non-amour de toute l’histoire du rock.

Et toujours au second degré…

Mais ça, amies et amis du rock, c’est déjà une autre histoire…

(1) Je vous invite à patiemment décortiquer chacun des mots de cette réflexion…

(2) A titre d’exemple, on retrouve le même type de virtuosité chez Toto. A la sortie du premier album du groupe de studio américain, Jeff Porcaro avait expliqué qu’il pouvait débuter la soirée en blouson de cuir derrière une double grosse caisse puis filer en smoking et cheveux gominés assurer la rythmique d’un big band jazzy.

(3) Le titre évoque les émeutes de la prison d’Attica (Etat de New-York) en 1971 (où l’on avait enregistré la mort de 10 gardiens et 29 prisonniers noirs) et souligne le caractère raciste de la répression organisée par les autorités américaines. 

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