Area
Arbeit Macht Frei
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1- Luglio, agosto, settembre (nero) / 2- Arbeit macht frei / 3- Consapevolezza / 4- Le labbra del tempo / 5- 240 chilometri da Smirne / 6- L'abbattimento dello Zeppelin
Comme il y avait, dans l’Allemagne des années 1970, d’une part le Krautrock et d’autre part, une galaxie bien plus large de groupes allemands investis dans le rock progressif, il y avait en Italie le Rock Progressif Italien (RPI) et un spectre plus large de rock progressif italien (sans majuscules), distinction qui permet de mettre en avant l’esthétique particulière du RPI et de signaler les autres groupes progressifs inscrits dans d’autres cheminements artistiques – Stormy Six, Picchio dal Pozzo, et bien sûr Area.
Ce dernier est sans conteste l’un des groupes les plus importants et influents que l’Italie ait porté durant les années 1970, ce qui lui vaut d’être souvent cité aux côtés de PFM, Le Orme ou Banco, tout en conservant sa singularité esthétique tournée vers le jazz. Cette dernière est en grande partie due à Demetrio Stratos, la tête pensante du combo dont l’origine grecque (il a grandi entre l’Égypte et Chypre), permet à Area de se revendiquer comme un "International POPular Group". Ce qualificatif devient d’autant plus légitime quand le bassiste français Patrick Djivas rejoint le groupe, quelques mois après sa formation à Milan en 1972.
En intitulant son premier album Arbeit Macht Frei, le groupe joue la carte de la provocation, à l’image de Museo Rosenbach qui, la même année, avait confectionné un collage sur lequel apparaissait le visage de Mussolini. L’engagement politique d’Area, très marqué (à gauche), est représentatif de la scène rock italienne des Années de plomb : ici, la référence au nazisme permet de contester l’ordre et la société capitalistes. On retrouve cette orientation sur "Luglio Agosto Settembre (Nero)", manifeste pacifiste dont le titre fait allusion au Septembre Noir, groupe terroriste palestinien connu pour ses action violentes de 1972 - un détournement d’avion et une prise d’otage mortelle lors des Jeux Olympiques de Munich. Avec son introduction en arabe, ses phrasés orientalisants et ses percussions riches, ce titre est l’un des plus accessibles (et inventifs) de l’album malgré sa deuxième partie bruitiste et parfois cacophonique.
Car Area est avant tout un groupe à tendance jazz-rock et expérimentale, en témoigne le bruitiste "Arbeit Macht Frei" sur lequel on repère les aspérités free et l’influence de la scène de Canterbury dans la Botte, qui se calme lors de l’arrivée tardive du chant à partir de quand le titre s’avère plus dansant jusqu’à son final. Sans rapport avec l’Allemagne, "L’Abbatimento dello Zeppelin" est un clin d’œil au fameux groupe de hard-rock anglais duquel le public d’Area exigeait des reprises comme si le combo était un jukebox vivant. Là encore, on retrouve cette dimension jazz-rock avec quelques digressions délirantes qui évoquent Soft Machine, alors que "240 Chilometri da Smirne" interprète ce style musical de façon très scolaire tout en dévoilant la qualité de jeu de claviers lors du solo. Parfois, Area emprunte les chemins du hard-rock qu’il mêle à un jazz-rock plus mélodique (l’excellent "Consapevolezza") voire ceux du rock plus conventionnel tout en restant aventureux ("La Labbra del Tempo" joue ce contraste entre sa première partie très classique et sa seconde partie ultra-jazzy).
L’originalité d’Area au sein de la scène progressive italienne et le savoir-faire indéniable des musiciens font d’Arbeit Macht Frei une pièce incontournable de l’histoire du rock de la péninsule. Le côté provocateur participe évidemment de l’attrait que possède toujours cet album qui brille sans fondamentalement se démarquer au sein des musiques à cheval entre jazz et rock qui firent le sel des 1970’s.
À écouter : "Luglio Agosto Settembre (Nero)", "Consapevolezza"