Camel
Mirage
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1- Freefall / 2- Supertwister / 3- Nimrodel - The Procession - The White Rider / 4- Earthrise / 5- Lady Fantasy
Passé presqu’inaperçu, le premier album de Camel contenait pourtant des promesses parmi les plus belles jamais formulées : un nouveau monument du rock progressif était né, mais tout s’était passé comme si personne ne voulait le voir. Même MCA rompit le contrat signé avec le groupe qui dut se diriger vers Decca/Deram auquel le rock progressif devait ses premiers trophées (avec les "proto" Procol Harum et The Moody Blues ou les canterburyens Caravan et Egg).
Il faut reconnaître qu’il manquait deux choses essentielles au premier album de Camel, des lacunes que le groupe allait immédiatement corriger avec Mirage. D’abord, le choix d’une pochette vraiment mémorable : ici, le coup de génie vient du détournement du design du paquet de cigarette de la marque du même nom, dont la déformation joue également sur le sens du mot "mirage" (désertique). Le groupe finira par regretter cette association qui témoignait d’un meilleurs sens de la promotion que de la santé publique.
Ensuite, alors que Camel se voulait progressif dès son acte initial, il n’avait pas su proposer de grande fresque épique à rallonge : Mirage en comportera donc deux, comme s’il s’agissait de se racheter ou d’insister sur une identité musicale. Titre en trois mouvement, "Nimrodel / The Procession / The White Rider" rend hommage à la geste de Tolkien dans une composition à tiroir. La douceur du flottement initial bascule dans la grandiloquence cérémonielle d’une procession médiévale-fantastique, avant que ne démarre réellement le morceau. Celui-ci joue sur le tempo, alterne des phases lancinantes et des passages instrumentaux véloces aux interventions aussi mélodiques que virtuoses, que ce soit aux claviers ou à la guitare. L’agilité de Latimer, associée à son goût pour les notes tenues et floydiennes, est remarquable ; quant au final, il est tout simplement mémorable.
Mais sur cet album, la grande œuvre de Camel est indéniablement "Lady Fantasy". Plus Heavy, plus contrastée, plus longue également, la pièce s’élance sur une introduction épique et renoue avec le goût pour le jazz-rock tamisé qui n’oublie jamais son identité prog’. Tantôt enjoué et dansant, tantôt émouvant et à fleur de peau (pour certains traits de guitare qui sont profondément sublimes et, en particulier, pour le pont qui amène le retour du chant de 6.30 à 9.15), le titre est sensationnel jusqu’à son final presque funky où s’illustrent des claviers saturés à la Caravan.
Camel ne démérite pas sur ses titres plus courts : l’ouverture se fait sur le spatial et cadencé "Freefall", une démonstration virtuose assez insaisissable dans ses inspirations (au croisement du jazz-rock et du prog’ le plus alambiqué). L’instrumental "Supertwister" est une petite douceur dominée par la flûte, sorte de "Rhayader" avant l’heure (mais à la mélodie moins mémorable), composé avec une écriture typiquement camelienne. Cette esthétique si particulière est également très sensible dans le jeu de guitare et le son de claviers adoptés pour "Earthrise", un instrumental parfait dont l’influence dans l’histoire du rock progressif mériterait d’être creusée.
Pour les amateurs du Camel des 1970’s (il existe aussi d’ardents défenseurs du combo dans sa version des 1990’s), Mirage est parfois considéré comme le meilleur album du groupe. Il doit ce titre en ce qu’il constitue un point de passage vers un rock progressif solide à l’identité affirmée et à la présence de deux des plus grandes épopées musicales du combo (suivront "Lunar Sea" et "Ice", mais "Lady Fantasy" demeurera inégalé). Au regard des musiques progressives en 1974, il s’agit sans conteste d’une des plus belles sorties de l’année et, en réalité, de la décennie.
À écouter : "Lady Fantasy", "Earthrise"