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Critique d'album

Elvis Presley


Elvis Presley


(23/03/1956 - RCA-Victor - King of rock 'n roll - Genre : Rock)
Produit par Steve Sholes

1- Blue Suede Shoes / 2- I'm Counting On You / 3- I Got A Woman / 4- One-sided Love Affair / 5- I Love You Because / 6- Just Because / 7- Tutti Frutti / 8- Trying To Get To You / 9- I'm Gonna Sit Right Down And Cry (Over You) / 10- I'll Never Let You Go (Little Darlin') / 11- Blue Moon / 12- Money Honey
Note de 4.5/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Le tableau dépeint est inédit, il porte le nom de rock 'n roll."
Etienne, le 31/03/2021
( mots)

Appréhender musicalement ce premier album d'Elvis, 60 ans après sa sortie, pourrait sembler anachronique voire totalement décalé tant les aspirations de l'époque n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. Il convient pourtant d'aborder cette écoute bien plus que comme un simple moment d'histoire mais comme elle a été pensée à l'époque: du plaisir pur, simple, libérateur.


Il faut pourtant bien reconnaître que la création de ce premier disque estampillé RCA s'apparente plus à un exercice ludique consistant à organiser un méli-mélo composé d'inédits des Sun Sessions et de nouveaux titres enregistrés par Steve Sholes. Car si Sun a publié la majeure partie de ses sessions sous forme de singles double-face, il reste dans les cartons de Sam Phillips quelques inédits dont la major a fait l'acquisition en même temps que la signature d'Elvis. Pressé par le temps, RCA semble ne pas vouloir faire traîner en longueur les nouvelles sessions d'enregistrement et n'ajoutent que sept nouveaux titres aux cinq archives des Sun Studios. La compagnie est bien décidée à profiter au maximum de la vague d'intérêt suscitée par le phénomène "Pelvis" pour exploser les ventes de disques et rentabiliser son investissement.


Le label décide d'ailleurs d'imposer à son poulain un tout nouvel entourage: si Steve Sholes est désormais installé derrière la console, Chet Atkins s'octroie la guitare rythmique acoustique - Elvis avait beau faire de son mieux à l'époque des Sun Sessions, il reste un piètre guitariste -, Floyd Cramer au piano et une chorale de trois chanteurs afin de soutenir Elvis par des harmonies vocales. Ce dernier point, imposé par la compagnie, est mal vécu par Elvis. Programmée dans les studios RCA de Nashville, la session, qui s'étend du 10 au 11 janvier 1956, voit le quatuor (Elvis, Scotty, Bill et D.J. Fontana, le batteur) se crisper au contact de l'ambiance clinique d'un studio professionnel et d'un backing-band imposé. Moore déclarera a-posteriori que l'ambiance froide d'un ingénieur du son ne faisant qu'énumérer le numéro des pistes, entrecoupé de "C'est bon. On la refait" ou "Suivant", ne rassura pas le moins du monde le quatuor d'amateurs. Comme à l'accoutumée, la symbiose habituellement perceptible du groupe ne ressort pas des quelques titres tentés dès l'entame de cette journée. Scotty Moore est trop intimidé par Chet Atkins dont il est un fan accompli. Bill, habituellement plutôt prompt à plaisanter, se replie sur lui-même. Quant à Elvis, il piétine, chevrote, stagne. Le doute inhibe toute capacité créatrice.


L'idée vient alors de reprendre "I Got A Woman", une chanson célèbre de Ray Charles. Elvis aime particulièrement ce titre dans la pure tradition r'n'b qu'il affectionne. Le titre est d'ailleurs un morceau-clé des spectacles du King depuis plus d'un an. Et alors que Sholes commence à désespérer, le miracle tant attendu éclot enfin. Elvis est en feu, sa voix cabotine sous les à-coups binaires d'un Fontana déchaîné. Les arpèges langoureux de la guitare enrobent cette déclaration enflammée à une femme trop bien pour lui ("She gives me money when i need") dont il ne cesse de vanter les mérites au gré d'un final épique et sans retenue, caractéristique du King. Si la suite de la session verra naître l'étonnant "Heartbreak Hotel", lente complainte torturée aux antipodes des textes chantés par Elvis habituellement, celle-ci n'apparaîtra pas sur l'album.


Tard dans la nuit, c'est lors d'une session crépusculaire que va émerger la conclusion d'un disque dont personne ne soupçonne encore l'impact sur la pop culture, "Money Honey". Chanson écrite par Jesse Stone et interprétée par Clyde McPhatter & The Drifters, le titre a connu un très grand succès en cumulant pas moins de 23 semaines dans les charts à sa sortie en septembre 1953. La réinterprétation d'Elvis voit pourtant le jeune chanteur empreindre fortement le titre grâce son hoquètement singulier qu'il a lui-même beaucoup travaillé au cours de l'année précédente sur scène. Encore une fois, la session rythmique soutient à merveille les arpèges suaves de Moore et le piquant du piano de Cramer ajoute à l'ensemble un soupçon de blues d'une grande classe. Un ode à l'amour et à l'argent chanté par un bellâtre aussi innocent que provocant, voilà qui avait tout pour plaire à l'Amérique puritaine et libérale des années 50.


La session du 11 janvier bouclée, Sholes s'envole pour New York pour faire parvenir en mains propres les premiers enregistrements d'Elvis Presley, le prodige sur qui le label a tout misé. Sauf que RCA est catastrophé par le résultat. Les ballades enregistrées le deuxième jour ("I Was The One", non présente sur l'album, et "I'm Counting On You") ne convainquent pas du tout la direction et ne rendent aucunement justice à la verve séductrice habituelle du King sur scène. Ajouté à cela deux reprises classiques et un inédit étrangement dérangeant ("Heartbreak Hotel"), voilà Steve Sholes au fond du trou. Pourtant, ce dernier ne perd pas espoir et décroche rapidement une deuxième session d'enregistrement, à New York cette fois. Il espère ardemment que les tensions palpables entre Elvis et lui se dissiperont dans un cadre plus accueillant. Car les deux hommes se sont quittés fâchés des sessions de Nashville, le jeune chanteur mettant notamment en cause l'excès d'autorité de Sholes et Atkins sur le déroulement des sessions. Quant aux choristes convoqués à Nashville, ils ne remettront plus les pieds en studio avec Elvis, vexés d'être uniquement considérés comme tels. Après une quinzaine de jours à Memphis, voilà qu'Elvis, Scotty, Bill et D.J. Fontana débarquent en plein cœur de New York dans l'espoir de donner vie au rock 'n roll.


Parti en compagnie du Colonel quelques jours avant le début des enregistrements, Elvis participe déjà aux divers rencontres organisées par Sholes avec les chefs du label. La candeur et le charisme du chanteur font un carton auprès de tous, qui voient déjà en lui la star de la musique moderne. Anne Fuchino, qui travaille dans le département publicité de RCA et qui plus précisément cherche à étendre le mouvement pop, déclare à peine quelques minutes après avoir rencontré Elvis: "C'est lui qu'il nous faut". Comme un poisson dans l'eau du Mississippi, Elvis Presley semble avoir réussi son intronisation dans la cour des grands. Pourtant, RCA grince des dents depuis quelques jours. Le 23 janvier, un nouvel artiste Sun a émergé du sablonneux Tennessee, un certain Carl Perkins. Son tube "Blue Suede Shoes" cartonne sur toutes les radios, poussant même RCA à se reconsidérer un instant le contrat d'Elvis. Pire, le studio de Sam Phillips propose aussi un nouvel artiste clairement estampillé country, Johnny Cash et son "Folsom Prison Blues". Les majors sont à la peine. Le pression sur les épaules de la troupe n'en est que plus grande.


Comme un symbole, c'est d'ailleurs sur une reprise du titre de Perkins que débute la deuxième session RCA, le 30 janvier 1956. Après treize prises, le résultat ne convient à personne. Elvis, dépité, préfère passer à autre chose plutôt qu'espérer dépasser Perkins sur son propre terrain. C'est pourtant bien l'une de ces versions "non-satisfaisantes" qui ouvrira le disque. Emprunt à un certaine désarroi face à cette situation qui semble lui échapper, Sholes appelle Phillips à des fins de conseils, tant sur la qualité des récentes productions du groupe que sur la gestion du personnage Presley. Sam Phillips exhorte Sholes à faire preuve simplicité avec Elvis, ce n'est que dans ces conditions qu'il est capable de donner le meilleur de lui-même. A peine donné, le conseil est appliqué et Sholes laisse Elvis entreprendre en groupe deux reprises d'Arthur Crudup (l'interprète original de "That's All Right"): "My Baby Left Me", qui sortira en single, et "So Glad You're Mine", qui sera intégré au deuxième album du King, Elvis. La magie opère à nouveau et l'entrain général d'une troupe remaniée - on compte un nouveau pianiste, Shorty Long - accouche d'un "One Sided Love Affair" entêtant où les notes dansantes d'un piano matraqué répondent au bagou chaleureux d'un Presley qui ose une puissante sortie de sa zone de confort vocale en fin de titre. Sholes retrouve des couleurs et la deuxième journée s'annonce sous de meilleurs augures.


Le 31 janvier 1956 est pourtant perturbé par l'arrivée d'un jeune journaliste dans les studios. Fred Danzig a repéré Elvis après ses passages remarqués au Stage Show de CBS. En effet, le Colonel, persuadé que la clé de la communication reste la télévision - et qu'Elvis était parfait pour ça - avait programmé une série d'apparitions dans le célèbre show TV de CBS pour présenter à toute l'Amérique le phénomène Elvis. Son atout majeur restant avant toute chose sa prestance scénique hors-norme, elle est de loin la meilleure des publicités en vue de la sortie prochaine d'un album. C'est donc avec une certaine stupeur que le jeune reporter écoute Elvis Presley se confier sur ses racines musicales et ses idoles - il cite principalement des artistes noirs du Sud des Etats-Unis -, ses projets d'avenir et son déhanché, forcément. Danzig est fasciné par Presley, son look - une chemise bleue lavande et des mocassins en alligator bleu -, son charisme aussi. Lorsque que le groupe commence l'enregistrement d"I'm Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)" - un titre de Roy Hamilton de 1954 -, Danzig est aux côtés de Sholes derrière la console. L'assurance d'Elvis se traduit par une prononciation impeccable et une précision dans ces notes graves et amples qui forcent le respect du journaliste. Les autres ont beau être d'excellents musiciens, seul Elvis brille au milieu d'un studio qu'il inonde de sa classe.


C'est également au cours de cette session du 31 janvier 1956 que voit le jour "Tutti Frutti", titre popularisée en novembre 1955 par un certain Richard Wayne Penniman, plus connu sous le nom de Little Richard. Moins vindicateur que lors de la première session, Sholes laisse Elvis se réapproprier le titre, quitte à le transformer profondément. Presley assène à plusieurs reprises le mythique "A-wop-bop-a-loo-bop-a-lop-bam-boom!" contrairement à la version de Richard. Mieux encore, Elvis remplace "bom-bom" par "bam-boom". La refonte lexicale est minime, l'impact rythmique énorme. Les mots de Presley jaillissent aux oreilles d'un auditeur envoûté par le rockabilly supersonique de la formation durant lequel Moore fait crisser sa guitare comme jamais autant que Fontana martyrise une caisse claire clinquante, brillante, étincelante de groove. C'est avec une fougue retrouvée que la troupe achève cette session, la dernière avant de reprendre la route des shows télévisés et des concerts archi-complets.


Si l'on ajoute aux résultats de ces sessions, les cinq morceaux encore inédits enregistrés aux Sun Studios de Memphis entre juillet 1954 et juillet 1955, Sholes dispose d'une douzaine de titres pour un album. Il n'y intégrera ni "Heartbreak Hotel" ni "My Baby Left Me", pourtant tous deux enregistrés par ses soins, persuadé que les deux morceaux feront d'excellents singles en préambule de la sortie de l'album. Quelques morceaux comme "So Glad You're Mine" sont conservés pour un deuxième album.


A l'exception d'"I'm Counting On You" écrite par l'auteur Don Robertson pour Elvis, on ne compte sur ce premier album que des reprises provenant d'un catalogue varié. Les attaques sur sa prétendue originalité visant à ne voir dans la musique de Presley qu'une pâle copie de tout un pan de la musique populaire américaine, sont à première vue complètement fondées et légitimes: Elvis Presley n'est pas un musicien, il ne fait que chanter la musique des autres. Seulement, l'appropriation des morceaux par le jeune chanteur est comparable à son pouvoir de séduction déclenchant ces fameux raz-de-marée féminins qui submerge la jeune star lors de ses sorties publiques. En 1956, l'Amérique n'a pas besoin d'un énième bon musicien, le pays en regorge de par ses nombreux états et tous les courants musicaux qui balisent le voyage initiatique du mélomane moyen. L'Amérique a simplement besoin d'un héros à aduler, d'une figure à honorer, d'un personnage à idolâtrer. Elvis Presley n'a rien d'un musicien hors-pair, il est même un piètre guitariste et un pianiste très moyen. Mais il incarne une certaine idée de la nouvelle Amérique, celle qui brise timidement les barrières raciales, sexuelles et sociales, celle qui s'abreuve de toutes les fractions de sa culture au travers d'un nouveau dénominateur commun, ce brave petit gars de Memphis. Plus que jamais, Elvis Presley est l'interprète que toute l'Amérique attend, celui qui pratique à merveille l'hybridation des genres à des fins d'un seul et même leitmotiv: le plaisir.


Malgré l'hétérogénéité des titres - sessions différentes, producteurs différents, groupes de musiciens différents -, il émane de ce disque une certaine idée de la cohérence. Pas musicale, très clairement: quel point commun entre un "Blue Moon" de juillet 1954 enregistré en trio avec un chanteur frêle et effacé et l'explosion "Tutti Frutti", l'arlequin bigarré parmi toutes les friandises de ce disque ? Non pas une cohérence de ce type mais une cohérence stylistique, une signature sonore unique et indélébile. Chaque morceau est empreint de l'innocence fraudée de son interprète et on prend un plaisir malsain à basculer dans un introspectif épicurisme. Les arrangements épurés et lancinants du trio ("I Love You Because") contrastent avec l'énergie d'un " I Got A Woman" enregistré après une année à arpenter les routes du Sud. Rares sont les disques à témoigner d'une période si vaste surtout lorsqu'elle est jalonnée de nombreuses évolutions. La fragilité lyrique d'Elvis fait place à une assurance baraquée qui enveloppe chaque titre d'une juste dose de miel et d'acide. Bien sûr, toute la troupe a gagné en expérience et les balbutiements du trio intimidé et approximatif des petits Sun Studios s'est mué en véritable incarnation physique d'un mouvement libertaire. 


Elvis Presley est un album qui s'adresse à l'Amérique par de simples mots: "Elvis Presley, inutile de retenir son nom, l'Histoire s'en chargera tous les jours pour vous". Comme un symbole, il introduit au monde la figure de proue d'un mouvement chimérique au travers de douze pistes endiablées, au groove ravageur, d'une irrévérence crédule, parfaite mosaïque des racines musicales ondoyantes de l'Amérique. Enregistré en seulement huit jours en cumulé, il est l'aboutissement d'un mode musical instinctif, l'expression brute du talent, la victoire d'un résultat sonore transcendant et moderne sur le dictat des dogmes musicaux. Le tableau dépeint est inédit, il porte le nom de rock 'n roll. 

Commentaires
Daniel, le 01/04/2021 à 20:02
La pochette de cet album (une photo recadrée de W.R. Robertson) a défini tous les archétypes de la culture rock à venir. C'est une imagerie iconique qui, une éternité plus tard, continue d'inspirer les créatifs ou de susciter des jalousies. Il reste important d'écouter aussi ce que Presley avait enregistré "avant", chez Sun.