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Critique d'album

John Cale


Paris 1919


(01/03/1973 - - Rock avant-gardiste - Genre : Autres)
Produit par

1- Child's Christmas In Wales / 2- Hanky Panky Nohow / 3- The Endless Plain Of Fortune / 4- Andalucia / 5- Macbeth / 6- Paris 1919 / 7- Graham Greene / 8- Half Past France / 9- Antartica Starts Here
Note de 5/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Un monument intemporel de délicatesse "
Guillaume , le 04/03/2023
( mots)

En 1973, alors que la folie Glam Rock occupe le devant de la scène, John Cale se toque de rock symphonique. Qu’est ce qui a pu passer par son cerveau malade pour enregistrer Paris 1919, ce monument de délicatesse fin de siècle ? Lui, la tête brûlée du Velvet Underground, apôtre de la musique contemporaine, le responsable de l’apocalyptique "Sister Ray", avec ce son de clavier distordu, saturé à qui mieux mieux, pour mieux affronter l’attaque carnassière de Lou Reed. En cette époque post-Velvet, le gallois irascible a des fourmis dans les bras. Ces premiers pas en solo ne sont guère concluants avec deux albums vite oubliables. Mais en tant que musicien rompu aux techniques de production, Cale va traîner derrière les consoles le temps de participer, l'air de rien, à l’élaboration de quelques chefs d’oeuvre intemporels comme la plupart des albums de Nico, le premier Stooges, Bryter Layter de Nick Drake (il s'attellera par la suite à la production du premier Patti Smith puis du premier Modern Lovers). Des choix forts, motivés par un flair infaillible. Toutes ces circonvolutions qui vont le mener jusqu’à Paris 1919 en 1973.


Pour ce faire, Cale va embaucher rien de moins que la moitié des génialissimes Little Feat (l’un des trésors cachés du rock américain seventies) soit le batteur Richie Hayward et le stratosphérique Lowell George, multi-instrumentiste surdoué et maître queux de la guitare slide. L’album se veut un hommage appuyé aux accords de Versailles, qui aux yeux de Cale était l’exemple parfait de l'annonce d'événements effroyables, signifiée de la façon la plus neutre possible (désignée en tant que responsable de la Première Guerre Mondiale, l’Allemagne devra payer un lourd tribut aux forces alliées pendant des années, avec pour corollaire la montée du nationalisme en Allemagne). Comme si cette date fatidique était le chant du cygne de cette vieille Europe avant de re-basculer petit à petit dans l’horreur totale. Cale, le gallois déraciné, fantasme une Europe Belle époque façon Stefan Zweig, intellectuelle, culturelle, au délicat charme suranné. Au même moment, Procol Harum publie le classieux Grand Hotel, qui semble sortir de la même cuisse que Paris 1919, abstraction faite de la préciosité monacale de l’album de Cale, jouissant des arrangements d’orfèvre de Chris Thomas (qui avait par ailleurs produit l’opus de Procol Harum).


Cependant, il ne faudrait pas se méprendre sur la nature du projet. Sous les coutures de son costume trois pièces vanille et derrière sa gravité de façade, la plume de Cale trempe dans une encre caustique, aux reflets absurdes. Un peu à la façon d’un Randy Newman. Sa pièce d’ouverture, "Child's Christmas in Wales" (hommage à son compatriote Dylan Thomas) étrenne ce feu d’artifice de nonsense. Sur un rythme pétillant de piano transpercé par le bottleneck de Lowell George, Cale déclame des textes insensés, dégoise sur ces "dix oranges assassinées, saignées sur un bateau de croisière". Plus loin dans "Hanky panky nohow", bouleversant cantique aux faux airs de "Hallelujah" de Leonard Cohen, Cale certifie qu'"il existe une loi pour tout et même pour les éléphants qui chantent pour garder les vaches dont l’agriculture ne veut pas" !!! L’ineptie des paroles ne peut effacer la magnificence de l’orchestration élisabéthaine du titre. Le souffle lyrique de Procol Harum (notamment son album "Live with the Edmonton Symphony orchestra") est prégnant sur "The endless plain of fortune". Les très casse-gueule épousailles entre groupe rock et orchestre symphonique (vieille marotte du rock) sont chaperonnées d’une main de maître par le producteur Chris Thomas, sans jamais tomber dans le mauvais goût. La vague philharmonique du UCLA Symphony Orchestra déferle sur la mélodie gracile de Cale pour tout raser sur son passage. Paris 1919 ne se targue pas seulement d’être une succession de références lettrées, c’est aussi un album géographique. Outre les hommages littéraires, les références spatiales abondent au gré des inspirations de Cale, disloquées pour la plupart en Europe (France, Andalousie, Ecosse, Pays de Galle…). "Andalucia" ne braconne pas en terres ibériques du côté du Flamenco mais plutôt dans les grands espaces de l’Ouest américain, la guitare planante de Lowell George en garde-fou.


Peu habitués à ces ambiances sereines, les deux gaillards de Little Feat décident de prendre le pouvoir sur "Macbeth", boogie rock effréné cisaillé par les guitares hurlantes de George, qui finit sa course dans un délirant duel six-cordes alto, cher à Cale et à ses jeunes années au sein du Velvet. Le titre détonne dans cet ouvrage de dentellière consciencieuse, unique concession faite à un rock’n’roll pur jus. Muse d’une pop ambitieuse typiquement britannique, la musique baroque s'invite au ballet viennois organisé par Cale. Sur un tapis de violons joués staccato, notre homme entonne une nouvelle formule presque enfantine sur le morceau "Paris 1919" : "Tu es un fantôme, la la la la la la la la la, tu es un fantôme la la la la la la la la la". Puis surgit un vaporeux interlude clairement inspiré par Bach (ou par Dieu lui-même) où les oiseaux chantent les louanges de cet exquis intermède. Ces charmants piafs déchantent fissa à l’arrivée de la cotonneuse "Antartica starts here". Murmuré par un Cale aphone sur un clavier duveteux, cette berceuse venimeuse dépeint la détérioration mentale de l’actrice hollywoodienne Joan Crawford. Cette inquiétante balade semble sortir de la bouche d’un fou en camisole, ânonnant une sombre histoire, un rictus mauvais au coin des lèvres. Impression renforcée par la fin du titre qui s’étire, s’étire pour imprimer une persistante sensation de malaise.


Paris 1919 sera un one shot dans la carrière de Cale. Plus jamais il n’abordera sa musique avec une telle élégance. Saqué du Velvet pour sa volonté affichée de contourner les sentiers trop conventionnels de la pop prônés par Lou Reed, Cale ne crache pas pour autant sur la pop. En témoigne Paris 1919, qui malgré son érudition, reste certainement son disque le plus accessible, le plus serein… Du moins en surface. You can’t judge a book by its cover.


A écouter : "Child's Christmas in Wales", "Hanky panky nohow", "The endless plain of fortune", "Paris 1919"

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