Machine Head
Bloodstone & Diamonds
Produit par Robb Flynn
1- Now We Die / 2- Killers & Kings / 3- Ghosts Will Haunt My Bones / 4- Night Of Long Knives / 5- Sail Into The Black / 6- Eyes Of The Dead / 7- Beneath The Silt / 8- In Comes The Flood / 9- Damage Inside / 10- Game Over / 11- Imagine Cells / 12- Take Me Through The Fire
S'il a mis du temps à s'affirmer comme une valeur sûre de la scène metal américaine, les récents The Blackening et Unto the Locust, bien que très différents mais réussis, ouvraient à Machine Head les portes de l'enfer du monde. Fer de lance de la maison Roadrunner dès son premier album, la naissance de Bloodstone & Diamonds a été chahutée par le départ du co-fondateur Adam Duce et la signature du groupe sous un nouveau label, Nuclear Blast, à qui l'on doit le génial retour de ces bons vieux teutons d'Accept avec Blood of the Nations. Autant d'écueils qui font de ce nouvel opus, un objet de toutes les supputations.
Depuis l'arrivée de Phil Demmel à la guitare en 2002, le quatuor d'Orlando semble avoir trouvé une profonde identité sonore, après des années d'errement musical entre nu-metal sans saveur et thrash metal abrasif. À la fois lourd et nuancé, puissant et précis, le son de Bloodstone & Diamonds est proche de la perfection. Le single "Killers & Kings" introduisait déjà une production soignée, moins volontairement sale que sur Locust. La part belle est faite aux effets de guitare si singuliers du groupe : effets flanger et phaser mêlés en juste proportion pour un pont anthologique sur "Eyes of the Dead" et une intro machiavélique sur "Night of Long Knives", où l'angoissante évocation du meurtre, "Goûte la lame, dans la nuit des longs couteaux", glace le sang. Fort de ce son affirmé avec brio, "Beneath the Silt" voit Robb Flynn et son plectre se délecter d'un jeu d'harmoniques jouissif, soutenu par une section rythmique avide de décibels. "In Comes the Flood" est à ce titre, interprétée à toute allure, telle une infernale cavalcade sans issue. La cohésion est indéniable même si l'apport de Jared MacEachern à la basse est peu intelligible. Il faut à l'évidence peu de temps pour adhérer à ce Bloodstone & Diamonds surpuissant, distribuant des chansons plus courtes, plus intenses à un rythme tonitruant.
Pourtant, ce dernier est marqué par un certain nombre de singularités, en comparatif des précédents opus du groupe. L'introduction de "Ghost Will Haunt My Bones" tempère la fougue des chevelus d'Orlando (à l'exception de ce chauve de batteur) avec un style très "Sweet Child O'Mine" soutenu par des vagues telluriques, ce juste un temps avant un déferlement rageur de heavy maîtrisé et suffisamment lent pour provoquer ce petit hochement de tête régulier, signe infaillible d'une réussite indéniable. L'ouverture de cet album par "Now We Die" est en revanche une étrangeté tant ses imposants violons s'opposent au chant presque growlé de Robb Flynn. Si l'audace de cette association et de ce mixage inattendus interpellent des les premières secondes du titre, le manque de modération des aigus suintants de son refrain brisera les tympans les plus cristallins, condamnant l'écoute à un supplice plus que dommageable. Indéniablement manqué. C'est dans le superbe "Sail Into the Black" qu'il faut trouver un renouveau et une bouffée d'air originale et salutaire dans un album mené tambours et guitares battants. Une voix caverneuse et des arrangements extraits des entrailles du monde promènent l'auditeur dans une vaste nappe mélancolique. Chaque mot est murmuré, chaque note est dispensée avec justesse pour nous offrir une progression lente et mystérieuse dans la noirceur des océans narrée ici.
Et la narration est à l'honneur sur Bloodstone & Diamonds : si le chant de Robb Flynn a trouvé de la constance avec le temps, celui-ci apparaît maintenant varié, plus ample et travaillé. C'est un vrai atout pour le groupe car la tessiture vocale de Robb Flyyn est particulière et peu commune dans un milieu metal parfois trop aseptisé. Intrinsèquement, Flynn améliore ses compositions et le chant devient plus direct, les mélodies plus accessibles, s'appuyant sur des mots percutants pour aboutir à des refrains brutaux mais diablement efficaces comme "Killers & Kings". Les paroles reflètent malgré tout un concept d'album un peu flou à l'inverse des deux précédents efforts, beaucoup plus marqués. La pochette, abstraite, peine à trouver un réel sens artistique. Ses dorures animales sont pourtant illustrées avec précision et rendent justice à la noirceur du songwriting du groupe.
Irrévocablement, la sensation de cohésion qui émanait de Bloodstone & Diamonds s'effrite peu à peu. Le planant "Damage Inside", dont le chant aux faux airs de Corey Taylor met en avant les qualités mélodiques du groupe, enchaîné avec le dantesque "Game Over", où l'on retrouve le groupe au sommet de son art (guitares abyssales, matraquage rythmique et refrain fédérateur), forme un combo quasi-parfait tant il affiche la quasi totalité de la palette artistique des quatre floridiens, le tout interprété avec une hargne communicative. Et sans crier gare, s'en suivent deux titres ratés : sans intérêt pour "Imagine Cells" (une suite de slogans parlés sous fond de musique de spot TV), et franchement pas révolutionnaire pour un sou avec "Take Me Through the Fire" qui s'inscrit dans la pure tradition du Machine Head "classique", que Bloodstone & Diamonds avait dépoussiéré avec la manière. Déconcertante et révoltante que cette conclusion insipide et sans âme.
Bloodstone & Diamonds est un album plus complexe qu'à l'accoutumée : varié, empruntant des chemins hasardeux, il s'inscrit dans la lignée directe de ses prédécesseurs tout en apportant plus de juste brutalité. C'est un opus délivré avec force et ténacité où chaque chanson proposée éveille les sens que seuls un "Imperium" ou un "Halo" avaient su titiller jusqu'à présent. Ses quelques écarts, notamment son démarrage en demi-teinte et son final bien en deçà de la qualité générale de l'album, ne doivent pas empêcher de jouir d'une écoute émotionnellement intense. Machine Head est un grand groupe et Bloodstone & Diamonds un effort plus que majeur, tonitruant dans sa discographie (au même titre que The Blackening). Il envoie du lourd. Sauvagement et simplement. Et on aime ça. C'est ça Machine Head. Une machine sourde et tempête.
Chansons conseillées: "Sail Into The Black", "Game Over" et "Ghost Will Haunt My Bones"