Magma
Kohntarkosz
Produit par
1- Kohntarkosz Part One / 2- Ork Alarm / 3- Kohntarkosz Part Two / 4- Coltrane Sundia
Si les deux premiers albums étaient encore exploratoires, Mekanïk Destruktïw Kommandöh (MDK) avait permis à Magma de signer l’acte de naissance de la Zeuhl, une musique inclassable à la frontière du rock (progressif), du jazz et des musiques savantes, un art total, quasi totalitaire, qui met en musique un univers futuriste, dystopique, chaotique et sidéral (les relations entre la Terre et Kobaïa), dont les codex sont écrits dans une langue fictive aux accents germaniques, le kobaïen.
Fait remarquable, malgré l’exigence de sa musique, Magma devient un groupe populaire, enfin relativement populaire parmi les initiés dont le nombre et la ferveur quasi sectaire peuvent surprendre à l’écoute de l’originalité du propos. La Zeuhl devient une mystique, plus encore peut-être qu’une musique. Fort de ce succès, Magma est appelé pour faire la bande son du nouveau film du jeune réalisateur Yvan Lagrange, Tristan et Yseult, source d’une bataille juridique qui empêche le nom du groupe d’apparaître sur l’album, au profit du seul Christian Vander. L’opus intègrera finalement la mythologie magmatique sous le titre Wurdah Ïtah, qui précède M.D.K. dans la trilogie Theusz Hamtaakh (le premier mouvement verra le jour au début des années 1980).
Au sommet de son inspiration, Magma se lance la même année dans l’enregistrement de l’immense Köhntarkösz, qui vient au monde à l’aide d’une formation agrandie (par Michel Grailler au piano, Brian Godding à la guitare et Gérard Bikialo aux claviers) tout en poursuivant la mise en retrait, de plus en plus significative, des cuivres.
La pièce principale et éponyme se découpe en deux mouvements d’une quinzaine de minutes et affiche une orientation plus progressive. Dès l’introduction de la première partie, les claviers adoptent des sons d’orgues ou des sonorités solaires, dans un semblant de montée en puissance qui laisse place à un assouplissement rythmique et à des phases d’un calme lumineux, portées par l’alliance des chants féminin et masculin. Des notes de piano ou de guitare, dissonantes ou aux sonorités inquiétantes, ainsi que la répétitivité du propos, sont toujours là pour mettre mal à l’aise, créer du suspense dans le scénario, alors que petit-à-petit, des nappes krautrock, une basse agressive, un piano minimaliste et horrifique, permettent au titre de subtilement gagner en énergie dans ses dernières minutes très monolithiques.
La deuxième partie s’ouvre sur une douceur improbable, bercée par des claviers presque cotonneux, dans une ambiance jazzy canterburyenne qui tranche avec la rudesse de M.D.K.. Mais l’orientation jazz-rock est en réalité assez limitée car la préférence est accordée aux phases planantes, jusqu’à ce qu’après 6 minutes, l’urgence se fasse ressentir. À ce moment, le rythme adopte une scansion et une répétitivité militaires, quand la guitare occupe une place grandissante avec vélocité et virtuosité, dans une esthétique plus proche du rock progressif, voire du rock tout court. Lors du dernier mouvement, qui accorde une place plus conséquente au chant à la lisière de la folie et du lyrisme, les caractéristiques de la Zeuhl s’imposent jusqu’au final en chant diphonique. Libéré du jazz, Vander rend tout de même hommage à son mentor avec "Coltrane Sündïa", dans une direction plus mystique que free-jazz, tandis que Jannick Top propose l’étonnant "Ork Alarm", à la fois orchestral et angoissant.
Dès sa sortie, le groupe met l’opus en avant (voir le live à la BBC de 1974 ou à l’Olympia – Live/Hhaï, 1975), alors que celui-ci lui ouvre des portes internationales. Un débat pourrait avoir lieu pour savoir lequel, de Mekanïk Destruktïw Kommandöh ou de Köhntarkösz, est le chef-d’œuvre de Magma, deux albums qui, pour beaucoup, signent la période la plus faste du groupe et la quintessence de la musique Zeuhl.