Metric
Formentera
Produit par Liam O'Neil, Gus van Go
1- Doomscroller / 2- All Comes Crashing / 3- What Feels Like Eternity / 4- Formentera / 5- Enemies of the Ocean / 6- I Will Never Settle / 7- False Dichotomy / 8- Oh Please / 9- Paths in the Sky
C’est dans un relatif anonymat que vient de paraître le nouvel émolument de l’un des groupes les plus enthousiasmants de la scène rock contemporaine, j’ai nommé Metric qui, par sa savoureuse new wave d’une confondante modernité et sa troublante vocaliste Emily Haines, a réussi à imprimer sa marque à de très bons disques, parfois proches du sublime (Synthetica), souvent emballants (Art Of Doubt), parfois un peu frustrants du fait de certaines errances (Fantasies, Pagans In Vegas). Le cru 2022, quant à lui, se place très certainement en haut du panier, et si son abord peut intriguer voire effrayer, nul doute que l’auditeur persévérant y trouvera matière à récompense.
Car cette fois-ci il nous faut d’abord régler son compte à l’imposant et bizarroïde (du moins en apparence) “Doomscroller" qui se charge d’ouvrir les hostilités. Plus de dix minutes au compteur ! Voilà qui apparaît pour le moins inhabituel chez ces canadiens. En définitive, nous avons moins affaire à un caprice progressif qu’à une succession de trois thèmes enchaînés relativement dissemblables mais qui, pour autant, s’emboîtent parfaitement. La nü rave sombre, dansante et aliénante - presque angoissante - du début laisse place à un pont apaisé, puis plus loin à une seconde partie dépouillée, simple piano voix qui sert de rampe de lancement à un final conquérant toutes guitares dehors, tandis qu’Haynes, louve apprivoisée à l’issue de ces méandres nocturnes, insuffle paix et sérénité à l’ensemble à l’heure ou point l’aube. Plusieurs dizaines d’écoutes après sa découverte, “Doomscroller” garde une place à part dans cet album tout comme dans la discographie de Metric, sorte d’OVNI musical bigarré et un peu barré que l’on aurait bien vu en standalone ou sur un EP plutôt que sur un authentique disque studio. Pour autant, même s’il ne fait pas réellement le lien avec le reste de Formentera, le titre se montre intéressant en ceci qu’il rassemble à lui tout seul tous ces allants musicaux éclatés dont le quatuor peine parfois à faire la synthèse. Ici synthèse il y a, même si cela nuit indubitablement à la cohérence de l’ensemble.
Bon, ça, c’est fait. Reste maintenant à vous parler de la suite de ce huitième album studio qui, pour le coup, ne souffre plus d’aucune critique. On était resté un peu frustrés par un Art Of Doubt qui témoignait d’un songwrinting souvent redoutable mais qui pêchait par manque de constance, ou par un Pagans In Vegas qui s’essayait pour le coup à dissocier ses allants rock de ses atours synth-pop, or Formentera ne pêche ni par l’un, ni par l’autre de ces travers. Plus encore, on sent que le groupe a progressé, gagné en maturité, en naturel. En témoigne la doublette “All Comes Crashing” - “What Feels Like Eternity” qui, faisant suite au colosse introductif, rassemble sans doute les deux plus belles compositions d’Emily Haines. Dépouillement instrumental, retenue, contraste entre couplets timides et refrains éclatant au grand jour, le premier épate par sa qualité d’écriture et encore et toujours par cette voix magnétique, mi-enfantine, mi-mutine, témoignant tantôt d’une naïve pureté, tantôt d’une aguicheuse sensualité, une voix qui joue de ses charmes comme de ses modulations, empruntant des montagnes russes mélodiques qui ont tôt fait de nous gagner à sa cause, servie par un accompagnement guitare-basse-batterie aussi nonchalant que pugnace. “What Feels Like Eternity” va même plus loin dans le registre de la pop song en exploitant un registre grave aussi inhabituel qu’ébahissant, nimbé dans des atours plus synthétiques qui basculent sur un magnifique pont de cordes en écho. Génial, au bas mot.
Surtout Formentera se montre autrement plus varié que ses prédécesseurs - ça, on l’avait compris -, mais là où Metric ne se montrait pas toujours très convaincant dès lors qu’il délaissait son terrain de chasse favori, à savoir la pop song enlevée et concise, le groupe parvient maintenant à séduire dans des registres plus divers comme la balade chaloupée (“Formentera”) ou le slow synthético-symphonique à tendance emphatique (“Ennemies Of The Ocean”). Si les premières écoutes se montrent un peu méfiantes vis-à-vis de ces deux morceaux - on garde encore en mémoire les longueurs de Fantasies -, force est de constater que ce duo fait plus que tenir la route tout en offrant une judicieuse respiration au cœur du disque. Idem pour le conclusif “Paths In The Sky”, tout en réverbérations ouatées, fêlures vocales et gangue cotonneuse, magnifique. Une page se tourne pour l’avenir, qui ne présage que le meilleur.
Le reste ne fait que couler en toute quiétude, et dans ce registre on fait difficilement plus réussi que le léger “I Will Never Settle” qui s’exerce avec brio à l’exercice du crescendo, ponctué d’un finish aux petits oignons, passant de la grâce à la force, tuilant ses textures tantôt portées par les claviers, tantôt par les guitares, et les motifs mélodiques de s’enchaîner avec une impressionnante classe. Sans gêne, “False Dichotomy” reprend les affaires là où Art Of Doubt les avait laissées, crânement, efficacement, avec légèreté et dynamisme, c’est frais, pop, plaisant, dansant et ça fait tellement le job qu’on en oublierait presque à quel point il est difficile de parvenir à pondre une chanson aussi limpide et évidente. Plus dans la retenue, “Oh Please” joue davantage sur le charme vénéneux de sa chanteuse dont on n’aura de cesse de louer la diction, le timbre, la carnation, ici mi-revêche, mi-enjoleuse, servie par un écrin syntéthico-rock d’une aliénante pertinence.
Magnifique Metric qui signe ici encore un excellent disque dont les petites anfractuosités ont davantage tendance à nous émouvoir que par le passé. On peine à comprendre pourquoi les ondes radio ne s’ouvrent pas davantage à cette formation au style pourtant authentiquement mainstream, et on attend encore de la part des canadiens ce disque définitif qui propulsera à la face du monde l’insolent talent d’Emily Haines et de ses sbires. La prochaine fois, peut-être ? En attendant, Formentera nous fera fort agréablement passer le temps.
PS : oui l'artwork est moche. Remarquez, le précédent était pire, so what?
À écouter : “All Comes Crashing”, “What Feels Like Eternity”, “I Will Never Settle”