Queens of the Stone Age
Era Vulgaris
Produit par Josh Homme, Chris Goss
1- Turnin' on the Screw / 2- Sick, Sick, Sick / 3- I'm Designer / 4- Into the Hollow / 5- Misfit Love / 6- Battery Acid / 7- Make It Wit Chu / 8- 3's & 7's / 9- Suture Up Your Future / 10- River in the Road / 11- Run, Pig, Run
C’est officiel, pour apprécier pleinement cette cinquième livraison des Reines de l’âge de pierre, un deuil s’impose. Celui du rock hédoniste des débuts, des riffs robotiques comme des fulgurances punk qui jaillissaient par intermittences de ce bolide dévastateur. Bien évidemment, il faut plus que jamais tirer un trait sur Nick Oliveri, pour ceux qui ne s’y sont pas encore résolus. On se demande d’ailleurs si sa présence ne serait pas désormais vaine et hors-sujet tant Queens of the Stone Age est devenue une entreprise sérieuse, pas le moins du monde monotone mais affichant de hautes ambitions. Désormais le groupe ne cesse de creuser son gisement, de plonger ses guitares volumineuses et lancinantes dans une atmosphère lugubre tout en revendiquant haut et fort l’excellence mélodique des Kinks.
La galaxie QOTSA a entamé une progressive révolution sur son orbite depuis quelques années. En pause prolongée depuis 2003, les Desert Sessions ont cessé d’être le laboratoire sonique du géant rouquin. Ce n’est plus dans le Rancho De La Luna qu’il vient jeter en vrac ses expérimentations du moment mais à l’intérieur même se son groupe qu’il élabore ses nouvelles idées, pousse à bout ses lubies. En conséquence, l’homme est devenu une bête de studio, en témoigne l’enregistrement de cet opus qui s’est étalé sur 10 mois, chose que l’on aurait jamais cru possible de sa part il y a encore deux ans. Plongé dans son repaire, accoudé à sa console de son, Homme a fait de son album un disque dense et fouillé (fouilli ?) sur lequel les couches de guitares s’empilent, les changements de rythme s’accumulent, les brisures se multiplient, les gestes artistiques s’amoncellent. Paradoxal, alors qu’Era Vulgaris dispose du son le plus rêche de son répertoire, le plus sale et brouillon. Comme si désormais les Eagles Of Death Metal constituaient la principale source d’inspiration du bonhomme, ce dernier se chargeant d’en épaissir l’atmosphère et d’en complexifier la structure des morceaux.
Mais les écoutes approfondies d’Era Vulgaris assurent qu’un tournant est désormais entériné dans la discographie des QOTSA, qu’il fallait dépasser Lullabies To Paralyze, ce dernier n’étant qu’une luxueuse transition. Riche en pépites mais volontiers bavard et superfétatoire en seconde partie ("The Blood Is Love", "Skin On Skin", "You’ve Got A Killer Scene, Man"), Lullabies n’avait pas atteint l’excellence et s’était par moments perdu dans ses déambulations ténébreuses. Era Vulgaris vient parfaire le brouillon, resserre le propos. Ainsi, on observe des similitudes dans les deux disques. Même ouverture vaporeuse, même interlude langoureuse et laid-back ("Make It Wit Chu" emboîtant le pas à "I Never Came"), même final symphonique. "Into The Hollow" arpente les mêmes sentiers obscurs que "Someone In The Wolf". "I’m Designer", c’est du "Broken Box" version 2007, avec sa mélodie titilleuse et sa batterie minimaliste. Mais dans l’ensemble, Era Vulgaris est un album d’une même teinte, d’une noirceur joyeuse.
Malgré ses atours virils, le disque s’avère être le moins accessible du répertoire des QOTSA. Contrairement à tous les efforts précédents, le groupe décide de prendre son temps à l’entame alors que jadis il ouvrait les hostilités pied au plancher. Ce qui est un signe. "Turning On The Screw" ouvre les placards à la recherche de spectres torturés (le titre est-il une référence au Tour d’écrou d’Henry James, chef d’œuvre de la littérature fantastique ?). Le robot-rock du premier opus semble faire son retour, son sournois pouvoir de séduction en moins. On est envoûtés par les guitares tournoyantes et chavirantes mais l’ensemble laisse perplexe, tout comme le single "Sick, Sick, Sick" qui lui succède tel un "Little Sister" speedé et bas du front. Les riffs mitraillent, la batterie pulse mais la machine semble tourner à vide. Ce n’est qu’avec "I’m Designer" que l’on commence véritablement à s’accommoder aux circonvolutions malades des compos, petite réussite sur laquelle Homme ne cesse de jouer avec les modulations de sa voix, alternant intonations ironiques et grandes respirations éthérées. Les ambiances sixties se voient dopées aux anabolisants de synthèse. Dommage que ça en devienne un nouveau tic que l’on voit réitéré à longueur de pistes. Le groupe reste néanmoins fidèle à sa formule : de la main gauche, Josh Homme égraine ses riffs bluesy chargés et bourrus, de la droite il tricote ses lignes psychés, les fait entrer en collision et glousse en observant la fun machine s’ébranler et cahoter. Il est néanmoins regrettable que, absorbé par son petit jeu, l’Elvis poil de carotte en oublie parfois de composer de vraies mélodies. La cavalcade désenchantée "River In The Road" ou le suffocant "Misfit Love" régalent les oreilles avec leurs savantes ruptures de ton, mais aucun couplet ne vient brûler la langue.
"3’s & 7’s" s’en sort mieux, débutant sur une cascade de dead notes avant de rebondir sur un limpide refrain. Avec "I'm Designer", c'est très clairement la meilleure piste du disque. Le groupe sublime à merveille une espèce de garage gothique crasseux traversé par des fulgurances mélodiques où les penchants sexy se disputent à la robustesse. Les plages éthérés sont également fichtrement bien troussés : "Into The Hollow", ballade aussi sombre que sensuelle, "Suture Up Your Future" psychédélisme blafard dans un gant de velours. "Make It Wit Chu" était déjà superbe dans sa version originale, suave et salace à la fois. Homme a eu l'excellente idée d'à peine y retoucher. La scie circulaire de "Battery Acid" est un autre moment de choix dans le genre rodéo fangeux. Il y a bien sûr des invités sur la galette, mais on entend à peine Julian Casablancas sur "Sick, Sick, Sick", quant au morceau éponyme composé avec Trent Reznor, il a purement et simplement été écarté du tracklisting final. Etrange décision quand on entend le résultat figurant sur la version UK de l’album (que l’on préfèrera à celle disponible en magasins), largement à la hauteur de l’ensemble. "River In The Road" clôt le parcours et on se demande encore sur quel pied danser. Pied que l’on prendra sûrement en écoutant l’album les oreilles collées aux enceintes, à décortiquer les moindres méandres de cet étrange mille-feuilles à la fois rustre et maniéré.
A l’échelle de sa discographie, Era Vulgaris n’est certainement pas le meilleur QOTSA et montre même le groupe en proie à un certain raidissement, derrière une production herculéenne faisant sonner comme jamais les guitares fuzz. On en laisserait presque Homme s’amuser tout seul dans son studio. Mais il suffit de prendre un peu de recul et d’observer deux secondes ce qu’est le rock américain actuel. Et là, on se surprend à revenir vers la galette, encore et encore, et à se féliciter chaque fois un peu plus de connaître un combo de la trempe des Queens of the Stone Age. Peu peuvent se targuer d’offrir des décharges de rock plombé et gracile sans épuiser ses charmes dès les premières écoutes. Cette fois encore, Josh Homme reste le roi du désert.