Renaissance
Scheherazade And Other Stories
Produit par
1- Trip To The Fair / 2- The Vultures Fly High / 3- Ocean Gypsy / 4- Song Of Scheherazade
Renaissance illustre bien la petite phrase qui figure en préambule. Le groupe anglais a été créé en 1969 par Keith Relf et Jim Mc Carty (deux Yardbirds qui se sont enfuis de leur nouveau groupe dès le premier album). Il serait fastidieux de décrire les incessants changements de personnel qui vont conduire finalement la féérique Annie Haslam (chant sublime et peintures naïves) à prendre définitivement les commandes du navire dès 1971.
La petite troupe d’Annie figure parmi les cas d’école (1) de la dérive du rock qui, d’extravagances en extravagances, a finalement conduit à l’explosion libératrice du punk rock anglais.
De là à écrire qu’il y a quelques gênes involontaires de Renaissance dans l’ADN des Sex Pistols, The Clash, The Stranglers ou encore The Jam, il n’y a qu’un petit pas apocryphe que seul l’éminent Docteur Frankenstein oserait franchir.
Au milieu des années cinquante, le rock était né avec l’ambition modeste de n’être qu’une nouvelle danse suggestive et éphémère. Une bulle de savon destinée à disparaître au contact de la première épinette venue. Mais le courant a survécu et, passés les premiers émois, il s’est rapidement trouvé des musiciens pour vouloir sophistiquer la musique du Diable.
Dès le début des années soixante, un complexe s’est installé. La principale critique adressée aux compositeurs des ritournelles en Mi – La – Ré (ou Sol) concernait le fait qu’ils étaient incapables d’« écrire » leur musique (2) et d’évoluer au-delà d’un "Boum-Tchak" basique et réducteur.
Après quelques albums conceptuels et autres opéras rock (3), les troubadours binaires ont naturellement cherché à aller "plus loin". Fidèles au concept de "contradiction interne" cher aux sociologues, ils ont voulu démontrer aux "classiques" que leur art pouvait se parer d’atours symphoniques. Histoire – selon les humeurs du moment – de satisfaire des egos ou de faire taire les mauvais coucheurs.
En extrême résumé, la première œuvre du genre a été signée par The Moody Blues (Days Of Future Passed – 1967). Le mariage rock / classique est pourtant loin d’y être consommé, d’autant plus que les parties orchestrales ressemblent plus à un générique de film américain de série B qu’à une symphonie.
Il est impossible de dénombrer ceux qui se sont alors engouffrés ensuite dans cette brèche alternative, de Barclay James Harvest à Pink Floyd (4), de Procol Harum à Sir George Martin, d’[g]Electric Light Orchestra[/g] (première incarnation) à Deep Purple, de Uriah Heep à Alan Parson’s Project…
Tous ont cédé aux sirènes des cordes et des cuivres de l’orchestre symphonique avec le plus souvent, des prétentions supérieures aux compétences (5). Les classiques en rient encore et le public rock n’a pas toujours adhéré.
En 1975, Scheherazade And Other Stories a probablement marqué l’apogée du style.
L’album repose sur les claviers du fabuleux John Tout (6) et sur la voix, riche de cinq octaves, d’Annie Haslam. A l’exception de la basse, aucun instrument électrique n’a été utilisé durant les sessions d’enregistrement.
"Ocean Gipsy" est la meilleure des trois plages de la face A. C’est une mélodie pour guitare acoustique absolument imparable. Ritchie Blackmore (qui a toujours eu le nez fin) s’est approprié le titre sur le premier album de Blackmore’s Night (le très beau Shadow Of the Moon – 1997).
Mais c’est sur "Trip To The Fair", qui introduit l’album, que John Tout livre le meilleur de ce que le rock n’a jamais offert au piano (7). C’est aussi sur ce titre qu’Annie Haslam est la plus émouvante puisque, derrière les notes qu’elle chante, elle évoque à mots cachés sa relation amoureuse avec Roy Wood (période qu’elle qualifiera de "plus belle de sa vie").
La face B contient une plage unique de vingt-quatre minutes et quarante secondes, enregistrée avec des musiciens de l’inévitable London Symphony Orchestra. Ce sera le chant du cygne du style. "Song Of Scheherazade" dépasse allègrement les confins de l’univers rock. La pièce, déclinée en neuf chapitres (8) s’inspire du plus classique des contes persans et d’une musique composée en 1888 par le tout aussi classique Nicolaï Rimsky-Korsakov (8).
C’est – forcément – ambitieux et même assez joli par moments. Il est évident que la nuance entre "beau" et "pas beau" est éminemment subjective. Mais il est difficile pour les enfants du rock de rester concentrés sur un titre aussi long et – souvent – inutilement alambiqué. La structure du magnum opus est loin d’être limpide, au point que les notes publiées lors des éditions et rééditions du disque sont contradictoires sur le sujet. Une certaine confusion s’installe, précédant de peu un ennui profond. Même si chacun de nous connait vaguement la trame du récit des Mille et une Nuits, il est très difficile de se passionner pour cette histoire antique de désillusion amoureuse.
La dernière note de la dernière mesure a probablement marqué la fin d’un cycle. Un an plus tard, sortait le single "Anarchy In The UK". Une libération…
(1) Pour ne pas citer Emerson, Lake & Palmer, Yes, Genesis, UK, Jethro Tull ou Queen.
(2) Ce reproche a généré une telle amertume bilieuse chez Sir Paul McCartney qu’en 1991, il s’est senti obligé de se fendre d’un pénible Liverpool Oratorio auto-complaisant et absolument inaudible. Sans parler de Freddie Mercury et de Barcelona, son kitschissime album opératique avec Montserrat Caballé (1988).
(3) SF Sorrow (Pretty Things - 1968), Odessey And Oracles (The Zombies - 1968), The Kinks Are The Village Green Preservation Society (The Kinks – 1968), Tommy (The Who - 1969), …
(4) Pour l’anecdote, David Gilmour ne peut plus entendre Atom Heart Mother (1970) qui a, par ailleurs, mystérieusement disparu de certaines "intégrales" du groupe.
(5) Dans un style plus drôle, Metallica (S&M -1999) et Kiss (Kiss Symphony : Alive IV – 2003) ont également célébré l’orchestre symphonique. Mais le mariage est resté stérile, les musiciens classiques se contentant de "souligner" les riffs joués par les forgerons de service.
(6) Dont la participation pianistique sur l’album Imagine de John Lennon (1971) n’est mystérieusement pas créditée.
(7) Au-delà de Rick Wakeman ou de Keith Emerson.
(8) Nicolaï était le très sérieux inspecteur des orchestres de la marine royale russe, ce qui devait en faire un parfait comique…