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Billet Albumrock

Belgium – Anvers – 06 juin 2022 – Kiss – The Final Tour Ever…


Daniel, le 12/06/2022

"Je suis un homme d’affaires. Mais s’il y a bien une chose que je ne pourrai jamais acheter, c’est ce que je ressens sur scène. Ce feeling-là va me manquer parce que je ne peux le vivre qu’au moment présent." - Gene Simmons

 

Mise en situation

L’Arena d’Anvers a été érigée dans une zone semi-industrielle et défavorisée qui n’inspire qu’une confiance modérée quand il s’agit de parquer sa voiture au milieu d’un terrain boueux, entre deux conteneurs maritimes et un engin de chantier rouillé. La configuration des lieux laisse également à penser qu’à l’issue du concert, il faudra patienter des plombes avant de retrouver l’autoroute du retour.

Il est vrai que, depuis que le rock existe, son public a souvent été considéré comme un troupeau de bestiaux décérébrés. La présence policière est impressionnante. La ville est, depuis dix années, sous le contrôle d’un parti flamand d’extrême-droite et elle tient à en faire la démonstration. 

Une fliquette bodybuildée et blonde (les clichés s’accumulent) vient rapidement nous engueuler dans sa langue natale parce que nous faisons paisiblement la file avant d’entrer. Il n’est pas question de se répandre aux abords de la salle. Le troupeau doit impérativement aller s’écrabouiller devant les portes encore fermées. J’adore le concept. 

La foule est bigarrée, habillée de Kiss et parfois maquillée. Les bières tièdes et les hamburgers discutables circulent joyeusement. Tout le monde est là pour célébrer. Dans un décor postapocalyptique et toujours boueux.

Après une fouille (un moment toujours fort humiliant), l’entrée dans l’Arena est réconfortante. La salle, gérée par un personnel polyglotte, attentif et aimable, est cosy, humaine et accueillante. Le contraste avec l’extérieur fliqué est saisissant. L’ambiance donne envie de procrastiner, de s’accouder aux nombreux bars (qui vendent de la bière wallonne) et de chiner sans compter parmi les stands de merchandising (qui vendent des t-shirts au prix du costume trois-pièces). 

Autre monde. Autre dimension. Autre paix. Rock.

La particularité de la salle (destinée à l’origine à abriter des activités sportives) fait que soixante-dix pourcents des spectateurs sont assis perpendiculairement à la scène. Tout le monde termine généralement la soirée avec un torticolis. Les soins de kinésithérapeute ne sont pas compris dans le prix du billet.

Première partie

Cela fait cinquante ans que je hante les salles de concerts. Et je me suis toujours demandé à quoi servaient les "guests". A l’exception d’Iron Maiden, de Bon Jovi et de Mötley Crüe. Trois baffes atomiques à opposer à des dizaines de daubes.

Plus prosaïquement, en ce lundi de Pentecôte 2022, The New Roses (un quatuor allemand qui tournicote sur les circuits depuis 2007 en enquillant les premières parties de prestige) délivre un hard rock old school et – forcément – très convenu. Tous les ingrédients "obligatoires" du style (en ce compris un sens évident de la mélodie) sont bien présents mais la sauce reste assez insipide. L’obstination de Timmy Rough (ça sent le pseudonyme) à faire participer le public (dans le grand style Wo Ouh Wo Wo Wo) dès le deuxième titre résonne de manière candide dans une salle encore loin d’être bondée.

Une mention spéciale doit néanmoins être réservée à "The Glory Road" qui emprunte sa thématique éculée aux grands mythes américains des sixties.

Pour le reste, le set un peu longuet permet d’observer tous les détails du plafond de la salle, à la recherche de la plateforme où Paul Stanley va, plus tard dans la soirée, interpréter "Love Gun".

Interlude

Je me demande depuis longtemps pourquoi aucun essai n’a jamais été rédigé sur le « petit coin » des concerts rock. Ce lieu de passage obligé, bondé, cosmopolite et odorant, pose la même question interpellante depuis la nuit des temps : comment le rocker mâle parvient-il à synthétiser deux litres d’urine chaque fois qu’il ingurgite un gobelet de bière ? 

Mystère. 

Dernier bisou

Retour dans les travées. L’obscurité s’installe progressivement sous les vivats impatients. Et la Voix retentit. Je ne compte plus les occasions où, depuis 1980, j’ai entendu résonner cette Voix, de Bruxelles à Paris, d’Amsterdam à Copenhague…

You Wanted The Best

Now You’Got The Best

The Hottest Band In the World…

KISS !

Le reste appartient déjà à l’Histoire…

Autant débuter par la polémique : il est clair que la sono injecte des lignes de voix pour soutenir Paul Stanley. En début de set, un léger décalage sonore se fait entendre entre la scène et la table de mixage. Le hiatus, provoqué par un coup de caisse claire anticipé d’Eric Singer, est souligné par une explosion furieuse complètement à contretemps. Mais le groupe emmerde ses contradicteurs. Bonaparte (que je ne révère pas) aurait dit : "Du haut de ces quatre fiers gaillards, 267 années vous contemplent !" 

Respect, les gars ! 

Le reste n’a aucune espèce d’importance. Les fans savent que ses quatre yaro kabuki préférés n’en sont pas à une supercherie près. 

Si l’on excepte le peu attendu (mais de circonstance) "Tears Are Falling", une chouette surprise rétro-nostalgique, la set-list est celle que tous les fans réclament systématiquement depuis le début de ce siècle. De toute façon, avec vingt albums studio (quarante-cinq fois revêtus de platine) dans sa musette, Kiss ne peut qu’enchanter ou décevoir ses fans. Chaque soir de cette tournée finale, il manque toujours un titre que l’un (l’une) d’entre nous aurait rêvé d’entendre une dernière fois. Pour fermer la parenthèse enchantée. En ce qui me concerne, j’aurais adoré me replonger dans "Creatures Of The Night" et "A World Without Heroes". 

Mais, pour le reste, tout est là : les décibels détruisent les tympans, le feu est vomi, le sang est versé, les flammes de l’Enfer sont crachées, les explosions atomiques se succèdent, le Demon s’envole, le Starchild plane jusqu’au milieu de la salle (où sa guitare reste muette durant "Love Gun" et "I Was Made For Loving You"), la six- cordes du Spaceman propulse des missiles sur des soucoupes volantes hostiles, un piano apparaît de nulle part pour "Beth" (dont le Catman va gentiment foirer les premiers accords), des ballons gonflés à l’hélium tombent du ciel, des millions de confettis pleuvent sur les milliers de spectateurs ahuris et, pour terminer la cérémonie, une guitare est de nouveau sacrifiée sur l’autel du rock.

Cela fait des décennies que Kiss atomise chaque soir la scène rock (et tous les spectacles circassiens version Barnum). Par la grâce du maquillage, les années semblent ne pas (trop) peser sur les protagonistes. Comme si le masque réincarnait le mythe faustien de l’immortalité alchimique. 

Lorsque la dernière note résonne et que les lumières de la vraie vie se rallument dans la salle, soulignant les dernières volutes de fumée et le vol des ultimes confettis, je verse quelques larmes sincères. Parce que je sais que, cette fois, je ne les reverrai plus jamais. 

Depuis 1973, chaque épisode de ma vie a été souligné par un album, un single ou un concert de Kiss. Avec leur départ inéluctable, c’est un peu de mon existence qui se fait définitivement la malle. Ce n’est pas de la nostalgie instantanée ; c’est un simple constat lucide.

Il me reste seulement des acouphènes et des valises de souvenirs. Mais rien d’autre qui puisse combler ce manque particulier…

Rideau !

Should auld acquaintance be forgot

And never brought to mind

Should auld acquaintance be forgot

And days o’ lang syne

For auld lang syne, my Dear

For auld lang syne…

Commentaires
Daniel, le 19/06/2022 à 19:29
Savoir que tu as ri, Mathilde, justifie amplement le petit temps passé à rédiger la rubrique. Parce que je pense que le rock ne doit pas vraiment être pris au sérieux. Il est plus abordable avec un minimum de second degré. Surtout quand le bassiste crache du feu en vrai. Merci pour ton commentaire ! :-)
MathildeAR, le 19/06/2022 à 13:35
Drôle, j'ai bien ri en lisant ton compte-rendu ! Et c'est vrai que ça fout les jetons des fois Anvers (je ne connais cette ville que pour les lieux de concert) ! Beaucoup de potes y sont allés à ce concert, je comprends pourquoi !