Black Mountain
Destroyer
Produit par John Congleton
1- Future Shade / 2- Horns Arising / 3- Closer To The Edge / 4- High Rise / 5- Pretty Little Lazies / 6- Boogie Lover / 7- Licensed To Drive / 8- FD 72
Cela vous aura peut-être échappé, mais Black Mountain a discrètement rendu l’âme il y a de cela un peu plus de deux ans. Oh, rien d’aussi dramatique qu’un split avec tambours et trompettes, rien qu’un départ en catimini, celui du couple Amber Webber - Joshua Wells à qui l’on doit le sémillant projet alternatif Lightning Dust, dont on attend par là même un nouvel album très bientôt. Sans annonce, communiqué ni explications, alors que les canadiens venaient d’écoper de leur plus beau succès critique avec leur magnifique IV. Bien sûr, les choses sont loin d’être aussi simples, et la note accordée à ce Destroyer vient d’ailleurs démentir la sentence prononcée en début de paragraphe. Néanmoins, une page se tourne, et autant on oubliera sans doute assez facilement le cogneur Wells - remplacé poste pour poste par Adam Bulgasem, autant il sera bien plus ardu de faire abstraction du chant mystique de Webber qui nous laissera à jamais orphelins.
Surtout la défection de la brune laisse le seul Stephen McBean aux commandes de la Montagne Noire et réoriente mathématiquement le songwriting du quintette psychédélique de Vancouver. Même si Rachel Fannan (ex Sleepy Sun) remplace Amber Webber au micro, sa présence se voit éclipsée au mixage de Destroyer : aucun lead vocal, que des secondes voix refoulées en arrière plan ou triturées à la prod (cabine tesla et autres artifices vintage). D’ailleurs, il faut bien le reconnaître, une oreille peu familière du groupe s’y méprendrait tant la nouvelle venue comble les trous avec élégance et mimétisme, mais le fait est là : l’équilibre d’In The Future, retrouvé avec IV, manque ici. On songe immédiatement au syndrome Wilderness Heart, vertement décrié par votre serviteur à sa sortie - en grande partie à tort, autant le reconnaître - pour cette carence d’implication féminine vu que McBean restait à la manœuvre du début à la fin. Mais ce serait bien mal connaître Black Mountain et sa capacité de renouvellement assez spectaculaire. Puisque le pendant chamanique du groupe s’en est allé, les membres restants ont décidé de nous livrer un disque plus rugueux, inspiré selon le chanteur par leur récente tournée et composé d’ailleurs sur la route, et cela se ressent. Il y a dans Destroyer une urgence, une hargne, une envie communicatives dès l’introductif “Future Shade”, classique heavy psych mode 80’s, ou dans le hard rock obnubilé de “High Rise”, subtilement réhaussé par les claviers scintillants du toujours fabuleux Jeremy Schmidt. Lui est resté, et fort heureusement d’ailleurs, car le groupe n’aurait pas survécu à sa défection tant sa patte sonore rétro-futuriste demeure rigoureusement indispensable à l’édification du son Black Mountain.
Reste qu’autant Wilderness Heart tentait le grand écart Deep Purple - Jefferson Airplane, autant Destroyer conserve la ligne directrice primordiale de la Montagne Noire, savant point de ralliement entre la lourdeur sombre de Black Sabbath et les envolées psychédéliques - progressives de Pink Floyd. Et ça fonctionne encore très bien. “Horns Arising” se pose comme une merveille de doom hébété, avec un solo aux sonorités rappelant un peu les sludgeurs de Kylesa, du grand Black Mountain, impliqué, inspiré, formidable dans la délivrance de sa musique. Autre superbe moment, l’halluciné et nébuleux “Boogie Lover” et ses magnifiques appels du pied à Richard Wright (superbes trouvailles de Jeremy Schmidt). Ailleurs le quintette tente une petite ébauche de fil conducteur, avec le thème du so thrash “License to Drive” introduit sur le court et passablement éreintant “Closer To The Edge”, redondant et aux voix mixées trop fort. Le Permis de Conduire, en revanche, possède un côté assez jubilatoire passé une longue intro relativement superfétatoire, avec là encore un petit goût de metal à l’ancienne trahi par la touche féminine du groupe. Dans le même genre, The Sword s’est rarement montré aussi pertinent dans sa relecture des classiques.
Pour tout dire, Destroyer, bien que rappelant l’album à tête de requin, se caractérise par un liant nettement plus perceptible en dépit de son hétérogénéité scripturale. Une hétérogénéité qui d’ailleurs ne portait pas préjudice au groupe sur ses opus n°2 et 4, mais qui se voit ici un peu mieux englobée, maîtrisée et finalement magnifiée. Ainsi, la patte indie-folk réhaussée de notes symphoniques de “Pretty Little Liar” ne fait absolument pas tache, certes agrémentée en son centre d’un petit rush heavy bien senti, tandis que le conclusif “FD’72” joue une carte lancinante aux atours 80’s rétro plutôt plaisante. Si tant est que l’on soit capable de faire le deuil de l’ancien Black Mountain et d’Amber Webber, ce Destroyer saura largement contenter tout fan de rock dense et hanté, même si l’on peut d’ores et déjà affirmer que le meilleur du groupe se trouve derrière lui. Pour autant, le métier, la ténacité et la passion peuvent nous promettre de bien belles choses à l’avenir, et si le niveau de qualité de ce Destroyer se voit de nouveau égalé dans les années qui viennent, on ne saurait faire la fine bouche...