Bosnian Rainbows
Bosnian Rainbows
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1- Eli / 2- Worthless / 3- Dig Right in Me / 4- The Eye Fell in Love / 5- I Cry for You / 6- Morning Sickness / 7- Torn Maps / 8- Turtle Neck / 9- Always On the Run / 10- Red / 11- Mother, Father, Set Us Free
Si nombre d’amateurs éclairés se sont lamentés sur la séparation d’un At The Drive-In sabordé en pleine gloire, plus rares sont ceux qui ont été pleurer sur la fin de The Mars Volta. Projet gonflé, tout aussi orgasmique qu’exaspérant, des deux forts en gueules d’ascendance mexicaine du combo d’El Paso, TMV a livré un disque culte suivi de cinq réalisations inconstantes et clivantes, regorgeant de coups de génie malheureusement noyés au sein de divagations expérimentales déconcertantes. Tandis que le torchon brûle encore entre Cedric Bixler-Zavala et Omar Rodriguez-Lopez, tandis qu’At The Drive-In surnage mollement dans le formol d’où il fut un court instant extirpé l’an passé, tandis que CBZ prépare son premier faux album solo sous le patronyme gonflé à l’entrejambe de Zavalaz, on se demandait vraiment comment ORL (rien à voir avec la gorge et les oreilles) allait pouvoir réorienter ses élans créatifs. Or un rapide coup d’oeil à son épouvantable production solo, aussi gigantesque qu’indigeste, nous faisait craindre le pire alors que l’on garde bien en tête les accointances ultra-progressives et sur-intellectualisées du petit guitariste à frisouilles.
La réponse à ce split n’a pas été médiée par le classique Omar Rodriguez-Lopez Group, mais par le nouveau-né Bosnian Rainbows. A première vue, peu de différences existent entre les deux projets, notamment quand on observe que Deantoni Parks (batterie) y officie conjointement et que l’anonyme Nicci Kasper a été embauché aux claviers. La vraie différence tient à deux paramètres fondamentaux : l’envie, de la part d’ORL, de lâcher la bride exclusive du songwriting et d’aller vers des compositions plus pop, directes et resserrées, et surtout l’enrôlement de la punkette Teri Gender Bender pour tenir le micro et apporter une sensibilité féminine bienvenue à l’univers bigarré et biscornu du gratteur. A l’arrivée, la bouffée d’air frais apparaît conséquente : jamais on n’avait connu Rodriguez-Lopez aussi simple, jamais un de ses disques n’avait sonné aussi accessible. Ce qui apparaissait à première vue comme un side-project accessoire, comme une simple corde supplémentaire ajoutée à l’arc ineffable du guitariste, passe désormais sans aucun problème pour son troisième groupe majeur après At The Drive-In et The Mars Volta. Voilà une bonne raison pour ne pas traiter les arc en ciels bosniaques à la légère.
Oui, ce premier disque auto-nommé s’avère intéressant, oui, il génère d’importantes satisfactions, oui, on prend du plaisir à l’écoute de Bosnian Rainbows. La plus-value d’un guitariste de la trempe d’Omar Rodriguez-Lopez est on ne peut plus évidente par rapport à n’importe quel groupe lambda, dégageant des profondeurs de textures et d’ambiances qui enrobent au poil les allants pop de la fringante vocaliste. On ressent une vraie collusion, souvent quasiment sexuelle, entre l’organe haletant de Gender Bender et les crissements spasmodiques d’ORL ("Eli"), faisant exhaler à la bouillonnante chanteuse un troublant "Why do you smile at me ?", alors que plus loin, la relation étant entamée, elle scande un brûlant et équivoque "You dig right in me", avant de se lamenter en un vibrant "And every day I cry for you" empreint de douleur et de regrets ("Cry For You", très typé Mars Volta dans ses accompagnements de cordes spectraux). Les arcs-en-ciel se frottent à toutes les pops, faisant une haute utilisation des samples vocaux ("Wothless", éthéré et alangui), grattant leurs origines punk en livrant un "Torn Maps" rugueux et ruisselant de moiteur, n’oubliant pas de flatter quelques élans progressif parfaitement contenus ("Turtle Neck", de paradis tropical en cauchemar insolite). Les riffs restent très lopéziens ("Always On The Run") et la cold wave sensuelle est parfois frôlé de peu ("Red", très Siouxie Sioux), d’ailleurs en quelque sorte, ce Bosnian Rainbows a auparavant été préparé par le simplifié Noctourniquet de la volta martienne, les passerelles entre les deux albums se révélant très progressivement au fil des écoutes ("Mother, Father, Set Us Free").
Bosnian Rainbows vaut plus qu’un side-project récréatif ou qu’un disque solo égotique. Par la présence et la personnalité incontestables de Teri Gender Bender, ce nouveau groupe d’Omar Rodriguez-Lopez prend ici un envol parfaitement délectable et génère une alchimie hautement prometteuse. On souhaite à cette troisième mouture lopézienne une longue et fructeuse vie, pleine de perles pop-rock ciselées par la fibre artistique très forte d’un guitariste surdoué qui se complaît par ailleurs trop souvent dans l’autosatisfaction. A découvrir, assurément.