The Mars Volta
Noctourniquet
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1- The Whip Hand / 2- Aegis / 3- Dyslexicon / 4- Empty Vessels Make the Loudest Sound / 5- The Malkin Jewel / 6- Lapochka / 7- In Absentia / 8- Imago / 9- Molochwalker / 10- Trinkets Pale of Moon / 11- Vedamalady / 12- Noctourniquet / 13- Zed and Two Naughts
Avant de nous pencher sur le cas Noctourniquet, donnons d’abord la parole à Mr Sylvain Collin, critique rédacteur chez Magic RPM, à propos de ce sixième album de la team Bixler-Zavala-Rodriguez-Lopez : cliquez ici, lisez (ça ira vite) et revenez. Alors certes, la critique est négative, mais là n’est vraiment pas la question.
En effet, il existe vraiment un nombre incommensurable de raisons pour détester ouvertement les Mars Volta et pour les descendre en flèche. En vrac : ils ont osé saborder At The Drive-In, soit l’une des formations post-hardcore les plus jouissives de la décennie 90’s ; ils se sont complus à jouer n’importe-quoi, n’importe comment (au sens littéral du terme) ; ils ont trop souvent sombré dans des abîmes de cérébralité, etc etc. De fait, ne tournons pas autour du pot : mis à part un premier album flamboyant, De-loused In The Comatorium, qui a mis à peu près tout le monde d’accord, TMV a ensuite eu régulièrement du mal à passionner au delà d’un microcosme d’auditeurs pas trop rebutés par l’expérimentation outrancière. C’est vrai qu’en y regardant de plus près, le terme "progressif" s’apparente à un sur-euphémisme pour qualifier les fatras sonores délirants de Frances The Mute ou d’Amputechture. Passons ensuite rapidement sur un Bedlam In Goliath plus direct mais sans chair réellement digne d’intérêt et sur un Octahedron sérieusement en retrait, et revenons à nos moutons. A trop vouloir expédier son papier, Mr Collin en a oublié ses fondamentaux : écouter l’album qu’il a en charge de critiquer, avoir un minimum de connaissance du répertoire attaqué et éviter de sombrer dans le poncif paresseux, le poncif étant ici : Noctourniquet n’est que le successeur d’Octahedron, TMV fait toujours la même chose, c’est affligeant. Or l’erreur est grossière, pire : lamentable. Et pour cause : avec cet album, The Mars Volta opère un virage à pratiquement 180° par rapport à son oeuvre antérieure et accouche d’un véritable Kid A made in El Paso.
Ce changement, on le sentait doucement venir pour peu que l’on ait pris la peine de s’intéresser un peu à l’évolution personnelle d’Omar Rodriguez-Lopez, guitariste (sur)doué qui a trop souvent pêché par excès d’autosatisfaction mais qui a petit à petit appris à lâcher du lest à son coéquipier-chanteur. Ainsi, alors que le petit mexicain coiffé à la Jackson 5 s’envolait dans des délires de plus en plus barrés au sein de ses derniers albums solo, The Mars Volta revenait à une certaine forme de simplicité sur ses deux précédents disques - même si rien n’est jamais foncièrement simple avec TMV. Cedric Bixler-Zavala commençait à prendre les choses en main en affirmant un chant de plus en plus central au sein des compositions du groupe, retardait sciemment la sortie de ce sixième opus pourtant composé et enregistré instrumentalement depuis près de deux années, et parvenait même à convaincre ORL de se joindre à la ré-activation pécunière d’At The Drive-In alors que ce dernier était le plus réticent dans l’affaire. La mue de la volta martienne était alors en voie de réalisation, ne lui restait plus qu’à parachever sa métamorphose. L’opération fut faite en deux temps, tout d’abord en profitant du départ spontané du cogneur Thomas Pridgen, excédé par les sautes d’humeur de ses deux patrons, puis en évinçant sans aucun remous le fidèle claviériste Isaiah Owens qui n’a tout simplement pas été invité à enregistrer l’actuel disque, laissant ainsi Marcel Rodriguez-Lopez (frère de) seul derrière les claviers de la machine texane. Tout était fin près pour une énorme surprise, et de fait surprise il y a, mais pas du tout celle à laquelle on aurait pu s’attendre.
La mutation se révèle tellement intense que l’on peut procéder à une énumération de contraires pour l’objectiver. Les Mars Volta aimaient les morceaux étirés et alambiqués ? Ils livrent ici treize titres peinant chacun à dépasser les cinq minutes. Le son était auparavant majoritairement drainé par les guitares ? Ce sont actuellement les synthétiseurs qui mènent la danse, inondant l’ensemble du disque d’une électro tour à tout grasse et scintillante même si la guitare d’Omar Rodriguez-Lopez garde paradoxalement une place capitale dans l’édifice. La batterie se faisait lourde, onctueuse et punchy ? Elle devient ici sèche, survoltée et insaisissable, agitée de soubresauts anarchiques confinant parfois à la crise comitiale. Les digressions instrumentales représentaient le sel des compositions martiennes ? C’est maintenant le chant et la mélodie qui constituent tout l’intérêt de ce disque, avec un Cedric Bixler Zavala révélant des qualités vocales tout bonnement insoupçonnées et une force de composition stupéfiante. Les accointances crimsonniennes du groupes étaient jusqu’à ce jour les plus voyantes ? Ce sont désormais ses inspirations floydiennes qui explosent en pleine lumière, avec un artwork qui rappelle même étrangement celui de Meddle. Le combo d’El Paso se fendait jadis d’un prog-rock givré particulièrement marqué par ses racines américaines et mexicaines ? C’est aujourd’hui à un disque très typé par le rock britannique que l’on a affaire, de la morgue rosbif d’un Alex Turner ("Lapochka") aux fleurons du post-progressif anglais (en vrac et de façon non exhaustive : Radiohead, Muse, Pure Reason Revolution, The Pineapple Thief, North Atlantic Oscillation et toute l’écurie Kscope). Le pire dans cette histoire est que les texans n’ont probablement jamais laissé traîner leurs oreilles de notre côté de l’Atlantique, Pink Floyd mis à part : il est donc effarant de constater à quelle vitesse la paire hispano-américaine a su se ré-approprier les codes floydiens modernes pour les malaxer dans le moule martien, sans se renier mais en amenant sa musique dans une direction proche de celle des formations précitées.
Dans les faits, les premières écoutes de Noctourniquet s’avèrent déstabilisantes, voire choquantes tellement on ne s’attendait pas à un telle tournure des événements. Puis petit à petit, on finit par apprivoiser ces nouvelles compositions et par se rendre à l’évidence : avec ce cru 2012, The Mars Volta a frappé vraiment très fort. Oh bien sûr, les fans hardcores fidèles de la première heure vont détester, les défenseurs d’At The Drive-In vont détester, les rock critics respectables vont détester, et tous ceux pour qui le progressif à tendance mélodique sort par les trous de nez vont détester. Comme ça, c’est dit. Mais pour les autres, il serait vraiment dommage de ne pas aller jeter une oreille patiente et attentive à ce disque étonnamment consistant.
Oubliez les deux titres révélés en avant-première, le "Malkin Jewel" classique (pour du Volta) et morveux, et le plus lyrique et épileptique "Zed and Two Naughts" : malgré leurs qualités, aucun de ces deux morceaux n’emportent le disque dans ses plus hautes sphères. La forme très synthétique de Noctourniquet offre d’emblée quelques pièces à la fois dérangeantes et fascinantes, comme le dissonant et baveux "The Whip Hand" qui alterne couplets étranges et refrains anxiogènes. De fait, l’équilibre de l’album s’effectue tout d’abord sur certains titres un peu plus enlevés qui s’appuient sur un socle mélodique solide pour ensuite en dynamiter les fondations à grands renforts de math-rock déglingué ("Aegis", ou quand les claviers de Matthew Bellamy se prennent une mandale via l’accélération vicieuse plantée par le refrain ; "Dyslexicon", entre bruitisme ouaté et invectives folles). Mais après, on n’a plus d’oreilles que pour les titres les plus simples. Quoi, The Mars Volta donne dans la simplicité ? Qui l’eût cru, et pourtant : "Empty Vessels Make the Loudest Sound" impressionne par sa douce retenue à peine altérée par quelques larsens déstructurés relégués loin, bien loin au mixage, tandis que "Imago" se laisse emporter en toute quiétude par sa berceuse tintinnabulante. C’est dans ce dépouillement que l’on apprécie le mieux toutes les subtilités de Cedric Bixler Zavala, un homme qui en a toujours fait un peu trop vocalement et qui trouve ici une forme de liberté souveraine dans les nuances qu’il apporte à son organe. Plus loin, le duo BZ-RL s’essaye même, à sa façon, au simple guitare-voix gracile et mélodieux ("Trinkets Pale Of Moon", quand même truffé de samples pour étoffer le tout : on est sur un disque des Mars Volta ou on ne l’est pas), et ça fonctionne bougrement bien. Mieux encore, le tandem accouche de deux morceaux d’une fabuleuse limpidité, "Lapochka" et "Vedamalady", meilleurs même que les émoluments d’un Radiohead dans ses meilleurs jours, alors que le morceau titre rend un hommage bluffant de modernité au "Have A Cigar" de Pink Floyd. On n’omettra pas de faire une place de choix à “In Absentia” (rien à voir avec Porcupine Tree), d’une richesse de textures et d’échos réellement bluffante, mais qui sera certainement un peu plus long à apprivoiser.
Noctourniquet constitue une vraie bonne surprise - une surprise d’une ampleur telle qu’elle pourrait vous faire réviser votre jugement sur ce groupe auparavant si difficile d’accès, et surtout un vrai recueil de chansons, toutes rendues belles par une simplicité aiguillonnée de tourments mécaniques mesurés. A essayer avant d’acheter, comme toujours, mais à essayer quoi qu’il en soit. En attendant un futur album qui pourrait très bien donner de nouveau dans le crust-jazz latino-ésotérique à tendance funky. Ou pas.