King Crimson
Starless and Bible Black
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1- The Great Deceiver / 2- Lament / 3- We'll Let You Know / 4- The Night Watch / 5- Trio / 6- The Mincer / 7- Starless and Bible Black / 8- Fracture
Était-il possible d’être plus audacieux et expérimental que Larks’ Tongues in Aspic ? Si l’on était en droit d’en douter, il est certain que pour des musiciens aussi intransigeants et brillants que ceux de King Crimson (moins Jamie Muir), un tel défis ne représentait aucune difficulté, ni formelle ni conceptuelle. Il suffisait de trouver une méthode.
Ainsi, Starless and Bible Black fut d’une part capté en live (entre Glasgow, Zurich et Amsterdam), du moins pour la grande majorité de ses titres par la suite retouchés en studios (suppression des traces du public, ajout du chant, réenregistrement de certaines parties). D’autre part, l’album laisse une large place à l’improvisation, manière d’être à la fois expérimental dans la méthode et dans le rendu. On en veut pour preuve la déconstruction évanescente de "We’ll Let You Know" qui débouche sur une session funk, les aspérités Krautrock planantes de "The Mincer", mais cette liberté peut aussi accoucher de la mélancolie pastorale de "Trio" qui sonne malgré tout très "composé".
Deux titres ont néanmoins été réalisés en studio, "The Great Deceiver" à l’engouement quasi zappaien, et son successeur, "Lament", qui passe de phases Heavy à la rythmique audacieuse, à d’autres plus flegmatiques, dans une scansion aux ruptures brutales qui ne l’empêchent pas de demeurer plus accessible. On pourrait y ajouter "The Night Watch", dont seule l’introduction est issue d’une prestation scénique : on s’enivre du mellotron fantomatique, de la douceur des harmoniques et des notes cristallines comme de la guitare incisive de Fripp et du chant hâtif de Wetton, pour atteindre l’inattendu final celtisant.
L’album est doté d’un titre assez mystérieux, qui est un hommage à Bob Dylan (et plus précisément à Under Milk Wood, son conte théâtral radiophonique de 1972), qui remplace ici le poète-résident Peter Sinfield. Il permet de mettre en œuvre une forme d’intertextualité au sein de la discographie du groupe, qui s’exprime tout au long de la deuxième face : le morceau-titre trouve un écho avec le fameux "Starless" qui apparaît sur l’album suivant (Red) tandis que "Fracture" est remémoré sur The ConstruKction of Light (2000) avec "FraKctured". Ces deux pièces massives, qui tournent autour des dix minutes, forment le pinacle de l’opus. "Starless and Bible Black" est franchement bruitiste et plonge son inspiration dans les méandres du Krautrock, jusqu’à ce que la section rythmique apporte un semblant de structure et mène vers final un peu plus jazzy. "Fracture" s’avère également hautement expérimental mais surtout effroyablement technique : les parties de guitare sont à la fois véloces, acrobatiques et rythmiquement alambiquées, mais la basse et à la batterie ne sont pas en reste grâce aux exploits de Bruford et Wetton, tandis que David Cross use du violon pour accroitre la puissance de cette longue progression répétitive mais lancinante, qui connaît quelques sursauts bruitistes puis franchement Heavy quand s’accumulent des riffs citant l’album précédent;
À nouveau, Starless and Bible Black témoigne du très haut niveau de King Crimson au milieu de la décennie, même si le caractère improvisé le rend insaisissable et si sa construction est parfois ardue, et surtout, malgré une place bien inconfortable entre Larks’ Tongues in Aspic et Red : du reste, tant d’audace et un tel résultat, laisse n’importe quel auditeur sur les genoux.
À écouter : "The Great Deceiver", "The Night Watch", "Fracture"