Lightning Dust
Spectre
Produit par Joshua Wells
1- Devoted To / 2- Run Away / 3- Led Astray / 4- Inglorious Flu / 5- When It Rains / 6- Joanna / 7- More / 8- A Pretty Picture / 9- Competitive Depression / 10- 3AM / 100 Degrees
Puisqu’on s’efforcera de voir le verre à moitié plein, on reconnaîtra que le départ d’Amber Webber et de Joshua Wells de Black Mountain a enfin pu relancer leur side-project Lightning Dust dont on n’avait plus entendu parler depuis six ans et, soyons honnêtes, qu’on croyait mort et enterré. Si on a vu que la Montagne Noire avait souffert de la défection de sa muse, bifurquant dans une autre direction sur l’album Destroyer - plus rêche et rentre-dedans -, on peut se réjouir que son ex-batteur et son ex-chanteuse aient enfin le loisir de voler de leurs propres ailes, surtout pour un tel résultat. Car si Black Mountain n’a pas tourné le dos au psychédélisme et à certaines ambiances planantes (merci Mr Jeremy Schmitt), il a en revanche perdu toute sa part mystique avec la défection de Webber à la voix si particulière, aussi timide que puissante, aussi singulière dans ses tonalités nasales étouffées que dans ses vibratos quasi-religieux, ce qui confère à la brune un statut à part dans le milieu de la musique rock étant donné qu’un organe pareil s’exprime en général dans la world music (celtique en particulier). Mais c’est sans compter sur l’apport de Joshua Wells qui, loin de se contenter de marteler ses fûts, a en charge d’enrober les mélodies de sa compagne, passant de la guitare au synthétiseur au gré de ses envies ou des ambiances pour, in fine, sublimer l’organe si rare d’Amber. Qui plus est, on sent que ce quatrième disque, par la force des choses, voit basculer Lightning Dust du statut de side-project à celui de groupe à part entière, et cela se ressent qualitativement.
N’allons pas par quatre chemins : Spectre est leur album le plus réussi, d’ailleurs la messe est dite dès l’entame. “Devoted To” ne dépareillerait ni sur In The Future, ni sur IV, les meilleurs disques de l’ex-projet du duo. Nappes de claviers mystérieuses, guitares révérantes entre folk et chamanisme, coups d’archets hallucinés, chanteuse passant de la crainte à l’extase, le titre se révèle enivrant, au bas mot. Désormais Lightning Dust ne craint plus de faire “du sous-Black Mountain light” puisque leur participation au groupe s’est achevée : le couple peut enfin voler de ses propres ailes sans craindre l’auto-plagiat. C’est d’autant plus vrai que l’on a ici affaire à quelques chansons sublimes, dont on ne doute pas qu’elles auraient été mises de côté pour le projet princeps en son temps, comme “Led Astray”, mélodie élégiaque nimbée d’ombres, voix hantée, six-cordes sèche emportée par une marée électrique, thématique poignante (la tentation de sombrer dans le mal), en clair : toute la définition du beau. Ce genre de balades habitées foisonne sur Spectre, on pensera à “Joanna”, aussi triste que lumineuse et cristalline, ou à “More”, plus intimiste (un rappel de l’album éponyme de Pink Floyd ?), tandis que “Inglorious Flu” ose le piano-voix nappé de quelques notes synthétiques tenues, comme si l’on se retrouvait plongé dans l’océan (avec sa slide rappelant un peu Le Grand Bleu d’Eric Serrat). La nouveauté, par rapport aux albums précédents, c’est que le tandem Wells-Webber parvient à se montrer pertinent sur des morceaux plus enlevés, et même si ceux-ci ne font pas l’attrait du disque, ils apportent de la variété sans pour autant rogner sur la qualité. “Run Away” se pose sans doute comme le plus réussi du lot, le plus radio-friendly, avec son accompagnement racé et sa subtile progression ascensionnelle servie par l’aisance vocale de la chanteuse. “When It Rains” opte pour un traitement plus sec, haché, presque scandé, avant de s’abandonner à plus de douceur sur le refrain. Et l’on retrouve aussi “Pretty Picture” auquel Stephen Malkmus (Pavement) apporte sa patte et sa sensibilité, avec une opposition terre-ciel fort à-propos.
Mais ce qui étonne positivement ici, c’est la conclusion. Lancée par un “Competitive Depression” aussi bref que sensiblement plus cogné, le long “3 AM / 100 Degrees” épate par ses qualités, ses atours progressifs parfaitement maîtrisés et son long pont central au psychédélisme capiteux qui, pour le coup, fait clairement de l’ombre à Black Mountain, un chouïa de lourdeur en moins, pour qu’au final triomphe ce chant d’une pureté prodigieuse, encore un titre époustouflant qui conclut un disque à côté duquel il serait vraiment dommage de passer. Surtout, on a désormais l’impression que, si la Poussière Enluminée ne tombe plus sur la Montagne Noire, elle se laisse porter par le vent et la grâce pour surpasser le projet original. Voilà qui est dit. Une troublante réussite autant qu’un disque remarquable.