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Critique d'album

Nirvana


MTV Unplugged in New York


(01/11/1994 - DGC - Grunge - Genre : Rock)
Produit par Alex Coletti, Scott Litt, Nirvana

1- About a Girl / 2- Come as You Are / 3- Jesus Doesn't Want Me for a Sunbeam / 4- The Man Who Sold the World / 5- Pennyroyal Tea / 6- Dumb / 7- Polly / 8- On a Plain / 9- Something in the Way / 10- Plateau / 11- Oh Me / 12- Lake of Fire / 13- All Apologies / 14- Where Did You Sleep Last Night
Note de 5/5
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Note de 5.0/5 pour cet album
"L'épitaphe ésotérique de l'ange blond d'Aberdeen."
Alan, le 05/04/2014
( mots)

Voilà donc vingt ans que Kurt Cobain a prématurément rejoint les limbes, fauché à la fois au sommet de sa gloire, mais aussi de son malêtre : anorexique mal dans sa peau et rongé par l’héroïne, écrasé par son rôle de porte-parole et de représentant d’une jeunesse en proie au doute qu’il s’est vu attribuer malgré lui, et étouffé par une société qu’il méprise, on pourrait presque affirmer que tandis que sa disparition laissa une marque noire dans les nineties, elle fut pour lui une véritable catharsis le libérant de tous ses démons. On ne saura cependant jamais si le geste fut délibéré ou non. Coïncidence surprenante (ou pas), à l’aube de ce triste anniversaire, les autorités semblaient se replonger dans une affaire qui a fait couler de l’encre et ont fait circuler des clichés de la scène d’investigation restés jusqu’ici confidentiels. Il est clair que ce 5 avril 2014 sera marqué par le fantôme de Cobain, et je doute que nous soyons les seuls à ajouter aujourd’hui notre pierre à l’édifice qu’est le supposé héritage de Nirvana.

Car concrètement, que reste-t-il de Nirvana aujourd’hui ? À l’heure où Dave Grohl est devenu un mastodonte du rock et où Courtney Love se fait plus remarquer pour ses expertises sur le vol MH370 que pour sa musique (ce qui n’est pas plus mal au vu de la médiocrité de son dernier album solo pourtant honteusement estampillé Hole), il n’y a clairement plus rien de nouveau à attendre de la part du clan Nirvana. Que pourrait-on nous livrer d’inédit après With the Lights Out et les rééditions successives de Bleach, Nevermind et In Utero ? Le filon a été exploité jusqu’à la moelle, allant même jusqu’à mettre à la disposition du public un live officiel du Reading ’92 pourtant déjà bootleggé maintes et maintes fois. L’appel du dollar, à n’en pas douter. Non, clairement, il ne reste plus grand chose de Nirvana en 2014, si ce n’est le souvenir idéaliste d’une génération X qui a grandi au son de Nevermind et d’In Utero, mais qui entretemps a aussi mûri et est passée à autre chose.

Car oui, il fallait passer à autre chose. Le grunge est mort en 1996, malgré de nombreux postulats pointant du doigt des supposées filiations au genre de tel ou tel artiste ou on ne sait combien de vagues de grunge revival, toutes étant des fumisteries cherchant à s’approprier un terme devenu générique et faussement synonyme de rock alternatif et englobant au travers d’amalgames divers aussi bien le proto-sludge heavy d’Alice in Chains que le noise rock avant-gardiste de Sonic Youth. Arrêtons donc de courir après un fantôme qui bien que toujours présent dans l’inconscient collectif n’a plus de légitimité au XXIème siècle. Je ne dis pas qu’il faut arrêter d’écouter du grunge : genre malgré tout toujours fédérateur (ou polarisant, c’est en fonction de vos affinités), il a fait et fait toujours partie de l’identité américaine, tout comme le blues ou le rock ’n’ roll, et son impact sociétal et culturel est désormais indélébile. De plus, d’un point de vue plus personnel, je pense qu’il serait aberrant de se priver d’albums tels que Badmotorfinger, Dirt ou Ten, pour ne citer que ceux-ci. Non, il ne faut pas arrêter d’écouter du grunge, il faut arrêter d’en jouer, point final. Le genre est aujourd’hui désuet, survivant vaguement au travers d’un courant dit post-grunge qui veut à la fois tout et rien dire, et surtout, on ne le jouera jamais mieux que les musiciens qui l’ont façonné et démocratisé.

Le grunge n’a cependant pas terminé sa course dans la honte : 1996 a été marquée par des albums de qualité, tels que Down on the Upside de Soundgarden qui, bien que loin d’avoir rencontré le succès de Badmotorfinger ou Superunknown, comportait des morceaux comptant parmi les plus réussis du répertoire du groupe ("Blow Up the Outside World" , "Rhinosaur"). Citons aussi le sublime Dust des Screaming Trees, ainsi que le Unplugged d’Alice in Chains. Ce-dernier reste cependant bien en deçà de celui de Nirvana dont il est ici question : là où Alice in Chains offrait une relecture intéressante de ses titres phares, Nirvana livre ici un ultime coup de maître. Si Bleach correspondait au côté brutal de Cobain, Nevermind à son côté plus pop et In Utero à une synthèse équilibrée entre les deux, ce MTV Unplugged est marqué par son raffinement, sa sensibilité, ainsi que par son intelligence.

Intelligence de par son choix de traiter ce concert différemment d’un concert standard de Nirvana : puisant son inspiration dans le Winding Sheet de Mark Lanegan, Cobain se refuse à exécuter un set comprenant uniquement ses hits, leur préférant pour le coup des morceaux se prêtant davantage à l’exercice de l’unplugged. Pas de "Smells Like Teen Spirit" ou autres "Lithium" donc, seul "Come as You Are" est parvenu à se glisser dans cette setlist. Là où, selon Dave Grohl, la majorité des artistes invités au MTV Unplugged se contentaient de jouer leurs hits comme s’ils se produisaient au Madison Square Garden, le Unplugged de Nirvana fait la part belle à des chansons plus confidentielles de son répertoire, mais aussi (et surtout) aux reprises. Coup de gueule contre MTV d’ailleurs, qui souhaitait des invités de premier rang comme Eddie Vedder ou Tori Amos, mais ce sont les Meat Puppets que Cobain choisit, trop peu médiatisés mais dont l’héritage n’était selon lui plus à prouver. C’est donc en compagnie des frères Kirkwood que Nirvana reprend en fin de set trois titres des Meat Puppets, desquels on retiendra surtout le bouleversant "Plateau", au ton mélancolique et marqué par le chant fébrile de Cobain, et un "Lake of Fire" lancinant et à la veine très blues, "Oh Me" demeurant ici plus anecdotique.

Cobain choisit aussi de reprendre "Jesus Wants Me for a Sunbeam" des Vaselines, ici rebaptisé "Jesus Doesn’t Want Me for a Sunbeam", avec Krist Novoselic jouant de l’accordéon en lieu et place du violon entendu dans la version originale. Mon avis sur cet instrument demeure particulièrement tranché, exaspéré d’avoir entendu d’innombrables fois le thème d’Amélie Poulain dans le métro, pourtant l’ajout impromptu de cet instrument dans l’orchestration offre ici une interprétation plus folklorique du morceau, revisitant ainsi le chant chrétien "I’ll Be a Sunbeam" à la manière de Nirvana et non à celle des Vaselines comme le déclare Cobain avant d’entamer le morceau. "Sunbeam" est suivie du célèbre "The Man Who Sold the World" de Bowie, qui est avec "Come as You Are" le seul morceau ou Cobain déroge à la règle du concert unplugged et s’aide d’un ampli pour jouer, étant nerveux et angoissé à l’idée de jouer un set entièrement acoustique, et particulièrement cette reprise qu’il considérait plus délicate à jouer que ses propres compositions. C’est pourtant avec une aisance déconcertante que celui-ci la joue, allant jusqu’à se l’approprier à la manière d’un Kubrick faisant sien "Also Sprach Zarathustra" ou "Le Beau Danube Bleu" sur 2001. Si la version de Nirvana fait aujourd'hui office de référence, ce n’est pas un hasard : plus introspective et personnelle, l’interprétation de Cobain demeure plus réussie que l'originale.

Cobain revisite bien entendu certains titres de son répertoire, parmi lesquels "About a Girl", unique single issu de l’album, et "All Apologies", dont les versions unplugged ont elles aussi éclipsé les originales pour devenir les versions de référence : il délaisse ici leur ton punk et sale pour leur procurer en contrepartie une sophistication qu’on ne lui connaissait pas jusqu’alors. À ces deux titres s’ajoutent "Pennyroyal Tea", que Cobain interprète seul, soulignant ainsi la dimension grave du titre, et "Something in the Way", magnifiée par un violoncelle plus présent que sur la version de Nevermind. "Dumb", "Polly" et "On a Plain", plus enjoués, constituent une bouffée d’oxygène au milieu de ce set austère et personnel. "Come as You Are", pour sa part, parvient à conserver sa dimension hypnotique grâce à son riff habilement traité et une interprétation impeccable.

Le concert s’achève enfin sur une dernière reprise, "Where Did You Sleep Last Night", chant blues traditionnel arrangé et popularisé par le bluesman Leadbelly. Démarrant de manière confidentielle, le morceau avance jusqu’au dernier couplet où Cobain engage ses dernières forces dans la bataille, avec une voix éreintée toujours aussi fragile mais chantant avec justesse du début à la fin. Véritable point d’orgue du concert, "Where Did You Sleep Last Night" clôt le set de la plus belle des manières, Cobain refusant même un rappel aux producteurs prétextant qu’il ne pourrait pas faire mieux que cette dernière chanson.

Sincère, brillant et excellemment exécuté, le MTV Unplugged de Nirvana illustre la sophistication dont était capable de faire preuve Cobain entre un "Hairspray Queen" grotesque et un "Negative Creep" agressif et quelque peu lourdaud. Épaulé par un Dave Grohl tout en retenue (je vous l'accorde, ce sont pourtant deux termes antithétiques) et un formidable Lori Goldston au violoncelle, Cobain délivre ici un ultime témoignage de ses capacités de musicien qui ont longtemps fait débat : bon ou mauvais guitariste ? Compositeur de génie ou esbroufeur ? Chacun est en droit de se faire son avis, mais je juge malgré tout que Cobain est réellement devenu un musicien averti au travers de ce concert, laissant derrière lui un immense témoignage de sa personne et de son oeuvre qu’on se doit de connaître et qu’on ne se lasse pas d’écouter. Kurt Cobain est mort en 1994. Le grunge est mort en 1996. Mais assurément son oeuvre demeure par notre intermédiaire, et ce même après vingt années qui, malheureusement, se doivent de marquer la fin d’une période de deuil qui n’a que trop duré.

Note de 5.0/5 pour cet album
"Nirvana et ses nombreuses facettes... L'émotion de l'acoustique à tout moment."
Lulu, le 24/11/2005

L’aura de ce Unplugged in New York n’en finit pas de resplendir malgré les années qui passent. Nirvana décide fin 93 de laisser au placard l’électrique et la rage pour proposer contre toute attente un des meilleurs concerts acoustiques issus de la chaîne MTV. Kurt Cobain veut prouver au monde entier qu’il ne veut plus être considéré comme une idole rebelle pour jeunes pré-pubères mais comme un bon compositeur. Il met de coté sa haine envers la chaîne musicale américaine et nous dévoile sa musique sans artifice. Il reprend les chansons les plus calmes disséminées dans ses trois albums studios ("About A Girl", "Pennyroyal Tea", "Dumb", "Polly", "Something in The Way" ou encore "All Apologies") pour en faire de purs moments d’émotion. Il crie, gémit, hurle comme jamais son mal-être, ses phobies personnelles, il veut recracher ses démons intérieurs, se débarrasser de cette drogue qui le tue à petit feu. Nirvana, accompagné par Pat Smear, se prend au jeu de l’acoustique et y trouve un réel plaisir, se permettant même de se lancer quelques pics amicaux, dans une ambiance bonne enfant. Cet exercice est aussi l’occasion pour Nirvana de dépoussiérer quelques standards pour en proposer ici une version acoustique fort intéressante et inattendue ("Come As You Are", "On A Plain"). Chaque chanson se dévoile sous une lumière différente, le public partage en communion ce qui restera comme la plus grande preuve de la richesse émotionnelle de cette musique grunge mise à nu. Kurt Cobain en profite également pour reprendre des chansons qui lui tiennent à cœur : "Jesus Doesn't Want Me For A Sunbeam" des Vaselines avec un Chris Novoselic à l’accordéon, un hommage à David Bowie par le biais de "The Man Who Sold The World" et également trois superbes chansons : "Plateau", "Oh Me" et "Lake Of Fire" des Meat Puppets qui accompagneront Nirvana pour une interprétation fidéle et de très grande volée malgré un chant un peu approximatif mais toujours émouvant. Il ne reste plus qu’à conclure avec une chanson qui obsède Kurt Cobain depuis de longues années "Where Did You Sleep Last Night" laissant l’auditeur ébahi par tant d'émoi. Ce disque signe de la plus belle des manières la fin de l’épopée Nirvana et ce qui devait être le début d’un nouveau virage artistique et musical sera le début… de la fin six mois plus tard. Mais cela ne doit pas nous empêcher de considérer cette musique de Nirvana comme quelque chose de précieux et de rare qu’il faut préserver, bien à l’abri chez soi. Et pouvoir savourer tranquillement ce moment magique, encore et encore.

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