Steven Wilson
Grace for Drowning
Produit par Steven Wilson
1- Grace for Drowning / 2- Sectarian / 3- Deform to Form a Star / 4- No Part of Me / 5- Postcard / 6- Raider Prelude / 7- Remainder the Black Dog / 1- Belle de Jour / 2- Index / 3- Track One / 4- Raider II / 5- Like Dust I Have Cleared from My Eye
A quelle sauce le Steven Wilson 2011 allait-il pouvoir être cuisiné ? Voilà la question que se posaient les amateurs du binoclard à mèche avant la sortie de Grace For Drowning, double album annoncé par l'intéressé comme son projet "le plus ambitieux à ce jour". Après un premier essai éclaté en forme d'hommage à ses éclectiques sources d'inspiration, Wilson laissait planer le doute quant à ses réelles inclinaisons musicales du moment. Le contexte laissait craindre le le pire : The Incident, de Porcupine Tree, accusait un certain manque de souffle alors même que son frontman avouait se lasser du metal (ce qui, soit dit en passant, promet un virage à 180° pour le prochain album de l'arbre), et le troisième effort de Blackfield l'a tellement peu intéressé qu'il s'est détourné de la composition du disque. A l'inverse, Wilson a préféré prendre le temps de mixer les derniers bijoux du monde progressif (Anathema, Opeth), a fait mumuse avec son pote Mickael Ackerfeld pour un projet dual qui promet de verser dans l'atypique et l'anticommercial (Storm Corrosion, verdict l'année prochaine), a réactivé son projet ambient Bass Communion, et s'est surtout lancé dans le projet insensé de remasteriser la discographie 70's de King Crimson aux côtés de Robert Fripp. Et c'est là que se trouve la clé de cet album.
Ce qui impressionne, avec Wilson, c'est sa capacité hors norme à absorber toutes les musiques qu'il entend, à les amalgamer et à les recracher de façon à la fois fidèle et personnelle. Sans surprise donc, et alors que l'homme avait jusqu'à maintenant laissé essentiellement parler sa fibre floydienne, c'est vers le roi pourpre qu'il faut chercher la source d'inspiration des plus grands morceaux de bravoure de ce disque. "Sectarian" et le très long "Raider II" (plus de 23 minutes) nous replongent ainsi en plein trip 70's, entre phrasés de guitare frippiens (avec en guest un Steve Hackett plus en verve que jamais), coulées de piano fluides (Jordan Rudess dans un registre bien différent de celui de Dream Theater), envolées de saxo jazzy et de flûtes champêtres (Theo Travis, impérial de bout en bout) et vagues de mellotron angoissantes. Mais ce voyage dans le temps se trouve également agrémenté d'éléments bien actuels, entre chœurs fantomatiques et rythmiques robotisées inquiétantes, sans compter une patte wilsonnienne bien reconnaissable sur ses parties vocales faméliques. Globalement, ce double album délaisse les gros riffs et le bruitisme de son prédécesseur pour se focaliser sur une recherche d'atmosphères riches et cohérentes. Certains titres font ainsi preuve d'une belle retenue solaire (les instrumentaux graciles "Grace For Drowning" et "Belle De Jour"), d'autres partent dans des directions plus aventureuses et osent l'alternance des textures ("Deform To Form A Star", "Track One", tous deux très hétéroclites), d'autres enfin, et ils sont rares, se focalisent sur la mélodie (les très beaux "No Part Of Me" et "Like The Dust I Have Cleared From My Eyes"). Mais là ou Steven Wilson s'en sort le mieux, c'est dans l'édification d'atmosphères lourdes par le biais de motifs répétitifs obsédants ("Remainder The Black Dog") ou d'une rythmique grouillante et malsaine ("Index"), deux morceaux très proches dans l'esprit de l'EP du dernier Incident de Porcupine Tree (bien que d'apparence beaucoup moins violente).
Oui, Grace For Drowning est une vraie réussite. Ce double disque réalise un magnifique album hommage au progressif sombre et expérimental de King Crimson tout autant qu'un tableau à la fois glaçant et poétique d'une troublante modernité. Sachez néanmoins que, comme son prédécesseur, ce double LP reste difficile d'accès et nécessite une immersion prolongée avant de pouvoir en retirer un vrai plaisir d'écoute. Les amateurs de Porcupine Tree pourront s'y risquer, mais qu'ils soient prévenus : ici, la mélodie se fait rare, les guitares metal y sont absentes et le rythme y est très souvent flottant et imprévisible. Steven Wilson, sous son vrai patronyme, ose s'aventurer là où les contraintes marketings n'existent pas, là où le public n'est pas forcément prêt à le suivre. Le risque, cependant, reste mesuré tant le résultat est convaincant. Surtout, l'homme nous propose un double album à 9,90 € en nouveauté, et ça, c'est du jamais vu. Autant dire qu'à ce prix là, vous faites une très, très bonne affaire.